Invité par l’association Traversée, l’écrivain Marek Halter donne une conférence ce jeudi 20 juin au palais de Fervaques à l’occasion de la sortie de ses mémoires. Il évoque son infatigable combat pour la paix........Détails et Vidéo..........
Quand on a connu le ghetto de Varsovie, que l’on a été apatride, que l’on a connu les guerres israélo-arabes, est ce que l’on peut encore avoir foi en l’homme ?
« Bien sûr ! Si l’on n’a pas la foi en l’homme, en quoi pourrait-on avoir la foi ? On n’a pas changé le monde, mais nous avons gagné des batailles. Nous avons arrêté la guerre à Belfast en Irlande du Nord.
Il y avait l’Apartheid en Afrique du Sud, nous avons manifesté, pétitionné et aujourd’hui, quand on reçoit une équipe de rugby d’Afrique du Sud, il y a des blancs, des noirs, côte à côte, et qui représentent une équipe commune. En Allemagne, il y avait un mur qui séparait deux mondes, et il est tombé. Le paradis n’est pas pour demain, nos rêves ne se réaliseront pas du jour au lendemain, mais on fait des progrès.
Les gens vivent plus longtemps. J’ai 83 ans, mon père est mort à l’âge de 57 ans. Si on ne combat pas, si on ne croit pas que dans notre immeuble on peut mobiliser des gens pour améliorer la vie de l’immeuble, à quoi bon ? »
Quel événement vous a le plus marqué au cours de votre histoire personnelle ?
« Parfois, ce sont des choses personnelles simples. J’ai mobilisé l’opinion publique avec mon ami Rostropovitch sur Sakharov qui a été envoyé au goulag sous Brejnev.
Un jour, le téléphone sonne, une voix me parle en russe. C’était Sakharov qui me remerciait pour tout ce que j’avais fait pour lui. C’était un moment extraordinaire.
C’était la victoire d’un homme qui a pu sauver un autre homme parce qu’il croyait que son combat pourrait aboutir. »
Récemment, le président Macron s’est dit frappé par la ressemblance de l’Europe actuelle voir le monde avec celui des années 30 ? Partagez-vous ce sentiment ?
« Non. Je comprends qu’on puisse faire appel à notre mémoire de l’histoire pour faire comprendre les dangers qui nous guettent. Mais ce n’est pas la même chose.
Les médias ne sont pas les mêmes. Imaginons une seule seconde si Hitler avait eu à sa disposition les réseaux sociaux, vous vous rendez compte ? Mais imaginons dans le même temps si Simone Veil avait eu à sa disposition un portable ?
Le monde entier aurait su ce qui se passait à Auschwitz. Personne n’aurait pu dire “Je ne savais pas”. On a à notre disposition des moyens pour réagir qui n’existaient pas à l’époque de nos parents. Je parle de cette nécessité presque absolue, charnelle, existentielle d’avoir un bouc émissaire, quelque chose qui explique que ça ne marche pas.
C’est la faute à qui ? Il doit y avoir quelqu’un qui a jeté un mauvais œil. Alors on trouve un bouc émissaire. Ce sont les Arabes, les noirs, les sorcières, les homosexuels, ou les Juifs, un bon bouc émissaire. Mais nous avons les moyens aujourd’hui de prévenir. Nous pouvons ouvrir une plate-forme sur le Net pour expliquer, argumenter.
Nous ne l’utilisons pas toujours. Un jour, j’étais avec Simone Veil à un dîner chez Willy Brandt, à Berlin. À un moment donné, il me dit : “Vous savez pourquoi la démocratie a sombré dans la république de Weimar ? Non pas parce qu’il y avait trop de fascistes, mais parce qu’il n’y avait pas assez de démocrates”.
Ce qui me fait peur, ce n’est pas le nombre de fascistes entrés dans le Bundestag, le Parlement allemand en 2017. Une première depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce qui me fait peur, c’est l’indifférence de la majorité du peuple allemand. »
Justement, avons-nous appris et retenu quelque chose du XXe siècle ?
« Nous avons retenu et pas retenu en même temps. Nous connaissons les deux guerres mondiales.
Sur les chaînes de télé, on voit régulièrement des documentaires sur la Seconde Guerre mondiale. Mais comment entretenir la mémoire ? Suffit-il de répéter à l’infini à l’école la Shoah, la Résistance, Oradour-sur-Glane ? Les gens en auraient ras le bol.
On continue de montrer les images de la Seconde Guerre mondiale, les morts, et ça, ça ne fait pas rêver. Nous devons parler autrement de notre Histoire. »
Ressentez-vous une montée de l’antisémitisme dans le monde ?
« On voit monter les actes antisémites. On a une législation qui condamne tout acte qui exclut l’autre parce qu’il est différent. Mais on ne peut pas obliger par la loi d’aimer un Musulman, un noir, un bossu. C’est un long travail d’apprentissage.
La haine vient de l’ignorance. Il faut faire connaître dans les écoles l’histoire de Moïse, de Jésus né dans une grange à Bethléem. De Mahomet. Ce sont des histoires aussi passionnantes que “Le petit prince” de Saint-Exupéry.
Je demande depuis des années à tous les ministres de l’Éducation d’introduire cela dans les écoles et ils ne veulent pas parce qu’ils partent du principe que nous sommes une république laïque et qu’on n’a pas à parler de religion.
Or, ce n’est pas une question de religion, ça fait partie de notre patrimoine culturel. Ce sont des belles histoires qui feront rêver nos enfants. Quand tout va bien, on accepte tout le monde.
Dès qu’il y a une crise, on cherche un bouc émissaire. C’est dans notre nature. Quand tout va mal, on cherche un responsable, et ce responsable peut être vous, moi ou quelqu’un d’autre demain. »
Selon vous, Israël et ses voisins arabes sauront-ils un jour entretenir des relations apaisées ?
« Oui bien sûr. J’ai un projet personnel. Faire un pas vers la paix entre Israéliens et Palestiniens grâce aux femmes.
Je crois que la fin de ce siècle appartiendra aux femmes, comme Marx croyait que le XXe siècle appartiendrait au prolétariat.
Je suis en train d’organiser une marche avec 300 000 femmes (150 000 Israéliennes, 150 000 Palestiniennes) qui vont partir par deux cortèges le 21 septembre 2020, à l’occasion de la journée internationale de la paix proclamée par l’Onu, et vont monter vers Jérusalem avec une seule pancarte sur laquelle seront inscrits : Peace, Shalom, Salaam.
Et je vous garantis qu’après ça, Israéliens et Palestiniens seront obligés de s’asseoir à la table des négociations. »
Sommes-nous à l’abri d’une Troisième Guerre mondiale ?
« Oui, pour l’instant. Nous connaissons les dangers, mais nous ne faisons rien contre ces dangers. Au Proche-Orient, j’aurais proposé au président d’Israël une rencontre avec le président iranien Rohani, car c’est avec les ennemis qu’on fait la paix.
Quand j’ai présenté Arafat à Shimon Peres et Rabin, Arafat n’était pas plus respectable que Rohani. C’était un terroriste. Et il a quand même signé la paix. Il ne faut pas avoir peur.
Nous avons des ennemis sur le plan idéologique, relationnel, philosophique, et alors ? On n’est pas obligé de tous respecter la même manière de vivre, mais on apprend à vivre ensemble.
Nous sommes trop rigides. Il ne faut pas oublier que les Perses ont aidé les Juifs à reconstruire les premiers temples. On n’a pas été ennemis depuis toujours. Rien n’est définitif.
Je crois que dans 20 millions d’années, quelle que soit la vie sur cette terre, il y aura toujours un Roméo pour dire à une Juliette “Je t’aime”. »
Votre livre s’intitule « Je rêvais de changer le monde ». Y avez-vous réussi ?
« Je n’ai pas changé le monde, mais j’ai participé à des changements. Nétanyaou n’a plus besoin de moi pour appeler les Palestiniens. L’autre, même en ennemi, il existe.
Avant, il n’existait pas. Il y a des Israëliens qui visitent la Mecque de nos jours. Mais il reste la violence, on n’a pas encore trouvé le moyen de se débarrasser de cela, de nous débarrasser de cette pulsion de mort comme disait Freud. Mais on avance. Donc je n’ai pas abandonné mes rêves. »
Conférence-débat jeudi 20 juin à 20 h 30 au palais de Fervaques. Entrée gratuite.
Source Aisne Nouvelle
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