Une nouvelle posture politique
Jusqu’ici, cette minorité qui représente pourtant 16 % du corps électoral israélien n’avait que peu de poids politique, du fait d’un taux d’abstention élevé lié à la volonté de ne pas siéger avec des partis "sionistes".
Ce choix de boycott des institutions politiques israéliennes avait pour conséquence une auto-exclusion du jeu politique.
Ces deux facteurs ne sont plus de mise : le taux de participation est en hausse, notamment chez les jeunes et les femmes, et Ayman Odeh, le charismatique leader de la liste arabe unie, a déclaré avec fracas l’année dernière qu’il accepterait de siéger dans une coalition avec des partis sionistes à certaines conditions – un accord de principe sur la fin de l’occupation, la signature d’une paix juste à Gaza, l’abrogation de la loi sur l’État-nation et l’investissement de fonds publics dans les communautés arabes.
Prenant au mot les inquiétudes exprimées en 2015 par Benyamin Nétanyahou à propos d’un vote « des Arabes en masse », les Palestiniens d’Israël ont élu ce 2 mars 15 représentants à la Knesset, qui compte 120 députés. Il s’agit d’un record historique.
Lors des dernières élections, en septembre 2019, la liste arabe avait obtenu 13 sièges, un bon score déjà souligné par la presse.
Alors que nombre d’observateurs politiques craignaient que les électeurs arabes, lassés, ne soient pas au rendez-vous, ce taux record de participation – d’après les premières estimations, il atteindrait 65 % contre 59 % en septembre 2019 et 49 % en avril 2019 – suggère que ces élections répétées sont un vecteur inattendu de politisation.
Il s’explique certes par le fait que les partis arabes ont fait le choix de présenter une liste commune, mais également par la prise de conscience que leur voix, jusque-là réduite au silence, peut se faire entendre.
Lors des élections d’avril 2019, deux listes s’étaient affrontées, les partis arabes obtenant un total de 10 députés.
On pouvait craindre le contraire, dans un contexte où le leader du parti Bleu Blanc Benny Gantz refuse catégoriquement de siéger avec eux malgré leurs appels du pied.
Pour l’ancien chef d’état-major, pas question de s’allier avec des Arabes et de donner au raison au Likoud de Nétanyahou, qui a utilisé la perspective de cette possible alliance pour décrédibiliser son adversaire auprès de l’électorat de droite.
De faux comptes Facebook incitant au boycott du scrutin par la population arabe ont joué sur les réactions suscitées par ces propos en martelant l’idée que les Arabes seraient exclus de la politique israélienne.
Grâce au travail de signalement de l’ONG Bloc Démocratique, ils ont été supprimés. L’ONG n’a pas été en mesure d’identifier les responsables.
À la surprise générale, c’est bien l’inverse qui s’est produit : les électeurs arabes sont allés voter en masse.
Benny Gantz se retrouve ainsi dans l’impasse d’un ni-ni – coalition ni avec les partis arabes, ni avec le Likoud tant que Nétanyahou en tient les rênes – qui ne lui laisse que peu d’options, en l’absence d’une « jewish majority » – expression révélatrice de Yair Lapid, numéro 2 du parti Bleu Blanc qui s’était d’ailleurs prononcé contre le mariage entre citoyens israéliens juifs et arabes, se distanciant de l’agenda de la gauche israélienne.
Enfin, l’attractivité de la liste arabe unie s’explique par un changement de ton en matière de communication politique.
Loin de l’appel à la pitié mettant l’accent sur la souffrance des Palestiniens, les leaders de la liste arabe unie n’hésitent pas à employer un ton humoristique. Ils sont actifs sur les réseaux sociaux et orchestrent d’une main de maître leur couverture médiatique. Ayman Odeh s’adresse directement à l’opinion internationale par l’intermédiaire de tribunes dans le New York Times et crée un jeu d’écho qui souligne le deux poids deux mesures de l’État hébreu en allant attendre à l’aéroport le citoyen israélien Youssef Majdoub, de retour après avoir été emprisonné en Turquie où il avait été arrêté à la suite d’un délit de fuite lors d’un contrôle de police.
Les images rappellent celle de « Bibi » se posant en libérateur de la jeune Naama Issachar, arrêtée et emprisonnée pendant neuf mois en Russie pour possession de cannabis, et finalement graciée par Vladimir Poutine en janvier 2020 à l’occasion d’une visite à Moscou du premier ministre israélien.
Ahmed Tibi, le numéro 3 de la liste, n’hésite pas quant à lui, pour répondre à la campagne de dénigrement du Likoud bli tibi (« sans Tibi »), à mettre en scène dans un clip vidéo un Nétanyahou hagard, obsédé par Tibi au point d’en rêver la nuit.
La hutzpa, ou l’aplomb du Likoud, appelant par la voix d’Avi Dichter les Arabes israéliens à voter Nétanyahou, n’est donc pas parvenue à faire oublier la violente campagne de dénigrement que le parti de droite a orchestrée à l’égard de ces citoyens.
Le souvenir de la proposition d’installer des caméras dans les bureaux de vote des régions à prédominance arabe aux dernières élections est encore vif. Portée par les membres du Likoud, cette proposition accusait sans fondement les partis arabes de truquer le vote en leur faveur.
Quelle place pour les Arabes en Israël ?
Ainsi, le véritable enjeu de ce scrutin pour la communauté arabe est bien sa place dans la société israélienne.
La révélation des dispositions prévues par le « deal du siècle » américano-israélien enterre un peu plus une solution à deux États déjà moribonde. L’annexion de tout ou partie de la Judée Samarie par Israël pose le problème in fine de l’intégration de la population arabe au sein d’Israël.
Il n’est donc pas déraisonnable d’interpréter ce scrutin comme un message envoyé par la population arabe à l’opinion publique israélienne et américaine, rappelant en substance : « Vous ne pouvez pas faire sans nous ».
Le message renvoyé par la classe politique israélienne est on ne peut plus clair : « On ne veut pas de vous. »
En effet, comment expliquer autrement le refus du parti Bleu Blanc de former un gouvernement avec les partis arabes ?
Le célèbre journaliste et essayiste Gideon Levy faisait à ce propos remarquer que si Israël n’a pas le monopole du racisme, hélas universellement partagé, la spécificité de l’Israël de Bibi est de l’ériger au rang de politiquement correct. À travers ces tribunes d’opinion, la question âprement débattue de l’avenir de la gauche se dessine à l’horizon.
Les partis de gauche ont eux aussi fait le choix de l’alliance pour ce scrutin, les partis Havoda (travailliste), Meretz et Gesher présentant une liste nommée « Vérité ».
Sept de leurs députés pourraient siéger dans la nouvelle Knesset au vu des premiers résultats. S’achemine-t-on vers une alliance juive-arabe ?
Les affiches d’Ayman Odeh dans les rues de Tel-Aviv portant l’inscription « This is real left » semblent avoir répondu à la question.
Source The Conversation
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