Lundi 16 décembre Aroutz 10 y consacrait un sujet dans son journal télévisé et dévoilait le jeu des autoproclamés « quenelliers », qui consiste à poser en photo à côté d’un soldat israélien ou devant un site culturel ou cultuel juif. Et le salir. Le 28 novembre dernier, Dieudonné était à nouveau condamné en appel. Il doit verser une amende de 28 000 euros pour diffamation, injure et provocation à la haine et la discrimination raciale. Il était poursuivi cette fois dans deux affaires concernant des propos diffusés sur Internet. La Toile est justement le déversoir de son fiel nauséabond et son meilleur outil de propagande. L’ampleur du phénomène est telle que les photos de classes, de policiers ou de militaires français, d’anonymes exécutant le geste dit de la « quenelle », ainsi que la surenchère de commentaires antijuifs les accompagnant pullulent comme une mauvaise herbe dont on ne saurait se débarrasser. Et les racines sont bien profondes.
" Isra-Heil "
Dix ans déjà que celui qui est volontairement passé du statut d’humoriste reconnu à celui d’antisémite professionnel officie dans son théâtre, ou devrait-on écrire, son quartier général de la Main d’Or, et sur les plateaux télévisés.
Souvenons-nous de ce « sketch » du 1er décembre 2003 dans l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde, où il arborait à la fois chapeau noir et papillotes des juifs hassidiques et veste à imprimé militaire et cagoule des combattants terroristes. Moment charnière de sa carrière, alors qu’en pleine seconde Intifada, prétextant personnifier un « colon » sioniste, il a déclamé un texte écrit en coulisses (probablement pour éviter toute possible révision par la production) et l’a illustré d’un salut nazi traditionnel, en lançant« IsraHeil ». On ne le savait pas encore, mais le comparse des pires« nazislamistes » et « islamogauchistes », fascistes, réactionnaires et négationnistes, l’allié de l’axe Téhéran-Damas-Gaza, lance alors une nébuleuse qui a dépassé les seules frontières de la France et a nourri l’antisémitisme, aussi bien dans ses récents courants islamistes et d’extrême-gauche que dans son courant plus classique, de l’extrême-droite chrétienne ultranationaliste. Toutes ses saillies dans l’espace public n’auraient été qu’anecdotiques si elles n’avaient pas trouvé un public croissant d’année en année. Si elles n’avaient pas rejoint la liste grandissante des mouvements et actes antijuifs et/ou anti-israéliens à travers le monde. Et si cet antisémitisme n’avait pas, au XXIe siècle, entraîné la mort, en France.
Des meurtres antisémites en France
En janvier 2006, Ilan Halimi est enlevé, au motif que, puisque juif, sa famille devait être riche. Le « gang des barbares » pensait alors soutirer une rançon d’environ 500 000 euros. Le jeune homme est sévèrement torturé pendant trois semaines et abandonné à l’agonie au bord d’une voie ferrée à Sainte-Geneviève-des-Bois. Il meurt le 13 février 2006.
Si Youssouf Fofana, le chef du gang, est bien connu, on sait moins que ce sont en tout 27 personnes qui ont été impliquées et condamnées dans ce meurtre. Lorsqu’à son procès, la Cour lui a demandé de décliner son identité, Fofana a répondu « arabe, africain, islamiste salafiste, né le 13 février 2006 à Sainte-Geneviève-des-Bois ». Il signifiait par là, dans une énième provocation, qu’il se définissait par ce meurtre antisémite. Impossible de ne pas rapprocher cette affaire des tueries de Montauban et de Toulouse en 2012. Ce que les médias ont appelé« l’affaire Merah » a dévoilé la petite partie émergée d’un iceberg islamiste sur le territoire de la République française. Les victimes sont des symboles cibles de l’islamo-fascisme. Le maréchal des logis-chef Imad Ibn Ziaten, français, musulman, d’origine marocaine, est abattu le 11 mars 2012 à Toulouse d’une balle dans la tête par Mohammed Merah. Le 15 mars suivant, le terroriste tue les soldats Abel Chennouf, français, catholique, d’origine algérienne et Mohamed Legouad, français, musulman, d’origine algérienne. Il blesse également grièvement à la tête Loïc Liber, soldat français d’origine antillaise qui ressortira de l’hôpital paralysé. Enfin, 19 mars 2012, Merah se rend à l’école juive Otzar HaTorah de Toulouse dans le but de tuer des enfants juifs. Il assassine le rabbin et professeur de l’école Jonathan Sandler, ainsi que ses deux fils Gabriel, 3 ans, et Arieh, 6 ans. Il tirera aussi à bout portant sur Myriam Monsonego, 8 ans.
Cette affaire a reçu de nombreuses condamnations dans le monde entier, et parmi elles, celle de Salam Fayyad, alors Premier ministre de l’Autorité palestinienne qui rejetait le « terrorisme au nom de la Palestine » dont s’était, entre autres, prévalu l’auteur de ces crimes. Au cours d’une réunion sur la jeunesse palestinienne à Bruxelles, Catherine Ashton, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, avait comparé le drame aux « attentats de 2011 en Norvège, la guerre civile en Syrie et la situation des enfants de Gaza ». Une déclaration vivement critiquée par ses pairs et par la presse.
Dans un éditorial, le Jerusalem Post estime alors que« l’attaque de Toulouse va sans doute renforcer le sentiment de vulnérabilité des juifs européens ».
Internet, vecteur efficace de la haine
En France, s’est ajoutée l’affaire Twitter. Après la diffusion en octobre 2012 sur le réseau social de tweets accompagnés des hashtags (sujets de conversation singularisés par le signe dièse #) #UnBonJuif et #UnJuifMort, Twitter avait été assigné en référé par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), J’accuse ! (action internationale pour la justice), SOS Racisme, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). La plateforme avait alors été contrainte de retirer les tweets incriminés.
Le 14 octobre 2012, le hashtag #UnBonJuif s’était retrouvé classé dans les « tendances » du réseau social, autrement dit, parmi les sujets les plus relayés. En remontant le fil de ce hashtag, on pouvait lire des conversations moquant le prétendu physique des Juifs et« plaisantant » au sujet de la Shoah.
Le 12 juin 2013, la cour d’appel de Paris a confirmé un jugement du tribunal de grande instance de Paris datant de la fin janvier qui enjoignait Twitter de communiquer aux cinq associations de défense des droits de l’Homme « les données en sa possession de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création de tweets manifestement illicites », entendez racistes ou antisémites, contenant les hashtags #UnBonJuif et #UnJuifMort. Twitter s’est finalement conformé à la décision et a annoncé le 12 juillet 2013 avoir fourni à la justice française « les données susceptibles de permettre l’identification de certains auteurs »de tweets antisémites. La transmission de ces données a mis « fin au litige » avec l’UEJF et les deux parties « ont convenu de poursuivre activement leur collaboration, afin de lutter contre le racisme et l’antisémitisme dans le respect de leurs législations nationales respectives », avait ajouté le site dans un communiqué. Une victoire de l’UEJF, présidée alors par Jonathan Hayoun.
Le 14 octobre 2012, le hashtag #UnBonJuif s’était retrouvé classé dans les « tendances » du réseau social, autrement dit, parmi les sujets les plus relayés. En remontant le fil de ce hashtag, on pouvait lire des conversations moquant le prétendu physique des Juifs et« plaisantant » au sujet de la Shoah.
Le 12 juin 2013, la cour d’appel de Paris a confirmé un jugement du tribunal de grande instance de Paris datant de la fin janvier qui enjoignait Twitter de communiquer aux cinq associations de défense des droits de l’Homme « les données en sa possession de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création de tweets manifestement illicites », entendez racistes ou antisémites, contenant les hashtags #UnBonJuif et #UnJuifMort. Twitter s’est finalement conformé à la décision et a annoncé le 12 juillet 2013 avoir fourni à la justice française « les données susceptibles de permettre l’identification de certains auteurs »de tweets antisémites. La transmission de ces données a mis « fin au litige » avec l’UEJF et les deux parties « ont convenu de poursuivre activement leur collaboration, afin de lutter contre le racisme et l’antisémitisme dans le respect de leurs législations nationales respectives », avait ajouté le site dans un communiqué. Une victoire de l’UEJF, présidée alors par Jonathan Hayoun.
Le 16 décembre dernier, Elie Petit, vice-président de l’UEJF et de l’European Union of Jewish Students est intervenu, aux côtés de la présidente de l’EUJS Andy Grgely, à la Commission européenne à Bruxelles devant les représentants de 10 Etats, de la délégation Droits fondamentaux et Droits de l’enfant et de la délégation israélienne en charge de la lutte contre l’antisémitisme pour relater l’action de l’UEJF contre la propagation de la haine sur Internet.
L’Europe phagocytée par la Bête immonde ?
L’Europe justement. Parlons-en. Car l’antisémitisme n’est pas cantonné aux frontières françaises, l’Etat qui abrite la plus grande communauté juive du Vieux Continent. Un sondage publié en novembre dernier a été mené par l’Agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux (FRA) parmi un échantillon de 5 847 Juifs résidant en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, en Hongrie, en Italie, en Lituanie et en Suède. Il couvre la décennie allant du 1er janvier 2002 au 31 janvier 2012. D’après ce sondage, 76 % pensent que l’antisémitisme a augmenté ces cinq dernières années, pour certains un peu, pour d’autres considérablement ; 27 % ont été témoins d’agressions verbales ou physiques sur d’autres coreligionnaires lors des 12 derniers mois ; et un quart craint de porter une kippa ou de participer à une cérémonie ou de se rendre sur un site juif de peur d’être publiquement identifié comme étant de confession mosaïque.
Par ailleurs, en Roumanie, un chant de Noël antisémite a récemment fait polémique. L’Institut Elie Wiesel de recherche sur l’Holocauste de à Bucarest a exprimé sa « profonde désapprobation » après la diffusion par la télévision publique roumaine TVR de ce chant « porteur d’un message antisémite d’une rare gravité et vulgarité ». Il a été diffusé à l’occasion du lancement de sa nouvelle chaîne TVR3. La présentatrice n’avait pas réagi. Ce chant vieux de plus d’un siècle appelle directement à l’extermination des Juifs par autodafé. Les ambassades des Etats-Unis et d’Israël, le ministère roumain des Affaires étrangères ainsi que les organisations juives ont condamné vigoureusement ce programme tandis que l’Eglise orthodoxe a souligné « que les chants de Noël orthodoxes ne peuvent pas être utilisés pour répandre la haine entre les gens ».
En Grèce, le parti Aube dorée fait frémir. Il utilise une rhétorique néonazie et a obtenu 7 % des voix aux élections nationales grecques en juin 2012. Lors d’un meeting avec les administrateurs du Congrès juif européen, le Premier ministre grec Antonis Samaras a tenu à rappeler que « nous n’étions pas dans une République de Weimar, mais dans une Europe unie ». La crise économique profonde que traverse la Grèce et l’inquiétante montée en puissance d’Aube dorée, ainsi que l’inclusion d’un homme politique au passé fasciste au sein du gouvernement Samaras, permet de comprendre ce parallèle du Premier ministre, ce qui se passe à la fois en Grèce et à l’extérieur de la Grèce pouvant revêtir les tristes atours de l’Allemagne des années trente. Le parti néonazi était d’ailleurs presque à 15 % des intentions de vote cet automne.
Cette attirance politique renouvelée s’inscrit dans un phénomène plus large balayant toute l’Europe, de l’Espagne à la Finlande en passant par la France et la Hongrie, pays où les extrémistes de droite comme de gauche prennent du galon. Ils appellent à sortir de l’Union européenne et/ou à expulser les immigrés. Dans le même temps, les bases des partis centristes se sont délitées. Et ces partis ont dû adopter des positions plus controversées, au risque de perdre des voix en faveur des extrêmes. Aube dorée a de solides soutiens à la fois au sein de l’Eglise grecque orthodoxe et dans l’armée et la police grecque. Le Premier ministre a longtemps cru que la meilleure façon de gérer la faction était d’ignorer ses actions (allant parfois jusqu’au meurtre), espérant que lorsque l’économie reprendrait, le parti perdrait de l’intérêt de l’opinion publique. Mais il a fini par changer de stratégie et a lancé une répression de ses membres, notamment en effectuant des raids dans ses bureaux et en poursuivant six de ses députés et 30 de ses activistes pour appartenance supposée à une organisation criminelle. Sans surprise, le porte-parole du parti, Ilias Kasidiaris, tatoué d’une croix gammée à l’épaule, a hurlé à la conspiration menée par « la commission européenne, le gouvernement américain et le lobby israélien ».
En Hongrie, le parti Jobbik a fait parler de lui et le Fidezs, de centre droite, a dû revoir ses idéaux à la baisse pour séduire l’électorat. Quand le numéro 2 de Jobbik, Csanad Szegedi a eu vent de ses origines juives, cet antisémite repenti s’est converti au judaïsme, non sans s’attirer les foudres du parti.
Les Etats-Unis, secours ultime ou prochaine victime ?
Tournons nos regards vers l’Ukraine. La révolte de la place Maidan, opposée à un rapprochement avec la Russie, suite au rejet d’un accord du président Yanoukovitch avec l’Union européenne, est parasitée par le parti ultranationaliste Svoboda. La communauté juive locale et le Congrès juif mondial le considèrent comme néonazi. Et les craintes sont fondées, puisque des sites Internet ont commencé à dénoncer les Juifs proches de Yanoukovitch. Ce qui a contraint Edouard Dolinsky, directeur du comité juif ukrainien, à se tourner vers l’American Jewish Committee et vers l’American Jewish Joint Distribution Committee pour établir un plan d’urgence, en prévision d’un retournement brutal de la situation contre les Juifs de Kiev.
Mais il y a pire. Cette atmosphère délétère se répand même aux Etats-Unis, où un nouveau jeu fait fureur : le Brooklyn’s Knockout Game consiste à molester des Juifs, mais également des Noirs gays, dans le Borough new-yorkais. Si les attaquants ont été arrêtés, la presse outre-Atlantique se demande encore s’il s’agit de crimes haineux ou d’un« jeu d’enfant » un peu dangereux. La liberté d’expression étant sacralisée par le 1er amendement de la Constitution américaine, il est bien plus difficile de s’attaquer à ces phénomènes en amont des attaques aux Etats-Unis qu’en Europe.
Retour en France après ce tour d’horizon glaçant. Il est juste de rappeler que l’antisémitisme est pris très sérieux par les pouvoirs hexagonaux, du propre avis des organisations juives. On se souvient des déclarations du ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui a su mettre du baume au cœur communautaire. Le « Plan d’action national d’action contre le racisme et l’antisémitisme 2012-2014 » adopté en février 2012 doit, lui, traduire en actions la parole gouvernementale. On peut y lire cette conclusion : « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine est une exigence perpétuellement renouvelée. C’est en poursuivant sans relâche nos efforts et en les adaptant aux évolutions de ces pratiques et des vecteurs de leur propagation que nous pourrons, à terme, reléguer ces agissements dans la marginalité. » Une promesse qui sonne pourtant aujourd’hui comme un aveu d’échec. 2014 est presque là et les pratiques, elles, sont loin d’être marginales. Est-ce à dire que la lutte contre l’antisémitisme soit tout autant indispensable que vaine ?
Source JerusalemPost