vendredi 21 janvier 2022

Entretien avec David Govrin, représentant d’Israël au Maroc


Sahara marocain, accord sécuritaire, Algérie, relations économiques et humaines. Installé depuis désormais un an à Rabat, David Govrin a, le moins que l’on puisse dire, bien des choses sur lesquelles se prononcer, et ceux qui suivent ses pages sur les réseaux sociaux savent qu’il ne se retient de toute façon jamais de le faire. Mais paradoxalement, la parole du représentant officiel de l’État d’Israël au Maroc reste rare dans la presse. C’était en tout cas le cas jusqu’à cette interview, accordée en exclusivité à Maroc Hebdo, et dans laquelle il a accepté de se livrer, sans ambages, dans une langue franche et brute de décoffrage comme c’est rarement le cas pour un diplomate de cet acabit........Interview........

M. Govrin, on ne sait d’abord comment vous appeler. M. le chargé d’affaires ou M. l’ambassadeur? Comme vous le savez, un certain flou persiste...
Je suis arrivé au Maroc en janvier 2021 pour occuper le poste de chef du bureau de liaison à Rabat qui a été rouvert suite à la reprise, un mois auparavant, des relations diplomatiques entre les deux pays.
Et en août de la même année, les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont mis d’accord pour élever la représentation diplomatique au niveau des ambassades. 
Deux mois après, j’ai été nommé officiellement ambassadeur par Tel Aviv dans le cadre de l’accord en question. Je devrais présenter les copies figurées de mes lettres de créances à M. Bourita dans les prochaines semaines, et les versions originales au Roi par la suite. Nous restons patients et sereins par rapport à cela.

Vous venez de boucler, ce 11 janvier 2022, votre première année à Rabat. Quel bilan vous en faites? Et on pourrait par ailleurs vous poser la même question sur le rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël…
C’est un succès à plusieurs niveaux. Les deux pays ont signé une vingtaine de conventions et mémorandums d’entente dans plusieurs domaines comme l’économie, la sécurité, l’enseignement, le tourisme. 
Et pour s’assurer de leur mise en oeuvre, les deux parties ont créé cinq groupes de travail. 
Pour le moment, je pense que le lancement de vols directs entre les deux pays pour la première fois de l’histoire constitue l’avancée la plus importante, non seulement pour le tourisme mais aussi pour permettre aux deux peuples de se connaître et de se rapprocher encore plus.

Vous avez déjà été ambassadeur avant dans un autre pays arabe, en l’occurrence l’Egypte. Avez-vous senti des différences par rapport au Maroc?
L’accueil au Maroc est chaleureux. La vie ici est différente car la société civile y a un poids et un rôle plus importants dans la vie politique et sociale, ce qui permet de bien développer les relations entre Marocains et Israéliens sur le plan humain.
Dans la rue, les gens sont plus ouverts, ils me saluent, et des fois ils demandent à prendre des selfies avec moi. 
Et puis j’aime la cuisine marocaine, que je trouve unique. La pastilla au poulet est mon plat préféré. J’adore parler aux gens, ils sont très ouverts et chaleureux. J’aime ma vie à Rabat, c’est une ville calme, raffinée, belle et très verte, mais j’adore voyager partout au Maroc d’autant que le pays offre des paysages et des expériences très variés, car chaque ville a ses particularités.
Et puis j’apprécie beaucoup les plages ici. Les touristes israéliens ont hâte de découvrir tout ça. 
Je les encourage à venir dès que la situation épidémiologique le permettra. Nous nous attendons à plusieurs dizaines de milliers de touristes israéliens au Maroc. J’ai participé il y a quelques jours à la hiloula de Oulad Berhil, près de Taroudant, mais je pense que le Maroc peut attirer des touristes de toutes les catégories, et pas que les touristes religieux ou ceux d’origine marocaine

Revenons aux conventions et mémorandums que vous avez cités tout-à-l’heure, et focalisons surtout sur l’accord de coopération sécuritaire signé le 24 novembre 2021 à Rabat, car c’est celui qui a sans doute suscité le plus de commentaires dans les médias marocains et israéliens mais aussi ceux d’autres pays. Ce qui est intéressant c’est que le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, l’avait qualifié de “sans précédent”. En quoi l’est-il, en fait?
Si on regarde bien les relations entre Israël, d’un côté, et l’Égypte et la Jordanie, de l’autre, on comprend vite pourquoi l’accord sécuritaire signé avec le Maroc est sans précédent. 
Nous n’avons pas d’accord similaire et du même niveau avec les deux pays précités, même si les relations officielles et les accords de paix entre nous datent de plusieurs décennies. 
Je souligne que la signature de cet accord est le fruit d’une très forte volonté, aussi bien du côté israélien que marocain.

Vous savez que l’Algérie n’a que peu goûté la signature de l’accord, et son président, Abdelmadjid Tebboune, fait de son annulation une condition sine qua non à toute reprise des relations diplomatiques avec le Maroc, rompues par son pays le 24 août 2021. Vous en pensez quoi?
Je tiens à assurer que l’accord en question ne vise aucun pays. C’est tout simplement le résultat de besoins et de défis communs pour le Maroc et Israël. Parmi ces défis figure la menace de l’Iran et de ses alliés dans la région, ainsi que les organisations terroristes.
Rabat et Tel Aviv soutiennent la stabilité et le développement de la région et oeuvrent dans ce sens. 
Les deux pays ont compris que faire face à ces défis main dans la main donnera de meilleurs résultats. La coopération sur le plan sécuritaire rend plus efficace la lutte contre les menaces en question. Malheureusement, le rapprochement entre l’Algérie et l’Iran nuit à la stabilité de la région. 
Téhéran essaie d’élargir son influence en Afrique, y compris en Algérie, qu’elle essaie d’infiltrer. Et puis je pense qu’en attaquant le Maroc par rapport à son rapprochement avec Israël, le pouvoir algérien essaie de détourner l’attention de son peuple de la crise du pays notamment économique en utilisant la carte de la menace étrangère.

Outre l’Algérie, une partie de la population marocaine s’était également opposée, au plan intérieur, à l’accord, et on trouve d’ailleurs encore beaucoup de Marocains qui rejettent la normalisation dans son ensemble. Qu’est-ce que cela vous inspire, en tant que diplomate israélien?
Je crois que les anti-normalisation doivent comprendre qu’en fin de compte, la reprise des relations entre le Maroc et Israël est bénéfique aux deux parties et permettra de renforcer la stabilité dans la région. 
Quoi qu’il en soit, la reprise des relations ne se fera pas aux dépens de la cause palestinienne, et nous réitérons d’ailleurs notre appel aux Palestiniens à s’engager dans un processus de négociations directes sans conditions préalables. 
Et là, chaque partie pourra poser ses demandes et ses revendications sur la table. Dans ce sens, nous saluons le rôle du Maroc, qui incite les deux parties à reprendre les négociations, comme il l’a déjà fait dans les années 80 et 90, ou même à la fin des années 70 pour faciliter le contact entre l’Égypte et Israël.

La normalisation a-t-elle plutôt été bien accueillie en Israël?
Les Israéliens sont contents de la reprise des relations, surtout au vu des liens historiques et culturels entre les deux peuples. Le Maroc est un pays ami et allié, et je vous assure que de très nombreux Israéliens désirent le visiter.
De l’autre côté, nous avons ouvert, il y a trois semaines à Rabat, un bureau d’externalisation des procédures qui se charge du traitement des demandes de visa pour se rendre à Israël. 
Ce bureau fournit aux Marocains voulant visiter Israël toutes les informations nécessaires. Officiellement, le demandeur doit prévoir un délai de quarante-cinq jours pour obtenir son visa, mais en pratique ça prend souvent moins de temps.

J’aurais une dernière question à vous poser, au sujet du Sahara marocain, qui comme vous le savez nous tient à coeur au Maroc et constitue notre première cause nationale. Pour l’heure, vingt-cinq pays, dont les États-Unis, ont reconnu la souveraineté du Royaume sur la région.Y a-t-il des chances pour qu’Israël soit le vingt-sixième sur la liste?
Nous sommes conscients de l’importance de la question du Sahara pour le Maroc. Pour l’instant nous sommes concentrés sur le développement des relations bilatérales. 
La question de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara dépendra d’un accord entre les chefs de la diplomatie des deux pays, et je pense sérieusement que c’est un scénario envisageable.


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