Le destin particulier d’Etty Hillesum n’en finit pas de susciter analyses et commentaires.
Voilà une jeune femme qui, deux ans après l’invasion de son pays par les nazis en mai 1940, se met – à ses risques et périls – au service des personnes placées au camp de transit de Westerbork.
Quand elle-même sera déportée, elle emportera dans son sac à dos la Bible, un dictionnaire russe (sa mère avait fui les pogroms russes en 1907) mais aussi Le livre d’heures de Rainer Maria Rilke.
En présentant et en choisissant des extraits de ses écrits (288 fragments au total), Gérard Pfister note que « c’est cette qualité d’attention au monde extérieur comme au monde intérieur, c’est cette gravité qu’Etty a apprises de Rilke et intégré à sa manière d’être ».
Il ajoute : « chez Rilke, Etty a appris l’acceptation du monde tel qu’il vient et la capacité de le voir vraiment, en ce qu’il a toujours de « beau » et de terrible ». Ce qui fait également dire à Gérard Pfister que « bien des attitudes d’Etty (…) peuvent plus aisément trouver leur grille de lecture dans la vision du monde rilkéenne que dans des influences religieuses, qu’elles soient juives et chrétiennes ».
Comme un phare dans la nuit
On comprend mieux que la jeune Etty, au plus profond de cette détresse qu’elle côtoie au camp de transit, ait pu ressentir l’œuvre de Rilke comme un phare dans la nuit, comme une étoile qui vous guide vers d’autres horizons.
« Et de quoi, écrit-elle, peut-on bien parler quand on se retrouve avec tant de soucis et de responsabilités sur quelques mètres carrés de lande grillagée dans la plus pauvre des provinces de Hollande ?
De Rainer Maria Rilke, bien sûr ! ». Etty voit en Rilke « une tendresse qui s’enracine dans un terreau originel de force et de rigueur vis-à-vis de soi-même ». Elle veut lire Rilke « tout entier », « l’intégrer » en elle, s’en « dépouiller » puis vivre de sa « propre substance ».
Il y a dans ce livre de pensées, méditations, réflexions, bien d’autres considérations de sa part sur la vie et le monde : la nécessaire émancipation de la femmes (« peut-être la femme n’est-elle pas encore née en tant qu’être humain »), le refus de l’esprit de système, l’importance de la poésie (« un vers de poésie est une réalité de même grandeur qu’un ticket de fromage ou des engelures »), l’art d’économiser ses mots (« que chaque mot soit une nécessité »), une nouvelle approche de Dieu (« une chose m’apparaît de plus en plus clair : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui devons t’aider »)…
Etty Hillesum renverse les perspectives.
Ses pensées sont plus que jamais à méditer en ces temps de chaos. « Toutes les catastrophes procèdent de nous-mêmes », estimait la jeune femme.
Pierre TANGUY
Ainsi parlait Etty Hillesum. Dits et maximes de vie choisis et traduits du néerlandais par William English et Gérard Pfister, édition bilingue, Arfuyen, 180 pages, 14 euros.
Source Bretagne Actuelle
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