Il y a plus de quarante ans l'avion que pilotait ce Niçois d'adoption a été détourné. Il sera libéré, avec ses passagers, au terme d'une opération israélienne d'une audace inouïe. L'héroïque commandant pilote d'Air France lors de la prise d'otages à Entebbe en 1976 nous a quittés. L'occasion de relire son témoignage, recueilli en 2016......Détails........
Depuis son appartement, perché sur une colline de la capitale azuréenne, Michel Bacos aperçoit les avions atterrir ou décoller de l'aéroport de Nice.
Il y a 40 ans presque jour pour jour, le 4 juillet 1976, ce pilote de ligne d'Air France était libéré avec ses passagers à Entebbe (Ouganda) au terme de sept jours d'une terrible prise d'otage.
Quelques jours plus tôt, le 27 juin, son Airbus A300-B4 avait été détourné par quatre pirates de l'air allemands et palestiniens, entre Athènes et Paris.
Michel Bacos, 92 ans, garde en mémoire les premiers instants de panique. « L'avion reliait Tel Aviv à Athènes, puis Athènes à Paris. Nous venions de décoller de Grèce où nous avions embarqué de nouveaux passagers. Parmi eux, il y avait les quatre pirates de l'air. »
"NO PLEASE, NO PLEASE"
L'avion, ses 256 passagers et douze membres d'équipage, survole le canal de Corinthe quand des cris surviennent de la cabine.
« Je demande à Jacques Lemoine, l'ingénieur mécanicien, d'aller voir s'il n'y a pas le feu. Il ouvre la porte du cockpit et trouve un individu brandissant un pistolet dans une main et une grenade dégoupillée dans l'autre. »
Face à lui, Wildried Böse, dit « Boni ». Un des membres de la célèbre bande à Baader, la fraction armée rouge, une organisation terroriste allemande d'extrême gauche.
« Lemoine est jeté par terre dans le cockpit. Le terroriste lui applique le pistolet sur la tempe. Avec Daniel Lom, le copilote, nous étions les mains en l'air, suppliant : "No, please, no please."
Deux minutes abominables et interminables se sont écoulées. Je pensais que Lemoine allait être exécuté. » Le commando est constitué d'un couple d'Allemands de la bande à Baader, secondés par deux Palestiniens du Front populaire de libération de la Palestine.
Dans des boîtes de friandises et des bouteilles dont on dévissait le fond, ils avaient dissimulé quatre pistolets, quatre grenades défensives et des cordons de dynamite.
Böse s'empare du micro de bord et déclare aux passagers : « Je suis votre nouveau commandant de bord et l'avion se nomme désormais Haïfa ».
Après un atterrissage en Lybie, l'appareil est dérouté vers l'aéroport international d'Entebbe (Ouganda).
« Pendant tout le voyage le pistolet était braqué sur moi. Si je regardais en arrière, il appliquait de suite le canon sur mon cou. Le contact était froid et fort désagréable. »
Michel Bacos témoigne avec un calme impressionnant. Dans ses yeux, défile le scénario du détournement.
"AMIN DADA, UN SACRÉ SALOPARD"
L'Ouganda n'a pas été choisi par hasard. Le pays est sous la coupe d'un dictateur sanguinaire, Idi Amin Dada.
À leur arrivée, quatre terroristes Palestiniens accueillent l'avion avec de grands gestes et des cris de joie.
« Ils venaient renforcer le commando pirate. Au lever du jour, nous avons été canalisés vers un hangar désaffecté, au travers d'une haie de soldats ougandais prêts à battre tout fuyard. Nous serons confinés une semaine dans ce grand hall très poussiéreux qui servira de dortoir et de réfectoire. »
Michel Bacos espérait que se retrouver dans un état souverain modérerait les ardeurs des pirates de l'air.
« Je me trompais lourdement sur les véritables intentions du général Amin Dada. Il a outrageusement favorisé ce détournement. Je ne lui ai jamais adressé la parole.
Il nous a rendu visite deux ou trois fois pendant les sept jours et repartait à l'Ile Maurice où il présidait pendant ce temps une conférence des chefs d'Etat africains. »
Très vite, les passagers israéliens ou portant un nom à consonance juive sont séparés des autres. Les preneurs d'otage exigent la libération de prisonniers palestiniens dans différents pays.
Michel Bacos se souvient qu'Idi Amin Dada avait donné des ordres clairs : « Si l'ultimatum n'était pas respecté, les Palestiniens devaient exécuter les otages, à raison de deux par jour. Un sacré salopard. »
Pendant ce temps, Israël feint d'accepter de négocier avec les pirates de l'air. Mais en coulisses, le premier ministre Yitzhak Rabin et le ministre de la Défense, Shimon Peres, ont pris la décision d'engager une opération militaire d'une audace inouïe.
Nom de code : opération « Thunderbolt », « Tonnerre » en français.
« A un moment, on nous a annoncé que certains passagers allaient être libérés. J'ai réuni l'équipage et leur ai rappelé que conformément à l'éthique de notre profession, notre devoir était de rester. Tout l'équipage, sans exception, était d'accord », témoigne Michel Bacos.
Libérés, les quelques passagers sont alors « cuisinés » par le renseignement israélien.
Aucun détail, fût-il minuscule, ne doit leur échapper : la position des otages, celle des pirates, qui fait quoi, quel est leur armement, leur tenue, etc. Les services israéliens ont un atout majeur dans leur manche : c'est une entreprise israélienne qui a construit l'aéroport. Ils ont donc les plans en leur possession.
La mission est claire mais périlleuse : faire secrètement décoller d'Israël, dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, trois gros porteurs Hercules C130.
À leur bord une centaine de soldats d'élite. Et le scénario imaginé dépasse le plus inventif des James Bond.
Les services secrets israéliens se font prêter, par des civils, une Mercedes et une Land Rover.
Exactement les mêmes véhicules que ceux habituellement utilisés par le dictateur ougandais et son escorte. Ils seront repeints en noir.
Des soldats de Tsahal, grimés en garde du corps, doivent prendre place à bord pour rejoindre le terminal en déjouant la vigilance des ougandais et des pirates de l'air.
C'est exactement ce qui va se passer. Portes arrières ouvertes, un Hercules C130 atterrit vers minuit en toute discrétion.
Le faux cortège présidentiel se précipite sur la piste et réussit à se présenter devant le hangar, non sans avoir abattu deux soldats.
« La surprise a été totale, témoigne Michel Bacos. La fusillade a duré trente minutes. Notre dortoir était éclairé. A l'extérieur c'était nuit noire. Böse s'est précipité dans notre pièce.
Il n'a jamais visé les otages allongés par terre. Il a tiré vers l'extérieur, à l'aveugle. Il a dit à Lemoine "Restez allongés."
Il a été rapidement descendu par Tsahal. Un Palestinien qui venait de rentrer dans la pièce a vidé son chargeur sur une Israélienne allongée près de l'entrée. Elle a été tuée.
Quelques personnes ont été blessées, puis il a été abattu. » Selon Michel Bacos, le commando de Tsahal a, dans la confusion, tué un otage qui s'était levé pour rejoindre sa femme et son petit garçon.
«Tsahal l'a descendu, croyant que c'était un terroriste. Deux autres jeunes gens se sont mis à courir comme des fous en disant "Tsahal arrive !" Ils ont été tués aussi. »
Tous les pirates de l'air seront abattus, et une centaine d'otages libérés.
Le patron du commando perdra la vie dans la fusillade. Il s'agissait du lieutenant-colonel Yonathan Nethanyahou, frère aîné du futur premier ministre, Benyamin Nethanyahou.
Ce dernier s'est d'ailleurs rendu le 4 juillet en Ouganda pour commémorer le 40e anniversaire et la mémoire de son frère.
Michel Bacos, décoré de la Légion d'honneur DPLV (Décorés au péril de leur vie) ne se veut pas héros.
« Les vrais héros sont ceux qui nous ont libéré au péril de leur vie. »
Source Var Matin
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