Deux mois après des violences spectaculaires, en marge d’un rassemblement pro-Gaza interdit, le calme est revenu à Sarcelles . Mais les rancoeurs persistent et les habitants s’interrogent sur le modèle multiculturel qui a fait la réputation de la ville. Des heures d’affrontements avec les CRS, voitures incendiées, commerces pillés… Aux Flanades, quartier où tout Sarcelles se côtoie, l’odeur de brûlé s’est dissipée. Seuls quelques commerces pillés restent fermés, les vitrines recouvertes par des panneaux en bois...
« La vie a repris, mais l’abcès n’est pas crevé », relève François Pupponi, maire socialiste de cette banlieue au nord de Paris. « La communauté juive est traumatisée et la communauté musulmane est inquiète, car elle a peur d’être stigmatisée. »
Comment Sarcelles, jusqu’à présent plutôt épargnée par les violences urbaines, en est-elle arrivée là? Le « vivre ensemble » est-il définitivement compromis ?
« Il y aura un avant et un après » les événements « gravissimes » de juillet, s’alarme le rabbin de Sarcelles Laurent Berros, à la tête de l’une des plus grandes communautés juives de France, qui dénonce des « relents d’antisémitisme » de plus en plus prégnants.
CHACUN CHEZ SOI
A première vue, les 60.000 habitants venus de plus de 180 pays, dont 15.000 juifs qui sont pour beaucoup installés dans le quartier de la « petite Jérusalem », cohabitent en harmonie. Pas de « tension visible entre les communautés » et depuis le 20 juillet, « aucun incident » antisémite n’a été signalé, constate une source policière.
Mais à l’ombre des immeubles du Grand ensemble, beaucoup reconnaissent qu’au fil des années, on vit de moins en moins « ensemble ». Turcs, pakistanais, arabes ou assyro-chaldéens: chaque communauté a ses boutiques, ses cafés et ses associations.
Dans cette mosaïque, « la minorité juive est particulièrement présente, forte et active », note le sociologue Michel Wieviorka. Ces dernières années, elle « est devenue davantage visible dans l’espace public », alors que se développaient « des jalousies, et un antisémitisme local » qui reste toutefois « peu puissant ».
« Les communautés se sont communautarisées », résume Corinne Levitt, professeur de maths dans l’un des deux lycées juifs de Sarcelles. Autrefois, « tout le monde rigolait avec tout le monde, aujourd’hui c’est profil bas ».
Quand ses grands-parents sont arrivés de Tunisie dans les années 1960, « ils s’écrasaient »: « Le but du jeu, c’était s’intégrer, s’intégrer, s’intégrer », raconte cette mère de famille de 45 ans.
La génération de Corinne, née en France, a voulu « plus de vie communautaire », pas par « rejet » des autres mais pour « affirmer son identité ».
Elle-même passée par l’école publique – où elle s’est fait « des copines de toutes communautés » – a choisi le privé confessionnel pour ses enfants. « Pour eux, il n’y a pas cette ouverture. C’est là où les chemins entre les gens se séparent. »
DES MOTS MALHEUREUX
Isabelle Bentz défend bec et ongles l’école publique, qu’ont fui nombre de familles juives. « A l’école, des enfants peuvent avoir des mots malheureux » contre leurs camarades d’autres origines, mais cela ne témoigne pas d’une poussée de racisme, ajoute cette institutrice en maternelle, qui voit jouer ensemble petits musulmans, protestants, hindouistes ou juifs.
Mais « la ville est une poudrière. Les rapports entre communautés, c’est très délicat à gérer », nuance-t-elle.
Dans ce contexte, « nous musulmans, en tout cas, on ne se replie pas », affirme le secrétaire général de la fédération des Musulmans de Sarcelles, Mamadouba Camara, redoutant d’être pointé du doigt.
QUITTER LA FRANCE
La municipalité marche sur des oeufs. Elle « a toujours reconnu les différentes communautés », déléguant une partie de la gestion des quartiers aux associations culturelles et religieuses, souligne un de ses cadres. « Jusqu’à présent, cela a plutôt bien marché. »
« Le modèle multiculturel de Sarcelles fonctionne bien », assure Sylvia Atlan, 66 ans. Dans l’immeuble de cette dentiste juive, des familles de toutes origines se côtoient sans tension.
Mais « dans leur for intérieur, les juifs ressentent un malaise », assure cette sexagénaire. « Ils ont peur que ça recommence », dit aussi Corinne, qui envisage comme d’autres juifs sarcellois de quitter la France.
Par François Becker et Valérie Bontemps pour AFPSource Tribune Juive