Le temps est compté pour éviter la formation d’une marée noire autour du pétrolier Safer, qui s’est retrouvé bloqué par la guerre au Yémen dès 2015 au large des côtes d’un territoire contrôlé par les rebelles houthistes, avec à son bord 1,14 million de barils de brut.
Si des fuites se confirmaient, le pays et la région tout entière expérimenteraient une dramatique marée noire.
Le tanker appartenait au gouvernement yéménite et servait à entreposer le brut acheminé par un pipeline sous-marin, mais il a été saisi par les houthistes. Aucune opération de maintenance n’a pu être réalisée depuis cinq ans. Or « c’est un vaisseau avec une coque simple, immobilisé sous une température élevée, et dans une eau très salée.
Les risques de corrosion sont forts », explique John Ratcliffe, responsable Moyen-Orient du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs − OCHA). Sans compter que le bâtiment, vieux de quarante-quatre ans, aurait dû cesser d’être exploité il y a deux décennies.
1,6 million de Yéménites dépendent de la pêche
Personne ne savait expliquer, aux Nations unies cette semaine, pourquoi la communauté internationale a attendu autant pour réagir. Le Safer y était déjà décrit comme « une bombe flottante » il y a un an.
« C’est la quinzième fois en quinze mois que je vous parle du tanker Safer », a déclaré, mi-juillet, Mark Lowcock, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, au Conseil de sécurité. Une opération d’envoi de techniciens de l’ONU avortée en plein milieu de l’été 2019, un agenda du Conseil chargé sur d’autres fronts et le Covid-19 auront accaparé l’attention des diplomates, en particulier britanniques, qui, généralement, rédigent les résolutions concernant le Yémen.
Fin juin, en apprenant que la salle des machines du bâtiment se remplissait d’eau, ceux-ci ont enfin demandé à convoquer une réunion consacrée à la question.
Le 27 mai, de l’eau de mer a en effet commencé à remplir la salle des machines du tanker – une petite fuite.
La Safer Exploration and Production Operations (Sepoc), une compagnie pétrolière partiellement contrôlée par les houthistes, a alors envoyé des plongeurs, qui ont travaillé vingt-huit heures sous l’eau, sur une période de cinq jours.
Mais ils n’ont pu colmater la coque que de manière provisoire.
Selon les calculs de l’ONU, si une fuite de pétrole se confirmait, cela aurait un impact direct sur la vie de 1,6 million de Yéménites qui dépendent de la pêche. Or 90 % des membres de ces communautés vivent déjà d’une assistance humanitaire.
« Si une marée noire avait lieu, ce serait la catastrophe la plus sérieuse pour le Yémen depuis 2015 [le début de la guerre], estime la conseillère politique à la mission du Yémen aux Nations unies, Intisar Nasser. Nous serions obligés de fermer toute la région, y compris le port de Hodeïda, le point d’entrée de toute l’aide humanitaire. »
Ecosystème très riche
Inger Andersen, la directrice du programme des Nations unies pour l’environnement, a aussi prévenu que des écosystèmes très riches de la mer Rouge pourraient totalement disparaître.
« Malgré le contexte opérationnel compliqué, aucun effort ne doit être épargné pour établir tout d’abord un diagnostic technique ainsi que des réparations légères », en a-t-elle déduit devant le Conseil mercredi, mettant en garde contre « une catastrophe environnementale, économique et humanitaire imminente ». Quelques jours plus tôt, les houthistes ont fait savoir qu’ils étaient d’accord pour laisser entrer des experts techniques de l’ONU sur le territoire qu’ils contrôlent.
Habitué aux volte-face des houthistes, le Conseil de sécurité a décidé d’entériner les choses en leur répondant par une déclaration officielle.
L’ambassadeur allemand Christoph Heusgen s’est félicité de l’annonce des houthistes, et a rappelé que le Conseil de sécurité s’attendait à plusieurs garanties de leur part, notamment « permettre une route sûre vers le pétrolier pour faciliter un accès inconditionnel afin que les experts techniques des Nations unies évaluent le tanker et fassent des recommandations pour d’éventuelles réparations urgentes ou une extraction du pétrole en toute sécurité. »
L’ONU espère obtenir l’accord des houthistes pour envoyer des experts techniques courant août.
« L’équipe vit aux quatre coins du monde, confie John Ratcliffe. Et nous avons besoin de réserver un bateau de Djibouti pour qu’ils se rendent sur site. »
L’an dernier, les houthistes avaient annulé l’expédition des techniciens de l’ONU la veille de leur départ de Djibouti, sans explication.
En juin, les houthistes avaient demandé la garantie que le navire soit réparé et que la valeur du pétrole à bord serve à payer les salaires d’employés houthistes. La semaine dernière, le gouvernement yéménite a rétorqué qu’elle devait être dépensée pour la santé de la population alors que le pays subit toujours la pire crise humanitaire au monde.
Source Jeune Afrique & Le Monde
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