Beaucoup ont vu dans cette visite, qui a permis de regrouper les différentes factions palestiniennes généralement peu enclines à s’entendre, la réponse de l’axe dit de la résistance (terroriste) au processus de normalisation des relations entre Israël et certains pays du Golfe, sous la houlette du président américain Donald Trump.
D’ailleurs, dans ce contexte, le timing de la visite a toute son importance puisqu’elle a suivi l’annonce de la signature imminente d’un accord de paix entre Israël et les Émirats arabes unis, et précédé de peu une annonce similaire avec le royaume de Bahreïn. Il s’agit donc d’une confirmation claire, à partir de Beyrouth, de l’option de la résistance chez les différentes factions palestiniennes.
S’agit-il d’une déclaration de forme, destinée à remonter le moral des Palestiniens qui se sentent lâchés par la plupart des pays arabes, ou d’un prélude au lancement d’une nouvelle intifada, avec l’aval de l’axe de la résistance ?
Il est encore trop tôt pour répondre à cette question.
D’autant que la situation actuelle est particulièrement confuse dans la région, avec de nombreuses inconnues qui commencent par l’avenir des relations irano-américaines et se poursuivent avec le sort de la Ligue arabe et des nouveaux axes régionaux…
Toutefois, au-delà du message prévisible de dénonciation du processus de normalisation des relations entre certains pays du Golfe et Israël et de poursuite de la lutte pour la Palestine, la tournée d’Ismaïl Haniyé à Beyrouth a une autre portée.
Selon des sources palestiniennes bien informées, cette visite est le résultat d’un long processus de négociations menées principalement par le Hezbollah avec d’une part les autorités syriennes et l’Iran, et d’autre part les autorités turques et le régime égyptien.
Il faut préciser à cet égard que le Hamas, au sein duquel Ismaïl Haniyé occupe la fonction de chef du bureau politique, s’inscrit dans la mouvance des Frères musulmans et se place donc dans le giron du Qatar et de la Turquie, alors qu’il est combattu par les autorités égyptiennes et par le régime syrien, qui ne lui a pas pardonné sa participation à la guerre en Syrie aux côtés des formations de l’opposition.
Depuis des années, le Hezbollah cherche en effet à réconcilier le Hamas avec Damas, d’abord pour maintenir le cap sur la Palestine et ensuite pour pouvoir ramener le Hamas dans la mouvance iranienne et mettre ainsi en échec toutes les tentatives de créer une discorde entre sunnites et chiites. Celle-ci serait en effet fatale à la résistance palestinienne et détruirait toute la thèse iranienne de défense des droits des Palestiniens.
La visite d’Ismaïl Haniyé à Beyrouth est donc le signe que les efforts du Hezbollah ont été couronnés de succès.
Elle a ainsi permis d’afficher une certaine unité musulmane dans le but de renforcer la résistance contre Israël.
Mais en même temps, elle donne des indices concrets sur une nouvelle alliance régionale qui se profilerait à l’horizon, entre l’Iran d’une part et la Turquie de l’autre.
Ces deux grands pays à l’échelle de la région, qui alternent depuis des années les conflits et les trêves, se dirigent actuellement vers une coopération plus étroite sur plusieurs dossiers. Il est vrai que le Hamas, qui est donc proche des Frères musulmans et de la tendance islamique turque et qatarie, a depuis quelque temps rétabli les ponts avec l’Iran, mais cette fois, les réunions qu’Ismaïl Haniyé a eues au Liban avec les différentes factions palestiniennes, ainsi qu’avec certaines parties libanaises, montrent que les relations entre les deux pôles régionaux sont plus stables.
Ce qui lui a permis d’être plus à l’aise dans ses prises de position. Pour le Hezbollah, c’est donc une visite de la plus haute importance.
Indépendamment des considérations régionales et du rapprochement turco-iranien qui ne peut que servir ses intérêts, la visite du leader du Hamas et sa tournée dans plusieurs camps palestiniens renforcent la position du Hezbollah en permettant de neutraliser d’éventuels projets de discorde entre sunnites et chiites qui pointaient au Liban, notamment avec les incidents à Khaldé.
En se positionnant en leader des camps, où le Hamas a une influence considérable, Ismaïl Haniyé a remis le cap sur la Palestine, tout en poussant les Palestiniens à ne pas se laisser entraîner dans des conflits qui ne peuvent qu’être destructeurs.
C’est important pour le parti chiite, et pour le Liban en général, puisque les camps palestiniens sont parfois considérés comme des lieux favorables à l’extrémisme sunnite et peuvent abriter ce qu’on appelle « des cellules dormantes ».
Dans toutes les enquêtes menées par les services libanais avec les jihadistes, il y avait le plus souvent un lien avec un camp palestinien, en particulier celui de Aïn el-Héloué où Ismaïl Haniyé a été accueilli en grande pompe.
Ensuite, sur un plan purement libanais, le responsable palestinien, avec la tendance islamiste qu’il représente, a un lien particulier avec la Jamaa Islamiya, qui constitue en quelque sorte la version libanaise des Frères musulmans. Or, la Jamaa a une influence certaine dans les milieux sunnites, notamment à Tripoli et à Saïda.
En cette période particulièrement délicate au Liban et dans la région, il est important pour le Hezbollah de nouer des liens solides avec les différentes formations sunnites, dont la Jamaa, pour désamorcer toutes les possibilités de tensions communautaires.
Dans ce contexte, la visite d’Ismaïl Haniyé au Liban a donc constitué un succès pour le Hezbollah, en représentant un frein aux projets de discorde entre sunnites et chiites.
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