David Bugajski a 85 ans mais n’a rien oublié de ses 10 ans, marqués par la misère et la clandestinité après la rafle du 11 septembre 1942 à Lille. Sauvé par un pasteur puis hébergé par un prêtre, il a passé plusieurs mois planqué dans l’orphelinat Saint-Pierre de Bouvines.....
David Bugajski ne mange plus jamais de pommes de terre en robe des champs. La patate le renvoie à d’épouvantables souvenirs : « C’était le plat unique que nous servaient les religieuses de l’orphelinat de Bouvines. Le pelure était encore pleine de terre… On crevait vraiment la dalle ».
Il ne saura jamais si les bonnes sœurs à cornette savaient qu’il était juif. Habituées à recueillir des « enfants moralement abandonnés », elles n’ont posé aucune question et lui ont fait faire toutes les prières, des laudes aux complies.
Il se souvient des châtiments corporels réservés aux plus turbulents. « J’y suis retourné il y a dix ans seulement, c’est devenu l’UFCV. », souffle-t-il. Mais non, il ne se sent pas la force de revenir à Bouvines une nouvelle fois. Même pour témoigner en marge de la conférence de la Société historique.
Ne croyez pas que David soit ingrat.
Il sait ce qu’il doit à ceux qui l’ont caché, l’arrachant à une mort certaine. Ses parents fuient par-derrière leur appartement de la rue de Paris le 11 septembre 1942. « Les flics nous attendaient en bas de l’immeuble », explique-t-il. Ordre d’emmener tous les juifs à la gare.
Le tailleur et sa femme confient leurs deux enfants de 10 et 7 ans au pasteur Nick, à Lille.
Puis David et Sarah sont recueillis par l’abbé Stahl, qui chapeaute un réseau d’orphelinats catholiques. Le curé les renomme Daniel et Suzanne mais interdit qu’ils soient convertis. David trouve d’abord refuge au Buisson, à Marcq-en-Barœul, avant d’être recueilli à Bouvines. Sa petite sœur dort à Loos, dans une autre institution.
Papa Bugajski réussit à fuir en zone non occupée pour aider la Résistance. Maman trouve une place de gouvernante chez un veuf et ses trois enfants à Lille-Fives.
Elle récupère David en février 1943 : « Son employeur a bien voulu qu’elle prenne ses enfants avec elle. Il savait que nous étions juifs. Nous l’appelions mon oncle ».
Ni lui, ni ses voisins dont certains travaillent pourtant à la préfecture n’ont jamais parlé.
Daniel est redevenu David à la Libération. Il a retrouvé son père. Plus tard, il est devenu architecte. Mais dans son portefeuille, il a gardé l’étoile jaune. « Pour ne pas oublier. Mais j’ai parfois l’impression que ça recommence ».
Un travail de mémoire de la Société historique du Pays de Pévèle
– Pourquoi ce sujet est-il brûlant aujourd’hui ?
« Parce que les archives de la préfecture et de la justice ne sont ouvertes que depuis décembre 2015. On peut enfin confronter ces documents avec les témoignages ! Je suis la première à avoir publié le nom des 24 cheminots qui ont participé au sauvetage de 60 des 600 juifs conduits à la gare de Lille le 11 septembre 1942. Le train partait pour Auschwitz via Malines, en Belgique. La plupart de ces cheminots appartenaient au réseau de résistance Voix du Nord. »
– Où ces juifs ont-ils été cachés ?
« Sur le quai de la gare, ils sont soit pris en charge par les cheminots eux-mêmes, soit par des infirmières de la clinique Ambroise-Paré, à Lille. Ces dernières ont déjà caché des aviateurs anglais et sont en relation avec Friedrich Günther, qui travaille pour la Kommandantur mais est opposé à Hitler. C’est le réseau protestant. Mais le réseau catholique met aussi des enfants juifs à l’abri. »
– Qui chapeaute ce réseau catholique ?
« On retrouve l’abbé Robert Stahl, un ancien avocat devenu prêtre. J’ai pu retracer le parcours de 27 ou 28 enfants qu’il a sauvés en les cachant dans des orphelinats. Il sera au centre d’un procès à la Libération, car accusé d’avoir détourné des fonds publics pour nourrir ses pensionnaires. Mais sera reconnu juste parmi les Nations en 1970. »
Conférence sur les enfants juifs cachés dans la Pévèle, ce jeudi 9 février à 19 h. Espace Jean-Noël à Bouvines (à côté de la mairie). Entrée gratuite.
Source La Voix du Nord
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