jeudi 8 avril 2021

Kurt Landauer, président juif du Bayern Munich dans l’Allemagne nazie


Les supporters du Bayern Munich ont fait revivre au début des années 2000 la mémoire de Kurt Landauer. Il fut un personnage clé du Bayern Munich, avant d’être chassé de son poste par les Nazis dans les années 30. Revenu au pouvoir, puis oublié après sa mort, il est aujourd’hui une idole pour les supporters du Bayern Munich, qui affronte ce mercredi le Paris SG en Ligue des Champions.........Portrait........

Le visage de Kurt Landauer orne des écharpes, des tee-shirts, des maillots. Né en 1884, celui qui fut l’un des pères fondateurs du Bayern Munich, ce si grand d’Europe, a une histoire tourmentée.
Les fans du Bayern, notamment le kop de la Schickeria, l’ont dépoussiérée voilà vingt ans. Ils ont redonné une identité à ce marchand juif. Il fut président du club dans les années 20 et 30, chassé par les Nazis, arrêté et torturé, sauvé par l’exil, avant de revenir aider « son » club, après la guerre. On vous raconte son histoire.

Le sujet Landauer dérange encore

« Si vous pouviez ne pas mentionner mon nom. Il y a encore des gens bizarres… » Patrik S. a 35 ans. Fonctionnaire près de Munich, il est le porte-parole de la Fondation Kurt-Landauer. Une association qui veille à entretenir la mémoire de l’ancien président du Bayern Munich, mort en 1961 à l’âge de 77 ans.
Le sujet Landauer dérange encore quelques extrémistes. Extrêmement marginaux. Il n’en a pas toujours été ainsi.
Kurt Landauer est Munichois. Il rejoint le Bayern à 17 ans, en 1901, un an après la naissance du club. 
« C’est un club fondé par des étudiants, des gens un peu bohèmes, commente Patrik. La Bavière, a l’époque, est plus libérale que le reste du pays. Landauer découvre le foot, et en tombe amoureux. »
Ce fils d’un marchand juif, qui tient un commerce prospère de vêtements pour dames sur l’une des grandes places de Munich, va y consacrer sa vie. Quand son père l’envoie en Suisse, où il rêve d’en faire un banquier, Kurt reste fidèle au ballon rond. 
« À Lausanne, il a rencontré beaucoup d’étudiants étrangers, reprend notre interlocuteur. En Allemagne, le foot est considéré comme un sous-sport, un sport d’Anglais. Mais lui comprend comment l’organiser, le structurer. Sur et en dehors du terrain. Il veut le professionnaliser. »

Combattant de la guerre 14-18…

Landauer prend la tête du Bayern en 1913, remplaçant un président « touché par un scandale homosexuel. » 
Quand la 1re guerre mondiale éclate, il part au front. « Il a combattu en France, reprend Patrik. À l’époque, on prétend que les Juifs ne veulent pas servir dans l’armée. Pour lui, c’est un acte patriotique. »
Landauer échappe à la boucherie. 
Et reprend son poste en 1919. Au fil des années, il va faire grandir le club. Organisant des matches face à des équipes étrangères, pour le faire progresser. Face à Boca Juniors, à Budapest, une référence en Europe. En 1932, le Bayern gagne son premier titre national. À la veille du chaos.
… puis emprisonné à Dachau
Munich est une ville clé du régime nazi. C’est là que Adolf Hitler a rejoint le parti, après la 1re guerre mondiale. Là, en 1923, qu’il tente un putsch, et est arrêté. Là que se trouve l’épicentre de la Nuit des longs couteaux, purge lancée par Hitler en 1934. 
« Le Bayern est à ce moment-là présenté comme le club des Juifs, commente Dietrich Schulze-Marmeling, journaliste et auteur allemand. On a dit que 6 à 7 % de ses membres l’étaient, c’était sans doute plutôt 10 %. Plus en tout cas que dans le reste de la population de la ville. »
Après 1933, ils sont interdits de toute fonction officielle. Landauer doit quitter ses fonctions. 
Puis vient novembre 1938, et la Nuit de Cristal, marquée par les pogroms. Landauer est arrêté le lendemain matin. Emprisonné à Dachau, le camp de concentration situé à quelques kilomètres de Munich, il y sera torturé. Mais son statut d’ancien combattant lui permet d’être libéré. Il en profite pour fuir en Suisse.
« Des membres de sa famille ont été tués pendant cette période, reprend le porte-parole de la fondation. En exil, il retrouve des gens qu’il a connus à Lausanne. » 
En 1943, le régime nazi, qui soutient plutôt Munich 1860, l’autre club de la ville, organise une tournée de propagande. Le Bayern va jouer en Suisse… devant son ex-président.
« On a peu d’éléments sur cette histoire, parce qu’elle a été censurée par le Reich, commente Patrik S. Mais on sait que les joueurs l’ont reconnu, et applaudi… »

Il négocie un terrain avec les Américains

La guerre finie, Landauer revient à Munich. « Et on lui propose de reprendre la présidence, poursuit Patrik. 
D’autant qu’il est en bonne position pour discuter avec les Américains, qui gèrent la ville. Ils acceptent de lui fournir un terrain pour jouer. » Ce sera sur la Saebener Strasse, là où se situe encore aujourd’hui le camp d’entraînement du Bayern.
Président jusqu’en 1951, Landauer voit le club reculer. Il meurt dix ans plus tard, avant de sombrer dans un oubli quasi total. « Les gens n’aimaient pas trop se souvenir de cette période, de ceux qui l’ont vécue », rappelle Dietrich Schulze-Marmeling.

Une perte de mémoire de près de 40 ans

La perte de mémoire collective dure près de 40 ans. En 1997, Schulze-Marmeling publie un article évoquant Landauer. « Dans l’histoire officielle du club, il n’était pas mentionné qu’il était juif, et qu’il avait souffert pour cela. » D’autres journalistes s’emparent du sujet. Le public aussi.
« C’est l’époque où le Bayern redevient très populaire, rebondit Patrik S. Le club gagne, les gens ont envie de s’intéresser à lui. Il y a aussi un côté « politique. » À la fin des années 90, au début des années 2000, les Ultras intègrent souvent des skinheads, des ultranationalistes. 
Les jeunes ultras ont voulu s’en différencier, lancer des mouvements antiracistes. L’histoire de Landauer a pris tout son sens. »
La « Schickeria », un des principaux groupes de supporters, le popularise. Édite des objets à son effigie, créé un tournoi à son nom. « En 2004, le club m’a demandé d’écrire un article à son propos dans la revue officielle, enchaîne Schulze-Marmeling. 
Le Bayern a hésité à une période, craignant des réactions antisémites. Mais le président Rummenige (NDLR : qui a découvert sur le tard l’histoire de Landauer) a beaucoup fait bouger les choses. »
Des tifos officiels sont lancés. En 2013, Landauer est nommé président d’honneur du club à titre posthume. Un an après, un film lui est consacré. Sa statue, financée par la Fondation, trône au milieu du complexe d’entraînement de la Saebener Strasse.
« On n’a plus besoin de promouvoir sa mémoire, sourit Patrik. À Munich, tout le monde connaît maintenant son action et son histoire. Kurt Landauer est de retour aux affaires ! »

Source Ouest France
Vous nous aimez, prouvez-le....


Suivez-nous sur FaceBook ici:
Suivez nous sur Facebook... 
Sommaire
 Vous avez un business ?