jeudi 15 février 2018

Solstice d'hiver. Alain, les Juifs, Hitler et l’Occupation


La défaite du pacifisme / L’antimilitariste Alain, antisémite et admirateur du Troisième Reich ? Dans son dernier livre, Michel Onfray s’est penché sur le “Journal inédit” du philosophe, qui vient de paraître, et met la plume là où ça fait mal......Détails........


« J’espère que l’Allemand vaincra, car il ne faut pas que le genre de Gaulle l’emporte chez nous » ; Hitler, dans Mein Kampf, traite de la « question juive » avec « une éloquence extraordinaire et une remarquable sincérité », c’est « un esprit moderne, un esprit invincible ».
Cette page, datée du 22 juillet 1940, est écrite dans son Journal par le philosophe Alain (1868-1951), héros de la Grande Guerre, antimilitariste et pacifiste, professeur de khâgne adulé au lycée Henri-IV (Raymond Aron, Simone Weil, André Maurois ou Georges Canguilhem furent ses élèves), esprit libre et radical, soutien du Front populaire, fustigeant les puissants dans ses Propos et autres tribunes dans la presse.
Son Journal, tenu entre 1937 et 1950, était connu des chercheurs et débattu dans les cercles des « Alinistes » avec embarras. Sa publication intégrale par les Éditions des Équateurs début mars, avec notes et présentation impeccables (l’édition a été établie par Emmanuel Blondel), fournit au grand public toutes les pièces du procès.
Michel Onfray, en lecteur admiratif de son compatriote normand, attaque le premier, avec la vigueur polémique qu’on lui connaît : « Alain, c’était une institution, note-t-il d’emblée. Avec ce Journal, il risque de devenir un pestiféré. »
Si l’on connaît la propension de Michel Onfray à s’ériger en déboulonneur d’idoles, avec Alain, l’affaire part d’une sincère sidération. Il s’agit de comprendre comment « un pareil homme, averti de la nature humaine comme il l’était, [a] pu tenir des propos indéfendables. »
Contre les « moralistes de la pensée », il entend cette fois faire œuvre d’« historien des idées ».
La diatribe du polémiste n’est haineuse que contre les universitaires et spécialistes d’Alain, qu’il traite en bloc « d’engeance » en lisant sous leurs tentatives d’explication des indulgences plus suspectes que le mal. Alain avait beaucoup d’amis juifs ?

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Alain était sénile – il avait été terrassé par une attaque cérébrale en 1937 et était perclus de rhumatismes aigus dans une impotence douloureuse ? Faut-il considérer son Journal, où il n’écrit que pour lui-même, comme son versant sombre délirant ou bien, au contraire, comme la vérité de son être ?
Onfray balaie tous ces éléments d’interprétation pour revenir, crayon en main, au texte.
Cette sorte de littéralisme, propre à la méthode Onfray dans son ignorance volontaire du savoir consacré, a de quoi agacer, mais il fait en l’occurrence toute la force de son argumentation.
Implacablement, il produit les preuves. Et, avec le texte intégral du Journal d’Alain sous les yeux, on ne peut que le suivre.
Sur l’antisémitisme d’Alain, il y aurait à comprendre dans quelle sorte de déchirement il lui cherche des fondements intellectuels tout en le reconnaissant en lui comme une « passion triste » – « Je voudrais bien, pour ma part, être débarrassé de l’antisémitisme, mais je n’y arrive point », confie Alain. On peut lire son Journal comme un document sur cet antisémitisme d’élite qui travaille sourdement la France des années 1930 ; on peut aussi, comme Onfray avec raison, trouver ce déchirement plus écœurant qu’intéressant.
Sur le Alain « pétainiste, vichyste, collaborationniste », l’on peut estimer qu’il y a une différence entre la collaboration active, l’apologie publique de Vichy et un journal intime, il n’empêche.
Michel Onfray, après les historiens (par exemple Marc Ferro ou Henry Rousso), montre toutes les ambivalences du pacifisme dans la génération des combattants de 1914-1918. Alain, l’auteur de Mars ou la guerre jugée en 1921, le cofondateur du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes en 1934, est aussi celui qui prend en 1940 l’Occupation pour la paix.
« Le pacifisme n’est défendable que tant que la guerre n’est pas nécessaire », conclut Michel Onfray après la traversée de ce qu’il appelle « le solstice d’hiver d’Alain, sa nuit la plus longue ».
« Admirable éveilleur, il avait peu d’avenir dans l’esprit, avait tôt remarqué, lucide, son ancien élève Julien Gracq. Au moment même où nous quittions sa classe, en 1930, un brutal changement d’échelle désarçonnait sa pensée, un monde commençait à se mettre en place, un monde effréné, violent, qui rejetait tout de son humanisme tempéré. »

Source PhiloMag
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