lundi 27 janvier 2020

« Au revoir les enfants », l'innocence perdue (Vidéo)


En 1987, Louis Malle signe l'un de ses plus beaux films, qui renvoie à un souvenir douloureux de sa propre enfance. Dans la réalité, Jean Bonnet, alias Jean Kippelstein, s'appelait Hans-Helmut Michel. C'était un camarade juif de Louis Malle au collège catholique de Notre-Dame de Sion d'Avon.......Détails et Film complet.......


Arrêté par la Gestapo au collège, il fut déporté par le convoi 67 en janvier 1944. Quarante-trois ans plus tard, de retour en France après un long séjour aux États-Unis, Louis Malle revient sur cet épisode qui marqua pour lui la fin de l'innocence. Mais plus encore.
On a souvent qualifié Malle de cinéaste éclectique. Rien de plus faux. Un même thème, ou plutôt, une même quête, l'obsède : déboulonner les mythes. Tarte à la crème ? Disons alors, démasquer les faux-semblants. 
Celui de l'engagement (Lacombe Lucien), de la famille (Le Souffle au cœur), de l'amour (Les Amants), du bonheur (Le Feu follet, Atlantic City), des conventions sociales(Le Voleur). 
Sous ses dehors proprets de fils de la grande bourgeoisie, l'héritier de la famille Beghin-Say fut un dynamiteur qui n'a cessé de faire voler en éclats les piliers de sa caste. 
Parce qu'il était écartelé entre ses privilèges d'Occidental blanc, hédoniste et séducteur, et des tourments plus profonds, l'emprise visqueuse du passé, de son éducation, l'impossibilité de vivre le présent, l'incapacité à quitter sa peau, Malle est au fond bien plus intéressant que Truffaut, Chabrol et Rohmer réunis – laissons Godard de côté –, qui n'ont jamais réfléchi avec sérieux sur l'identité, l'autre, ou la conscience de classe. 
À cet égard, il faut (re)voir le bouleversant examen de conscience qu'est ce documentaire L'Inde fantôme, où Louis Malle, fuyant en Inde au début de l'année 1968, s'interroge, face au spectacle indien, sur ce qu'il est. Il n'en sera pas moins l'un des rares cinéastes français à s'intéresser d'aussi près à d'autres cultures que la sienne, celles de l'Inde ou des États-Unis.
Parmi les faux-semblants envoyés aux orties, l'enfance. Sa fameuse insouciance. 
Des blagues, oui ! 
La Zazie du métro, le fils incestueux du Souffle au cœur, Lacombe Lucien, Brooke Shields dans La Petite, Quentin et ses camarades dans Au revoir les enfants : autant de gamins projetés dans un monde d'adultes désaxés, dangereux, au mieux irresponsables, au pire criminels. 
Plus dure est la chute, plus dure la fin de l'enfance, sifflée comme la fin d'une récréation. 
En 1975, Malle était parti fâché de France après les polémiques autour de son milicien Lacombe Lucien, môme paumé qui aurait tout aussi bien pu entrer dans la Résistance : sa mise en doute de l'héroïsme avait hérissé le poil d'une France encore largement gaullisto-communiste. Comme il s'en fichait.

La culpabilité d'une certaine France

Il s'en moque tellement qu'il revient en 1987 avec une autre œuvre sur la période, filmée du point de vue du témoin qu'il fut, enfant qui ne pouvait rien faire, sinon constater les dégâts, constater que son père, – le grand absent du film – continuait à faire ses affaires dans le Nord comme si de rien n'était. Mais si on ne sent pas responsable, on peut s'estimer coupable. Malle déclarera que le vrai sujet d'Au revoir les enfants était la culpabilité. Celle d'une certaine France. La sienne.
Le film se conclut sur une scène très dérangeante. 
Par un simple regard qui lui échappe, Julien Quentin (double de Louis Malle) dénonce involontairement Bonnet, alias Kippelstein, à la Gestapo à la recherche des enfants juifs cachés. 
Dans la réalité, Malle n'avait pas provoqué l'arrestation de son camarade. C'était le biais qu'il avait trouvé pour exprimer une culpabilité qui le hantait. Pour autant, il avança masqué, comme me l'avait confié, pour un ouvrage que j'avais consacré aux enfants du cinéma, Gaspard Manesse, interprète de Julien Quentin: le cinéaste lui en avait dit le moins possible pour ne pas fausser sa spontanéité.
J'avais vu Au revoir les enfants, à sa sortie, à l'automne 1987, assis à côté d'une camarade d'hypokhâgne qui allait accompagner quelques années de ma vie. 
C'était aux Trois Luxembourg, deux garçons de notre classe nous accompagnaient. 
Un peu cyniques, ils avaient pris de haut un film qualifié de facile, de tire-larmes opportuniste dans une France encore sous le choc du procès Barbie qui s'était tenu quelques mois auparavant. 
Comme si le cinéaste avait pu anticiper ce procès. J'avais deviné l'émotion de ma voisine. 
Rien que pour cela, j'avais défendu Louis Malle, dont je n'avais vu aucun autre film à l'époque. 
Aujourd'hui, j'avancerai quelques autres arguments.
Le dernier plan du film est un pan de mur. L'instant précédent, le juif Bonnet a franchi la porte du collège, emmené par la Gestapo. 
Il traîne, se retourne, est tiré en avant, englouti dans le hors-champ, la machine de mort nazie. Le vide. Une absence. Le regard d'Orphée aux enfers inversé, effacé. 
Après ce regard, il ne peut plus y avoir de film, le mot « fin » apparaît.
Qu'a-t-on vu jusque-là ? 
L'amitié contrariée, âpre, rugueuse entre un garçon catholique et un garçon juif. Où le premier est irrésistiblement attiré par le mystère du second forcément secret, aux aguets, dans un jeu de miroirs troublant. 
Ce miroir où Julien, fouillant dans les affaires de Bonnet, découvre en lisant à l'envers le véritablement nom de Bonnet, Kippelstein, inscrit sur un livre de prix. Voilà le secret révélé en inversant le sens des lettres, en les parcourant comme en hébreu. 
Attrait, curiosité pour l'Autre – « qu'est-ce qu'un youpin ? », demande alors à son frère aîné Julien, qui ne cesse de harceler Bonnet de questions idiotes. « On n'est pas juifsnous ? » interroge-t-il même sa mère, grande bourgeoise, comme par provocation, en présence de Bonnet. 
Réponse impayable de la mère : « Il ne manquerait plus que ça. Remarquez, je n'ai rien contre les juifs, au contraire, à part Léon Blum évidemment.  »
Si l'incommensurable solitude obsède les films de Louis Malle – comment oublier celle de Maurice Ronet déambulant parmi les vivants dans Le Feu follet ? –, jamais plus que dans Au revoir, les enfants, il n'aura tenté d'abolir cette solitude. 
Avec des scènes qui se répondent et marchent comme par hasard par deux. En voici quatre, deux fois deux, les plus belles, les plus subtiles, d'un film bien plus profond qu'il n'y paraît.

Un bleu dont on ne guérit pas

Lors d'une alerte de bombardement, les collégiens poursuivent leur cours d'algèbre dans une cave. 
La lumière disjoncte. Julien braque sa lampe sur ses camarades, en surprend deux bien serrés – oh, les amoureux ! – tandis que tout le monde se met à prier. 
La caméra s'attarde sur Bonnet, qui ne prie pas, et pour cause. Julien, qui ne sait rien encore, n'a vu que les amoureux, mais non ce silence que le spectateur comprend déjà. 
Plus tard dans le film, après qu'il a découvert l'identité de son camarade, une nouvelle alerte oblige les gamins à retourner à la cave. Bonnet est en train d'apprendre une mélodie au piano à Julien. 
Ils sont devenus amis. Ils se cachent pour ne pas avoir à rejoindre l'abri et tandis que les bombes pleuvent, ils s'amusent à jouer du jazz à quatre mains. L'amitié, la seule échappatoire, provisoire et, ô combien, fragile, à l'Histoire et à la tragédie.
Une chasse au trésor fléchée est organisée dans la forêt. Poursuivi par une équipe rivale, Julien se perd jusqu'à se retrouver seul au milieu des arbres et des rochers qui prennent au crépuscule une allure effrayante. Il a expérimenté, sur le mode du jeu, la sensation de la traque. 
Cette traque qui est la réalité quotidienne de Bonnet. Les deux garçons se retrouvent dans la forêt et font du stop sur une route. Des Allemands s'arrêtent. Bonnet, suivi par Julien, qui l'imite, s'enfuit, vite rattrapé. Ils sont ramenés au collège sans dommage. 
Mais la réalité les a rattrapés aussi. Julien est devenu Bonnet. Pour un moment seulement. 
De retour en classe, il enjolive l'épisode, bascule à nouveau dans la fiction, avant de prêter à Bonnet Les Mille et Une Nuits. Il est encore dans le conte et dans l'enfance d'un fils trop attaché à une mère à la fois lointaine et fusionnelle – la scène d'ouverture du film, sidérante déclaration d'amour qui rime avec le film de Louis Malle sur l'inceste. 
Un peu plus tard, après un sermon terrible du père supérieur contre les riches, Bonnet décide d'aller communier. Pour faire comme les autres. Il vient s'agenouiller à côté de Julien qui le regarde, les yeux écarquillés. Au tour de Bonnet de devenir Julien. 
Mais le prêtre, estomaqué, escamote, l'hostie à la main, Bonnet, qui reste la bouche ouverte, privé de communion, au sens propre comme au sens figuré. On n'échappe pas à sa condition. 
De l'impossibilité de devenir l'Autre.
On a parlé de cette réalité qui vient annihiler toute possibilité de jeu, déchirer l'univers insouciant d'un jeune bourgeois seulement préoccupé par l'absence de sa mère. 
Un jeu revient tout au cours du film. Ce jeu si typique de l'époque où les garçons s'affrontaient sur des échasses. En garde, Négus ! Notre Dame, Montjoie ! 
Je suis Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche… Ces enfants convoquent l'Histoire, le combat, mais sur un mode ludique. Avant que l'Histoire ne les convoque, sur un tout autre mode. 
Lors du premier affrontement, Julien était tombé, avait saigné. Un premier avertissement. Un simple bobo. 
Avant le véritable bleu à l'âme que l'arrestation de Bonnet allait lui infliger. Un bleu dont on ne guérit pas, pas même avec le pansement d'un film.

Koide9enisrael vous propose de voir le film complet ici:
    

Source Le Point & Koide9enisrael
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