On n’attendait pas l’écrivain israélien Yishaï Sarid, déjà connu en France comme auteur de romans policiers, sur le terrain littérairement délicat de la Shoah. Le Monstre de la mémoire prend la forme d’une lettre rédigée par un historien spécialiste des camps de la mort en Pologne et guide attitré des lycéens israéliens lors de leurs voyages sur place.......Détails.......
Il écrit au président de Yad Vashem, l’Institut international pour la mémoire de la Shoah à Jérusalem, «représentant officiel de la mémoire», qui mandate le guide et le rémunère.
C’est un récit que le président attendait à la suite d’un événement dommageable dans lequel le guide est impliqué. Yishaï Sarid ne relate cet événement qu’à la toute fin, il survient tel un orage dénouant une tension croissante devenue insoutenable.
Le récit s’enchaîne d’une manière implacable, compacte, mettant en lumière le détail des processus en cours comme autant de rouages d’une mécanique infernale.
Avec le temps qui passe, il ne s’agit plus seulement aujourd’hui de ne pas oublier, mais encore de s’interroger sur l’impératif de la mémoire, alors que disparaissent les derniers survivants de l’Holocauste.
Comment parler de la Shoah?
Comment se prémunir contre l’oubli sans fabriquer un «monstre de la mémoire», une religion de la survie, voire entretenir un sourd désir de vengeance?
Le roman de Yishaï Sarid aborde ces questions difficiles, voire gênantes. Le Monstre de la mémoire a reçu bon accueil en Israël en 2017.
Critique la plus enthousiaste, la poétesse Navit Barel estime qu’il forme une «sainte trinité» aux côtés de Primo Levi et de la philosophe Hannah Arendt.
«Mièvreries ritualisées»
Né en 1965, fils d’un ancien ministre de Yitzhak Rabin et d’Ehud Barak, époux de la petite-fille de Moshe Dayan, lui-même ex-officier de l’armée israélienne, Yishaï Sarid porte avec force le questionnement de la mémoire de l’Holocauste pour des générations aux liens toujours plus ténus avec l’époque nazie.
D’une précision ethnologique, son roman fouille dans les moindres détails l’efficacité mortifère des camps d’Auschwitz-Birkenau, de Treblinka, de Sobibor et de Belzec.
Ecrasé par le poids de la mémoire qu’il a défrichée, le narrateur en arrive à douter des effets de sa parole sur les visiteurs qu’il guide.
Constatant que l’extermination, conçue comme un processus industriel fondé sur la haine, s’appuyait sur «l’instinct animal de survie (à tout prix) qui huilait les rouages de leur entreprise de mort» et «le renoncement humain devant la force écrasante», le guide de Yad Vashem porte le questionnement à son paroxysme.
Il est en quelque sorte malade de trop de savoir et se met à douter sur la manière de parler aux lycéens qu’il instruit, supportant de plus en plus difficilement leurs «mièvreries ritualisées», des chants «insipides joués à la guitare», les kaddishs, les drapeaux dans lesquels ils s’emballent, les larmes, les bougies.
Vivant la plupart du temps en Pologne, loin de sa famille restée à Tel-Aviv, le guide, pourtant très imprégné de l’importance de son rôle, perd peu à peu le fil de sa vie personnelle à force de se mouvoir dans l’horreur historique.
Comme les kapos juifs
Le narrateur s’interroge sur l’usage de la force et de la violence d’une manière radicale qui remue nos angoisses au-delà même de la tragédie de la Shoah. «Qu’auriez-vous accepté de faire pour survivre?»
Ses questions incluent le rôle longtemps tabou des kapos juifs des camps, non pour les accabler, mais pour interroger l’instinct de survie et se persuader qu’il se serait comporté comme eux, aurait transporté les cadavres des chambres à gaz aux crématoires, aurait arraché les dents en or de leur bouche.
Et de rappeler ces chiffres sur le «bon fonctionnement de l’extermination à Treblinka»: 30 Allemands, 150 Ukrainiens et 600 juifs y travaillaient.
Il parle de ce qui s’est passé, mais suggère encore ce qui pourrait arriver, voire arrive déjà.
Que penser de la Shoah en tant qu’exposition ou jeu d’ordinateur prétendument didactique (le narrateur participe un peu naïvement à une telle expérience), ou encore, ainsi que s’achève le roman, en tant que documentaire manipulant jusqu’au gardien de la mémoire?
Genre roman
Auteur Yishaï Sarid – traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz
Titre Le Monstre de la mémoire
Editeur Actes Sud
Pages 158
Source Le Temps
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