Dans le dossier du tracé de la frontière maritime commune avec le voisin israélien, l’armée libanaise s’accroche à la superficie supplémentaire de 1 430 km2, en plus de la zone disputée, qu’elle estime revenir de droit au Liban. Sa position n’a pas dévié d’un iota.........Détails........
« La ligne 29 qui part de la pointe de Ras el-Naqoura et délimite cette superficie doit impérativement être le point de départ des négociations avec la partie israélienne », estime un responsable qui partage le point de vue de l’armée.
Des négociations qui sont interrompues depuis le mois de décembre 2020 pour cause de différends entre les deux États sur la superficie à considérer.
C’est donc partant de cet impératif qu’a été rédigé l’amendement au décret présidentiel 6433 visant à corriger la carte transmise par le Liban à l’ONU en 2011.
Sauf que ce décret signé le 13 avril dernier par les deux ministres des Travaux publics et des Transports, Michel Najjar, et de la Défense, Zeina Acar, est, depuis, entre les mains du chef de l’État, Michel Aoun.
Le dossier fait donc du surplace, le président ayant refusé d’y apporter son approbation exceptionnelle, conditionnant la signature d’un texte d’une telle importance par un consensus en Conseil des ministres.
Cela n’empêche pas la troupe et le président Aoun de rester sur la même longueur d’onde. Du moins officiellement.
« Le chef de l’État n’a pas modifié sa position, estime le responsable. Il a juste été piégé, acculé par les signatures posant l’aval du gouvernement comme condition. » « Les relations entre le président Aoun et l’armée libanaise sont techniques et professionnelles.
C’est lui qui mène les pourparlers dans le dossier sur base des propositions avancées par l’armée », précise le député du CPL, Eddy Maalouf.
La négociation, un intérêt pour les deux parties
Depuis le 13 avril, la balle est dans le camp du président Aoun. « Sans sa signature, les négociations n’ont aucune chance de reprendre », estime Laury Haytayan, spécialiste en hydrocarbures et géopolitique au Proche-Orient. « Car la ligne 29 est juridiquement solide.
Elle se base sur le Droit de la mer des Nations unies, alors que la ligne précédente de pourparlers, plus au nord (la ligne 23 qui délimite le triangle des 860 km2 adoptée en 2011) est indéfendable juridiquement », renchérit un expert. La ligne 29, rappelons-le, est aussi défendue par le United Kingdom Hydrographic Office, dans son rapport de 2011.
« Dans la balance des intérêts, Israël a plus intérêt à négocier qu’à rester en dehors des négociations », soutient encore l’expert, en référence au fait que l’État hébreu veut exploiter le champ Karish et que cela nécessite de clarifier les frontières avec le Liban.
Mais Israël reste toutefois en position de force par rapport au pays du Cèdre dans ce dossier compte tenu du fait qu’il exploite déjà plusieurs grands champs gaziers et que le Liban vit la pire crise économique de son histoire.
Au cœur de ces discussions, des questions techniques d’importance capitale, avant le début des travaux d’exploration des ressources offshore.
Comme celle de savoir si dans le tracé, il faut ou non prendre en considération le rocher Takhilit (revendiqué par Israël) qui pourrait faire gagner ou perdre au Liban une superficie maritime de 1 800 km2.
« Le principe d’équité est primordial dans ce genre de pourparlers », soutient l’expert, qui se demande s’il est « équitable de faire perdre 1 800 km2 au Liban à cause d’un rocher d’une vingtaine de mètres de long ».
Derrière l’insistance des négociateurs libanais à aller au-delà de la ligne 23, au point de remettre en question la légitimité israélienne sur le champ Karish, transparaît aussi un enjeu de taille, « l’accès exclusif du pays du Cèdre au champ Qana d’hydrocarbures, de grande importance », précise l’expert. Un champ également convoité par la partie israélienne.
D’où « la carte majeure » que représenterait la signature du président Aoun.
Les attaques du Hezbollah contre l’armée
Mais les considérations techniques liées au tracé de la frontière maritime méridionale semblent désormais balayées par les querelles politiciennes internes qui ont surgi à nouveau hier, au risque de paralyser le dossier.
La polémique a été lancée par le quotidien local al-Akhbar proche du Hezbollah, qui dans une attaque directe contre le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, a accusé l’équipe de ce dernier de « légèreté », dans sa façon de traiter la question.
« Car, explique-t-il, après une première modification du droit libanais de 860 à 2 290 km2, l’équipe du commandant en chef a découvert une nouvelle ligne qu’elle a décidé d’appeler la ligne Qana (qui n’a rien à voir avec le champ Qana). Une ligne qui accorderait au Liban environ 1 300 km2, au lieu des 1 800 km2 réclamés par l’armée libanaise et son équipe de négociateurs ».
L’armée a catégoriquement démenti l’information dans un communiqué, qui assure que « les négociateurs poursuivent leur mission, et que les négociations techniques indirectes en coordination avec les autorités officielles sont basées sur l’étude que le commandement de l’armée avait préparée sur base du droit international (…) ».
Autrement dit, l’armée libanaise qui milite depuis plusieurs mois pour convaincre les autorités libanaises d’amender le décret et d’élargir la superficie maritime revendiquée par le Liban, n’a pas modifié sa position.
Selon des sources informées, lorsqu’on négocie, « il faut toujours réclamer le maximum avant d’entamer les négociations, car le résultat n’est jamais à la hauteur des attentes ».
La politique s’en mêle donc aujourd’hui, alors que les responsables se cachent derrière des considérations constitutionnelles pour ne pas signer l’amendement du décret.
En critiquant le commandant en chef de l’armée, le quotidien proche du Hezbollah entend discréditer la troupe. « Le Hezbollah n’a pas intérêt à ce qu’une armée forte lui ravisse son rôle au Liban-Sud », estime Laury Haytayan. « Ces critiques interviennent d’ailleurs après un mutisme du parti chiite concernant le dossier des frontières maritimes », observe-t-elle.
Selon notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid, le tracé des frontières maritimes est aujourd’hui l’otage des conflits internes et externes. « Il a fait sa tournée, il a été enterré, il est achevé sans approbation exceptionnelle, ni Conseil des ministres », constate-t-elle.
Avec, en prime, la déclaration depuis Baabda, le 16 avril dernier, du secrétaire d’État adjoint américain pour les affaires politiques, David Hale, que « les États-Unis sont prêts à faciliter les négociations concernant la frontière maritime entre le Liban et Israël conformément à la base sur laquelle les pourparlers ont été lancés », soit sur base des 860 km2 et non pas des 1 430 km2 supplémentaires revendiqués par le Liban.
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