Deux collectifs pro-palestiniens réclament la déprogrammation d’Asaf Avidan, Yael Naïm et Mayumana, qui se produisent à Roubaix ces prochains mois. En n’apportant pas d’autre argument que la seule nationalité israélienne de ces artistes. La mairie, bien sûr, balaie ces arguments et refuse tout retrait de ces artistes...réactions...
Programmer des artistes de nationalité israélienne à Roubaix revient-il à « cautionner les crimes » que l’État d’Israël est accusé d’avoir commis cet été à Gaza lors de l’opération Bordure protectrice ? À cette question, le « collectif d’habitants roubaisiens » et le « collectif pour la justice en Palestine » répondent par l’affirmative. Ces deux mouvements, dont on ignorait jusqu’à présent l’existence, sont les initiateurs d’une pétition qui revendique près de 2 000 signatures à Roubaix – chiffre impossible à vérifier.
Ce texte réclame au maire de Roubaix la déprogrammation de trois artistes : Asaf Avidan, jeune prodige folk-rock qui propose un concert acoustique au Colisée dimanche soir, Yael Naïm, chanteuse pop qui se produit le 3 octobre à la Cave aux Poètes pour les vingt ans de la salle roubaisienne, et enfin Mayumana Momentum, un groupe de percussions et de danses qui sera au Colisée du 23 au 25 janvier. Le texte de la pétition exhorte le maire à agir : « Vous ne pouvez pas nous imposer de cautionner ces crimes et d’en encourager d’autres ».
« On sait très bien où va l’argent… »
Quand on compose le numéro indiqué sur la pétition, on a la surprise de tomber sur Sasia*, qui avait fait parler d’elle à Roubaix et Wattrelos en janvier dernier : elle était localement l’une des initiatrices de l’appel au boycott des écoles, lancé pour protester contre le danger de la « théorie du genre ». Au téléphone, on interroge : qu’ont fait ces artistes pour mériter une déprogrammation ? Sasia s’emmêle un peu dans ses explications. « Asaf Avidan, son père est député, ou quelque chose comme ça », justifie-t-elle avant de rétropédaler : « Beaucoup d’artistes cautionnent ce qui se passe en Israël. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais vous voyez ce que je veux dire. » En fait, on ne voit pas très bien mais on insiste : « On amalgame bien les musulmans en permanence ! Nous, on fait pareil. On ne veut pas donner de l’argent à des gens qui peut-être ont cautionné des crimes de guerre. Et puis on sait très bien où il va, leur argent… » Où va-t-il, au juste ? On n’obtiendra pas de réponse.
Des manifs devant le Colisée et la Cave aux Poètes ?
On obtient une réaction plus raisonnée auprès du porte-parole de ces mouvements, Abdelkader Bergoug. Ce militant pro-palestinien, qui avait été candidat aux législatives en 2007 dans la 8e circonscription du Nord (Roubaix-Wattrelos), se situe dans la lignée de l’appel au boycott des produits israéliens. « Si beaucoup d’artistes sont boycottés, cela fera peut-être réagir Israël. On agit avec nos petits moyens ! » lance-t-il. Ces artistes sont-ils accusés d’un soutien à la politique du Premier ministre de l’État hébreu, Benjamin Netanyahou ? Même pas. « C’est leur nationalité qui est en cause, on ne va pas commencer à se poser des questions sur ce que pensent ces artistes », tranche-t-il. Et tant pis si Asaf Avidan, pour ne citer que lui, disait ceci dans Libération en janvier 2013 : « Je suis très, très, souvent en désaccord avec ce que fait mon pays (…) Je ne suis pas fier de bien des choses que cette société représente. »
Ce discours déçoit en tout cas beaucoup Nicolas Lefèvre, le directeur de la Cave aux Poètes. « C’est dommage de tout mélanger, regrette-t-il. Il est hors de question de rendre des comptes sur la nationalité d’un artiste qu’on invite. Nous, on s’intéresse à l’artistique, et Yael Naïm est une artiste formidable. Quand elle est venue à Roubaix, elle a eu un vrai coup de cœur pour cette ville. Ce serait dommage de lui renvoyer cette image… » Pourtant, elle risque bien de voir une image de manifestants à Roubaix : ces deux collectifs songent à organiser des rassemblements de protestation devant le Colisée et la Cave aux Poètes, le soir de la venue de ces trois artistes israéliens.
(*) La jeune femme a demandé à rester anonyme.
«Accepter que des artistes israéliens se produisent, c’est accepter qu’on puisse de nouveau bombarder Gaza»
Abelkader Bergoug, porte-parole des mouvements qui demandent la déprogrammation de ces trois artistes :
« Accepter que des artistes israéliens se produisent, c’est normaliser les agissements de l’État d’Israël. C’est encourager ses crimes ! C’est accepter qu’on puisse de nouveau bombarder Gaza. Cela choque peut-être, mais on ne se posait pas la question pour l’Apartheid en Afrique du Sud. Il y avait eu des boycotts à l’époque, des matches de rugby annulés. Ici, c’est la même chose ! Les artistes palestiniens n’ont pas le droit de sortir de la Bande de Gaza, mais les artistes israéliens pourraient venir jouer tranquillement à Roubaix ? Nous, on dit non. On ne peut pas faire grand-chose, mais on peut agir avec nos petits moyens, pour manifester notre désaccord. On est au fond ici dans la même logique que celle du boycott des marques israéliennes : on espère que si beaucoup d’artistes ou de produits sont visés, cela pourra convaincre Israël de changer de politique. Ces artistes ne sont peut-être pas responsables, mais ils font le choix d’avoir la nationalité israélienne. Pour nous, c’est suffisant ! »
«La programmation d’une salle de spectacles n’est pas un exercice de géopolitique»
Frédéric Minard, adjoint au maire de Roubaix en charge de la culture (UDI) :
« Nous n’avons pas reçu la pétition en mairie. Mais nous n’allons évidemment pas déprogrammer ces trois artistes. D’abord parce qu’en tant qu’élus, nous n’en avons pas le pouvoir, et ensuite parce que ce serait totalement hors de propos. La programmation d’une salle de spectacles n’est pas un exercice de géopolitique. Ce sont des artistes de classe mondiale, c’est une chance pour Roubaix de les accueillir ! Que leur reproche-t-on, au juste ? Leur nationalité n’est pas une opinion. Ils n’ont pas d’activité politique connue. Ils ne sont pas des artistes engagés. Pour moi, cette pétition va à l’encontre de la longue tradition qui existe à Roubaix, consistant à faire vivre ensemble des gens d’opinions, de religions, de nationalités différentes. On comprend bien sûr que des Roubaisiens soient très émus par ce qui s’est passé cet été à Gaza. Mais il faut prendre un peu de recul et voir que cette initiative manque un peu de justification et risque de nuire à la réputation de Roubaix. »
Yael Naïm : « Je crois vraiment au dialogue »
« J’ai l’impression qu’aujourd’hui, et pas seulement sur le sujet d’Israël et la Palestine, certaines personnes se renferment sur une opinion et il n’y a pas de dialogue possible. Personnellement, je crois vraiment aux gens et au dialogue. Je crois que la solution viendra de là. J’ai soif de dialogue avec les Palestiniens, pour tenter de faire en sorte que chacun se comprenne. Au fond, les gens n’ont pas envie de tuer, je ne pense pas qu’une famille israélienne et une famille palestinienne qui vivent tranquillement ont envie d’aller tuer ceux qui vivent de l’autre côté. On se laisse trop vite entraîner par la politique… »
Source Nord Eclair