Enseignant à l’université Paris 2 et chargé de mission à l’Œuvre d’Orient, Christian Lochon met en perspective le statut des coptes dans la société égyptienne. Pour les Coptes chassés par Daech, « il n’y a plus de vie possible dans le Nord-Sinaï » quant à l’armée égyptienne, elle ne parvient pas à contrôler la situation et cherche même l’appui d’Israël pour en venir à bout.....
La Croix : Comment expliquer cette recrudescence des violences dirigées contre les chrétiens au Sinaï ?
Christian Lochon : Elles sont le fait d’Arabes bédouins du Sinaï, depuis longtemps considérés comme des citoyens de seconde zone en Égypte et qui ont fait allégeance à Daech.
Comme souvent lorsque les Coptes sont visés, l’élément religieux n’explique pas tout. Avec l’effondrement du tourisme, la situation économique est devenue tellement terrible que les Bédouins cherchent à mettre la main sur les seuls biens restants, en particulier les hôtels qui appartiennent à des chrétiens. Ils connaissent parfaitement la région.
En période faste, ce sont eux qui conduisaient les bus ou servaient de guide aux touristes. Aujourd’hui, ils sont prêts à tout pour survivre, quitte à chasser et massacrer leurs voisins coptes en se réclamant de Daech. Quant à l’armée égyptienne, elle ne parvient pas à contrôler la situation et cherche même l’appui d’Israël pour en venir à bout.
Les Coptes ont-ils toujours été pris à partie dans la société égyptienne ?
C.L. : Au cours de la première moitié du XXe siècle, chrétiens et musulmans se sont alliés contre la puissance coloniale britannique et ont par la suite gouverné ensemble.
La mise à l’écart des Coptes du pouvoir politique remonte à la présidence de Nasser (1956-1970).
Un régime discriminatoire se met alors en place, qui leur interdit l’accès à de nombreux postes dans l’armée ou l’administration. Leur situation se gâte encore sous la présidence Saddate, qui a laissé les chrétiens devenir les boucs émissaires de mouvements insurrectionnels islamistes. Les actes de persécution se multiplient : attentats, attaques contre des églises, massacres de communautés villageoises, etc. Les Coptes commencent alors à migrer vers l’Europe et les pays du Golfe.
Cela n’empêche pas les liens au plus haut niveau entre le gouvernement et les élites économiques coptes, notamment sous Moubarak (1981-2011).
La nouvelle union sacrée entre la croix et le croissant sur la place Tahrir, au début du printemps arabe de 2011, s’est rapidement terminée dans le sang avec le massacre d’une trentaine de Coptes par l’armée égyptienne à la fin de cette même année.
Parvenu au pouvoir l’année suivante, Mohammed Morsi a purement et simplement rétabli la charia. Cela a signifié pour les chrétiens le retour à la dhimmitude, ce statut inférieur réservé aux minorités sous l’empire ottoman.
Leur sort ne s’est guère amélioré depuis le départ des frères musulmans…
C.L. : Après avoir chassé les islamistes du pouvoir en 2014, le président Sissi a commencé par jouer la carte Moubarak en affichant sa proximité avec les Coptes.
On l’a ainsi vu en 2015 assister au Noël copte auprès du nouveau patriarche Tawadros, lequel tente par ailleurs de sortir l’Église copte de son archaïsme. Mais une partie du gouvernement a aujourd’hui peur de soutenir les Coptes, notamment en raison de la pression qu’exercent les frères musulmans. Officiellement hors d’état de nuire, ces derniers sont toujours puissamment ancrés dans la population.
On peut estimer qu’une petite moitié des Égyptiens les soutient encore, même si une minorité est prête à se soulever.
Quelles conséquences cette attitude du gouvernement entraîne-t-elle pour les Coptes ?
C.L. : Les actes dirigés contre les chrétiens font rarement l’objet d’enquêtes et les auteurs ne sont pas jugés. Il existe aussi des connivences entre la police et les islamistes.
Mais la situation est encore pire dans les zones reculées du sud de l’Égypte où un autre facteur que la religion entre en ligne de compte. Car n’oublions pas que les 85 millions d’Égyptiens vivent sur seulement 5 % du territoire : la pression est telle sur les terres agricoles que les paysans coptes sont chassés de leurs villages et contraints de se réfugier en ville.
Des églises et des écoles chrétiennes sont constamment attaquées dans cette région, même si la plupart des médias gardent le silence. Par crainte d’une insurrection islamiste, le gouvernement ne bouge pas.
Source La Croix
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