Voici dans son integralité le discours prononcé par le premier ministre Edouard Philippe au Mémorial de la Shoah le lundi 18 mars 2019 concernant l'antisémitisme et les mesures qui vont etre adoptées pour y faire face.........Détails.........
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président du Mémorial de la Shoah,
Mesdames et messieurs les membres du conseil d’administration et du conseil scientifique,
Mesdames et messieurs les enseignants,
Mesdames et Messieurs,
« Voilà, vous savez tout. Pardon ? […] Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? […] Bien sûr que non, pas du tout. Il n’y eut pas de trains de marchandises traversant les continents en guerre […]. Ni de camp de regroupement, d’internement, de concentration, ou même d’extermination. Ni de familles dispersées en fumée au terme de leur dernier voyage. Ni de cheveux tondus, récupérés, emballés puis expédiés.
Ni le feu, ni la cendre, ni les larmes. Rien, rien de tout cela n’est arrivé, rien de tout cela n’est vrai. »
Vous avez peut-être reconnu l’épilogue du dernier livre de Jean-Claude Grumberg, La plus précieuse des marchandises (« La librairie du XXIe siècle », Seuil, 2019.)
Dans toute son œuvre, Jean-Claude Grumberg, dont le père est mort à Auschwitz, s’attaque à la bêtise antisémite, à toutes les formes de bêtise criminelle, avec les armes que l’humour oppose au désespoir. « Rien de tout cela n’est vrai », ironise-t-il pour lutter contre ceux qui nient ou déforment la réalité.
Et il ajoute, à la fin, un « appendice pour amateurs d’histoire vraie » : le 7 décembre 1943, Abraham et Chaïga Wizenfeld ont quitté Drancy avec leurs jumeaux, Jeanine et Fernand. Ils avaient 28 jours. C’était le convoi numéro 64. Aujourd’hui, rendre justice à ces jumeaux, à leurs parents, c’est notre rôle à tous, que l’on soit écrivain, professeur, élu ou simple citoyen. Leur rendre justice, c’est répéter inlassablement que cela a eu lieu, que tout cela est vrai.
Nommer, raconter, montrer, c’est ce que font tous ceux qui refusent de baisser la garde face à l’oubli, au déni et à l’indifférence.
C’est ce que font les enseignants, avec beaucoup de talent et parfois de courage, dans leurs salles de classe – et vous êtes nombreux aujourd’hui à connaître cette expérience.
Nommer, pour conjurer l’anonymat du matricule. Graver les noms dans un monument de mémoire, comme sur le Mur des Noms et le Mur des Justes ici, au mémorial de la Shoah. Raconter, c’est ce que font Primo Lévi, Robert Antelme, et beaucoup d’autres.
Montrer les lieux, archiver les textes et les traces, c’est un devoir collectif qui revient notamment aux historiens et aux services de l’Etat. C’est ce que nous voulons accompagner et amplifier grâce à la semaine d’éducation et d’action contre le racisme et l’antisémitisme. Et c’est la mission remarquablement assumée par le mémorial de la Shoah.
La semaine d’éducation et d’action contre le racisme et l’antisémitisme s’ouvre aujourd’hui. Face à la recrudescence des actes antisémites et haineux, elle a pris une nouvelle dimension en mobilisant très largement les institutions républicaines et leurs partenaires.
La DILCRAH coordonne, avec le Ministère de l’Education Nationale, les centaines d’actions qui sont menées partout en France – ateliers, projections, spectacles vivants ou expositions dans des lieux très variés. Je pense au Grand Festival du Musée national de l’histoire de l’immigration, à l’association Remembeur qui organise un tour de France des écoles et des mairies pour démonter les stéréotypes racistes.
L’Université Paris 13 accueille à partir d’aujourd’hui l’exposition « Zoos humains – L’invention du sauvage ». Les zoos humains ont disparu, mais pas les stéréotypes.
Tous ces projets sont animés par une même conscience que les stéréotypes racistes et antisémites restent d’une actualité effrayante.
Ils ont évidemment évolué, depuis les zoos humains, depuis l’époque aussi où Anatole Leroy-Beaulieu définissait les trois composantes de l’antisémitisme moderne : l’antijudaïsme traditionnel, qui remonte au Moyen Âge, la judéophobie anticapitaliste, apparue au XIXe siècle, et le racisme pseudo-scientifique qui établit une hiérarchie fantasmatique entre les peuples.
C’était en 1891, trois ans avant qu’éclate cette grande crise nationale que fut l’Affaire Dreyfus (dans cinq articles intitulés « Les Juifs et l’antisémitisme » qu’il publiait dans La Revue des deux mondes).
Aujourd’hui, certains de ces stéréotypes ont la vie dure, surtout quand ils s’appuient sur le besoin de trouver des boucs-émissaires à ses frustrations, et d’autres sont apparus, notamment une nouvelle forme d’antisionisme exacerbée par les fanatismes islamistes.
C’est pourquoi j’ai présenté il y a un an, presque jour pour jour, un plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Ces deux phénomènes ne sont pas exactement similaires, comme le suggère Delphine Horvilleur dans ses Réflexions sur la question antisémite : le raciste éprouve en général une haine de l’autre parce qu’il le juge inférieur – comme on le voit dans les zoos humains – alors que l’antisémite éprouve une haine des Juifs pour ce qu’il les imagine posséder à ses dépens – de l’argent, un réseau, une histoire, et même une souffrance que certains arrivent à leur reprocher.
Dans le cas du racisme comme de l’antisémitisme, les préjugés et la peur sont toujours le ressort de la haine.
Le plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme a d’abord pour but de lutter contre la haine qui se déverse sur Internet. Car les propos racistes ou antisémites ne sont pas des opinions.
Ce sont des délits. Et un délit, dans un Etat de droit digne de ce nom, ça se constate et ça se punit.
J’avais annoncé que nous engagerions, dès 2019, un chantier législatif pour mieux imposer le retrait des contenus haineux sur Internet.
Le Président de la République a lui-même indiqué qu’une proposition de loi serait présentée dès le mois de mai. L’engagement est tenu puisque la députée Laëtitia Avia et le groupe LREM à l’Assemblée nationale viennent de déposer cette proposition de loi.
Elle impose notamment aux plateformes numériques une obligation de retrait des contenus manifestement haineux dans un délai de 24h à compter de leur signalement. Une sanction dissuasive sera encourue en cas de manquement, sous la forme d’une amende très lourde.
Ce texte améliorera aussi la procédure de blocage judiciaire des sites internet dont le contenu est illicite, avec une procédure rapide pour empêcher la réapparition d’un site bloqué sous un autre nom ou avec un autre hébergeur. Cette proposition de loi sera d’abord soumise à l’avis juridique du Conseil d’Etat, ainsi qu’en a décidé le Président de l’Assemblée nationale, avant d’être examinée par les députés dans les prochaines semaines.
Nous disposons donc d’une marge de manœuvre juridique et technique pour endiguer la logorrhée digitale.
Mais le travail de fond consiste à prévenir la haine par un travail éducatif et mémoriel. Vous êtes les premières vigies de la République. Je mesure les difficultés que vous pouvez rencontrer dans vos salles de cours, quand des élèves mettent en doute, parfois violemment, les repères que vous essayez de transmettre.
Je sais que c’est le cas depuis les plus petites classes jusqu’aux amphithéâtres d’université. Et je sais que vous ne vous sentez pas forcément accompagnés, outillés, pour répondre à cette banalisation de la défiance et des contre-vérités.
C’est pourquoi, avec Jean-Michel BLANQUER, nous avons mis en place une équipe nationale de réaction contre le racisme et l’antisémitisme, co-pilotée par le ministère de l’Education nationale et par la DILCRAH. Cette équipe nationale s’appuie sur les équipes académiques « valeurs de la République », pour que vous ne soyez pas livrés à vous-mêmes en cas d’incident. Elle est opérationnelle depuis le début de l’année 2019.
Elle a déjà été saisie d’une cinquantaine de cas. Je le dis aux enseignants présents dans cette salle : ces équipes sont à votre écoute, n’hésitez pas à les saisir.
C’est dans un même état d’esprit que j’ai souhaité créer un prix national, le « prix Ilan HALIMI » qui récompense les actions conduites par des collectifs de jeunes pour faire reculer le racisme et l’antisémitisme. Je l’ai remis, le 12 février dernier, à des élèves du collège Clos-de-Pouilly de Dijon, pour leur action baptisée « Comprendre hier pour agir aujourd’hui ». Pendant six mois, quatre classes de troisième de cet établissement ont étudié la Shoah, les génocides arménien et tutsi.
Lutter contre la haine commence donc à l’école. C’est par l’enseignement et la recherche qu’on peut contribuer à influer sur les mentalités. C’est le sens de la plateforme de recherche sur le racisme et l’antisémitisme, portée par l’EPHE et la maison des sciences de l’homme, qui sera inaugurée mercredi.
Ces différentes initiatives interviennent dans un contexte particulièrement sombre, marqué par une augmentation significative des actes antisémites dans notre pays.
Je n’oublierai pas le saccage des arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi, les croix gammées apposées sur le visage de Simone Veil, les profanations de cimetières juifs. En remettant le prix Ilan Halimi, je disais que j’avais la rage au ventre mais que la détermination de ces jeunes renforçait ma volonté d’être inflexible.
Conformément à l’engagement pris par le Président de la République, je suis heureux d’annoncer une augmentation significative du soutien financier que l’Etat accorde au Mémorial de la Shoah.
C’est l’un des apports de la convention triennale 2019-2021 que nous allons signer dans quelques instants. Dès cette année, l’Etat augmentera son concours de 50%. Et nous avons décidé de doubler notre participation à partir de l’année prochaine.
Chaque année, l’Etat contribuera donc à hauteur de 2 millions d’euros à l’action du Mémorial. Ce doublement de notre contribution permettra au Mémorial d’amplifier encore son action de transmission et d’éducation, notamment en accueillant chaque année 10 000 élèves supplémentaires.
Le Mémorial est un grand lieu de mémoire, de transmission et de réflexion. Il dispose d’archives inestimables pour les chercheurs du monde entier et multiplie les activités pédagogiques à destination des élèves et des enseignants. Je pense notamment aux activités « hors les murs » qui sont proposées aux établissements scolaires de province, aux voyages d’étude à Auschwitz ou aux séminaires de formation qui offrent aux enseignants des outils pour répondre aux théories complotistes et aux fake news.
Je pense aussi à la formation de nos policiers, de nos gendarmes, de nos magistrats.
Mesdames et Messieurs, le combat contre le racisme et l’antisémitisme est évidemment l’affaire de tous, et pas seulement des professeurs, du Mémorial ou de l’Etat. Il va nous falloir beaucoup de combativité et d’imagination pour essayer de changer, en profondeur, les mentalités.
On m’a raconté qu’à Dijon, dans le cadre de cette semaine d’éducation et d’action contre le racisme et l’antisémitisme, deux professeurs mènent un projet, avec leurs élèves de 5ème, qui s’intitule « On ne naît pas raciste, on le devient ».
C’est tellement juste qu’on pourrait aller encore plus loin, comme Ta-Nehisi Coates, l’auteur d’Une colère noire, qui écrit, dans une préface à L’Origine des autres, de Toni Morrison, que « le racisme précède la race ». Chaque pays a une histoire tristement singulière dans sa fabrication du racisme. Le racisme dans notre pays, qui a connu et qui connaît encore des heures de sinistre mémoire, n’a rien à envier à celui d’autres pays.
Je suis néanmoins convaincu que le pays de Simone Veil et de Léon Blum, de Gaston Monnerville et de Paulette Nardal ne se résignera jamais au racisme et à l’antisémitisme.
Il revient à chacun de les combattre, à son niveau. C’est un combat. Un combat que nous ne sommes jamais certains de gagner mais dont nous savons qu’il serait assurément perdu si nous ne le livrions pas.
Un combat quotidien, fait de paroles et d’actes, de mémoire et de démonstration. Un combat dont l’intensité avec laquelle nous le menons dit ce que nous sommes : la France, un pays qui ne se résignera jamais.
Je vous remercie.
Source Gouvernement
Vous nous aimez, prouvez-le....