Voilà la rentrée et ses rituelles universités des taies qui proposent des oreillers idéologiques pré-parfumés. Chemises ouvertes, sans cravates, vestes négligemment jetées sur l'épaule, les voilà tous, les grands leaders, les seconds couteaux, les frondeurs, les courtisans, les porte flingues, frétillants de leur bon mot, de leur petite phrase cliché, prenant la pose pour le 20 heures...
Le maillot de bain estival a sagement été remis au placard. L'été étant le moment de la bagatelle et la rentrée celui du retour à la douleur du réel, le registre du langage doit être réajusté. Les expressions tirées de la meilleure des langues de bois inondent brutalement l'air médiatique. Ces nouveaux "éléments de langage" apparaissent d'autant plus faux que les faits les ont depuis longtemps privés de sens. Cette jacasserie est aujourd'hui insupportable tant le dérisoire qui leur est attaché, invalide sa pertinence supposée. Ces expressions, ces mots vides, font système et se complètent dans le lamentable spectacle offert à nos imaginaires.
Dans le même temps, on découvre en Autriche, dans un camion abandonné sur une aire d'autoroute les corps putréfiés de soixante dix êtres humains fuyant l'enfer de leurs pays d'origine, Irak, Syrie, Érythrée, Libye et autres territoires livrés à la barbarie ou à la tyrannie.
Jean Christophe Cambadélis cherche un "supplément d'âme" pour la gauche ! Parlons-en de "l'âme". On la cherche vainement dans les tergiversations des dirigeants européens incapables de s'unir pour trouver une réponse, au moins humanitaire, aux tragédies estivales. Combien de noyés en Méditerranée? 2000, 3000? Quel est "l'âme" de cette Europe quand chacun de ses Etats membres se décharge sur son voisin de responsabilités propres? Quelle est "l'âme" de cette gauche d'apparatchiks qui se préoccupe en priorité d'ajuster ses stratégies dans la perspectives des élections présidentielles?
Quelle est "l'âme" de ces écologistes d'abord préoccupés par le boycott d'Israël? Quelle est "l'âme" de madame Simonnet, du parti de gauche, élue de Paris, saisie de convulsions à l'annonce d'une journée consacrée à "Tel Aviv sur Seine" dans l'opération "Paris plage"? A l'entendre, cette gauche de gauche, tout le malheur du monde porte le nom exclusif d'Israël, tandis que les horreurs islamistes ne suscitent aucune indignation tandis que le "marché" désormais ouvert avec l'Iran ouvre des perspectives radieuses pour le pouvoir d'achat des travailleurs.
Il y a quelques temps "la gauche risquait de perdre son âme" si jamais le "marché" venait la séduire et la corrompre. Tels des fils de Loth, prononcer le mot "marché" sans vomir, pouvait transformer l'âme de l'homme de gauche étalon en statue de sel. Bien sûr, les bateaux Mistral ont été refusés à la Russie et le méchant Poutine n'aura pas ses joujoux. L'âme est sauve. Après tant et tant de compromis et de compromissions passées, un groupe "d'experts", de "haut niveau" (bien évidemment adoubé par Edgard Morin et les mannes de Stéphane Hessel) devrait vérifier la bonne installation de l'âme de gauche dans son grand corps malade.
Olivier Besancenot "résolument anticapitaliste" n'a pas de problème d'âme. Il a Jean Marc Rouillan dans son équipe résolument anti métaphysique. Il faut rappeler qu'Olivier Besancenot avait déjà salué en Joëlle Aubron, d'Action Directe, l'une des dernières héritières (spirituelle) de la Commune de Paris face aux Versaillais, Georges Besse et consorts, pauvres grenouilles de bénitiers réacs. Tandis que cet été, Le Monde consacrait deux pleines pages estivales à la pensée d'Alain Badiou sur le "bonheur", on apprenait de cette pensée forte que pour changer le monde il fallait d'abord être heureux soi même et sans doute être en bonne santé plutôt que malade et plutôt riche que pauvre. Comment les Polpotiens et leurs amis n'y ont ils pas pensé plus tôt avant d'offrir l'avenir radieux aux Cambodgiens?
Suffoqué par tant de radicalité conceptuelle, le lecteur assoiffé de pensée trouvait dans l'Obs (exit le Nouvel Observateur) de nouvelles fontaines intellectuelles auquelles s'abreuver: toujours avide de pensée juste autant que téméraire, l'hebdomadaire fondé par Jean Daniel, proposait simultanément au philosophe Jacques Rancière, éternel pourfendeur de la pensée réac et au rappeur Booba de nourrir les âmes déserrantes du lectorat de gauche: l'ennemi était nommé. Houellebecq, Finkielkraut, n'échappaient pas à la vigilance de l'antifasciste, tandis que Booba était sacré nouveau Céline des temps modernes pour la critique littéraire progressiste.
Il faut remarquer que dans le registre de la localisation de la spiritualité, la droite ne semble pas disposer d'âme. On n'entend jamais quelqu'un d'avisé et de droite estimer que la "droite" risquerait de "perdre son âme", à recevoir par exemple Poutine, Kadhafi ou saluer la dépouille de Assad père ou de recevoir Assad junior. La droite n'a pas d'âme c'est bien connu et quand elle gesticule sur "l'identité de la France", elle abandonne bien vite l'idée déjà avancée par un Front National parricide.
Nul doute que l'héritière saura remettre sur des rails plus policés mais tout aussi illusoires une question aussi mal posée qu'évidente. De ce désarroi généralisé la pensée bleu marine fait son miel. Après avoir ripoliné la façade et assassiné le père elle avance ses pions d'autant plus facilement que la scène politique déroule son tapis, de prière pour les uns, de confusion pour les autres.
Chaque jour qui passe témoigne d'une dislocation progressive et accélérée du creuset national, tout en convoquant les mannes de la laïcité sur l'autel de la République. Sauf à imaginer que l'idée même de nation soit une obscénité, cette idée et ce mot ont déserté les catégories politiques des européens. Tandis que les uns appellent au massacre des infidèles, des mécréants, des juifs et des chrétiens, voilà les autres, les Européens se retrouvent en panne de volonté européenne.
Comment l'Occident tout entier n'est-il pas capable d'unir ses forces pour faire la guerre à cette horreur moderne d'Etat islamique ? Comment ne comprennent-ils pas que chacune de leur nation, de leur identité, de leur culture est la cible de cette progression cancéreuse ? Le grand allié américain semble pris dans la même impuissance. Prêt à pactiser avec ses pires ennemis et trahissant ses anciens alliés, voilà l'Amérique d'Obama, abandonnant les Kurdes à son double ennemi turc et jihadiste.
Voilà l'Amérique d'Obama faisant le pari incertain d'une sagesse à venir de la République islamique et cela sans avoir posé comme principe préalable à tout accord, l'abandon par l'Iran, pays membre de l'ONU, de son projet de destruction d'un autre Etat membre de l'ONU, du nom d'Israël. Les autres partenaires du groupe 5+1, dont la France, ont-ils eu l'idée de poser de leur côté un tel préalable, une telle exigence?
La réponse est non. Obama a-t-il déjà oublié que la première ligne de front contre la menace islamiste est à la fois kurde et israélienne?
La France fait un autre choix, privilégiant les Sunnites aux Chiites, elle s'accommode de cet accord signé avec l'Iran tout en favorisant les meilleures relations commerciales avec la source idéologique du jihadisme, c'est à dire l'Arabie des Saoud. Voilà le chaos du monde musulman installé en Europe, agressif, multiforme, sans qu'aucune âme européenne n'ose reconnaître la nature du moment présent : c'est bien d'un conflit de civilisation ou de culture dont il est question.
C'est bien une civilisation, une idée de "l'autre" qui est agressée à la fois de l'extérieur et qui est mise à mal à l'intérieur justement par sa perte d'âme. Quelles sont les perspectives que l'Europe propose à ses citoyens : produire et consommer? Cette paix qui existe depuis près de soixante dix ans dans un espace démocratique offrant des garanties de bien être relatives à ses citoyens, la voilà de nouveau mise à mal à la fois par son indifférence autant que par ses couardises.
Sur ces questions fondamentales la vie politique autant qu'intellectuelle semble soumise à des contraintes inédites: la technologie née du numérique d'une part et la temporalité politique d'autre part réduisent à cinq années au plus, l'obligation de penser la globalité des changements du monde dont les flux migratoires autant que les modifications climatiques disent l'urgence. Ne percevoir ces nouvelles données qu'avec l'indigence du tweet, interdit de les penser. Pour notre pays qui aime les idées il y a une urgence absolue : ne plus se payer de mots, ne plus fonctionner dans des clivages idéologiques absurdes qui imposent d'immenses pertes d'énergie. Aucune guerre civile idéologique ne nous fera progresser.
La vérité de demain ne sera ni de "gauche" ni de "droite". Tandis que nous nous épuisons dans des querelles stériles, l'ennemi moyenâgeux avance ses pions, impose ses mots, détourne nos forces. Il y a urgence à énoncer quelques vérités fondamentales : le réel n'interdit pas de considérer que son déni idéologique propose un prix à payer bien plus cher qu'appeler les choses par leur nom. Hélas dès qu'un ministre ose le faire il est bien vite rabroué au nom du dogme. Les nécessités de notre commerce extérieur n'interdisent pas de dire à certains qu'il y aura un prix à payer pour toute agression, pour tout mensonge. Ce n'est pas faire offense à notre diplomatie que de lui rappeler qu'Israël est le premier rempart contre ce totalitarisme qui vient. Il n'est pas offensant pour notre conscience morale de sortir de cette fausse culpabilisation du nom "d'islamophobie".
Il n'est pas offensant pour les cultures nées de l'islam de leur dire clairement que le Mal qu'elles portent en leur sein va aussi les dévorer.
Voilà soixante dix ans que le nazisme a été vaincu par une volonté collective de se débarrasser du Mal. Voilà trente ans que l'humanité s'est débarrassée du totalitarisme communiste, mais voilà trente ans qu'un nouveau monstre vert est apparu.
Quel fut le prix de notre liberté? Quel fut le prix payé par les algériens pour conquérir la leur contre la colonisation puis contre les islamistes? Ces guerres là paraissent finies, mais la liberté a toujours un prix. Le supplément d'âme a aussi besoin de combattants.
Let's go !
Source HufingtonPost