L'attaque que j’ai subie vendredi par plusieurs douzaines de Palestiniens alors que je couvrais avec mon collègue cameraman une manifestation Journée de la Nakba qui se déroulait à côté de Beitunia, à l’ouest de Ramallah, ne m’a pas particulièrement surpris. Elle ne surprend pas non plus mes collègues israéliens. Depuis un certain temps, de plus en plus d’entre nous – journalistes israéliens – travaillant sur la scène palestinienne, nous trouvons de plus en plus difficile d’être « là » au cœur de l’action en Judée-Samarie, dans les villes palestiniennes. Nous avons été de plus en plus fréquemment menacés, on nous demande de partir et d’aller voir ailleurs...
Ce qui est différent, au cours de ces derniers mois, c’est que notre relation avec les journalistes palestiniens a changé. Elle s’est fissurée.
Mon mentor, Danny Rubinstein a dit que, pendant les 100 années du conflit israélo-palestinien, deux secteurs ont maintenu une profonde coopération : les criminels et les journalistes. Et il avait raison. Mais ces derniers temps la situation a changé.
C’est en partie né d’une initiative d’un groupe de journalistes palestiniens, avec des prétentions politiques, de « punir » leurs collègues israéliens pour n’avoir pas l’autorisation d’entrer sur le sol israélien.
Et il convient de souligner, que l’interdiction de certains de ces journalistes palestiniens d’entrer en Israël est un phénomène qui doit être condamné et qui doit cesser.
Néanmoins, les moyens employés par ces jeunes journalistes palestiniens pour protester contre cette interdiction – en essayant d’interdire aux journalistes israéliens de travailler en zone palestinienne – n’aide personne.
Garder les journalistes israéliens hors de la zone A de la Judée-Samarie– entièrement contrôlée par l’Autorité palestinienne – ne conduira pas à la levée de l’interdiction des journalistes palestiniens en Israël, malheureusement.
Ce que ces jeunes journalistes palestiniens ne peuvent pas reconnaître, c’est que pour les autorités israéliennes, l’entrée de journalistes israéliens dans les zones contrôlées par l’AP est un véritable casse-tête dont ils aimeraient volontiers se débarrasser.
Plus que cela, l’effort pour faire dégager les journalistes israéliens des zones sous contrôle de l’AP a créé une atmosphère incendiaire et violente à notre égard, – que presque tous mes collègues israéliens ont ressenti, sur leur chair, ou ont fait face à des incidents désagréables, et c’est un euphémisme. Moi y compris.
Mais vendredi, une certaine ligne rouge a été franchie. Ce vendredi, les menaces et l’atmosphère hostile ont dégénéré en véritable escalade de la violence, et dans mon cas, à une tentative de lynchage.
Alors qu’est-ce qui s’est exactement passé là-bas ? Malheureusement, ce sont des journalistes palestiniens qui ont déclenché l’attaque.
Deux d’entre eux – un nommé Ahmed Ziada, qui a accepté d’être nommé ; et la deuxième, une jeune femme qui je pense n’est pas une journaliste du tout – a approché mon collègue cameraman, Daniel Book. (En regardant les images plus tard, j’ai vu ce qui semblait être la même jeune femme, le visage masqué, portant un drapeau palestinien.)
Quand Daniel a reconnu qu’il était un caméraman israélien, la jeune femme et un autre homme – qui, je crois est un Européen, pas un Palestinien – lui a ordonné de sortir de la zone, et l’a poussé en dehors de la manifestation.
Je suis allé vers Ahmed Ziada, qui m’a poussé loin avec force et m’a enjoint de dégager. Je me suis alors tourné vers la jeune femme et le deuxième homme, et leur ai demandé de laisser Daniel tranquille et de s’adresser à moi si elles avaient un problème. (Daniel ne parle pas l’arabe.)
A partir de là, les choses ont mal tourné. Je leur ai expliqué que, sur la base d’accords conclus récemment par les journalistes issus des deux côtés, il n’y avait aucune raison pour que nous, Israéliens, ne devrions pas être en mesure de couvrir l’événement. Ils ont fait valoir avec moi, et m’ont dit de se perdre.
Avec le recul, c’était stupide de ma part de négocier avec eux, j’aurais dû prendre Daniel avec moi et simplement partir. Evidemment j’ai fait une erreur ; j’ai refusé de partir.
La jeune femme, tout en faisant des gestes menaçants, m’a dit qu’elle allait appeler quelqu’un, et elle a passé un coup de fil. Apparemment celui à qui elle parlait lui a dit qu’il n’y avait pas de mal à ce que nous soyons présents ici.
Mais au moment où elle terminait son appel, expliquant à son ami que « c’était bon », je me suis retrouvé entouré en quelques secondes par des douzaines de jeunes gens, masqués et non masqués, levant leurs poings et appelant encore plus de gens pour venir m’agresser.
De nulle part, deux hommes palestiniens âgés sont arrivés, et ont exigé que la jeune foule qui avait tenté de me blesser, me laissent partir. La foule me tirait d’un côté ; les deux Palestiniens âgés, de l’autre.
Il y avait des cris de violence et des poings levés. Un jeune Palestinien a levé son poing vers moi, et je lui ai crié de ne pas y penser. L’atmosphère était proche d’un lynchage, et les deux Palestiniens âgés continuaient de crier : « Il est avec nous ».
J’étais très inquiet pour Daniel, car je ne pouvais pas le voir d’où j’étais, étant encerclé par la foule et les deux Palestiniens âgés qui tentaient de m’en extraire. Certaines personnes encourageaient d’autres à me faire du mal tandis ue d’autres disaient de me laisser tranquille.
Je me souviens de beaucoup de visages, je pense qu’il s’agissait de correspondants étrangers – qui assistaient à la scène sans bouger le petit doigt.
Et puis quelqu’un m’a attaqué par derrière, pour me donner des coups. Deux autres se sont joints à lui pour me tabasser en visant mon dos et ma jambe. Voilà tout. Ils ne m’ont pas frappé au visage, et je n’ai pas été blessé d’une autre manière.
Le sentiment de pure impuissance était terrible. Je savais que j’étais à la merci des deux Palestiniens âgés. Je ne savais pas qui ils étaient et d’où ils venaient. Et je n’arrivais pas à comprendre comment ils ont ensuite convaincu la foule – presque de force – de me laisser regagner ma voiture avec eux. Je ne savais toujours pas ce qu’était devenu Daniel à ce moment-là.
Quelques secondes plus tard, cependant, je l’ai repéré, et il est entré dans la voiture. Ensuite, les jeunes Palestiniens ont commencé à frapper sur le véhicule. J’avais déjà lancé le moteur que nous étions déjà en route, accompagnés de nos deux sauveurs.
Alors que nous roulions, j’ai appris qu’ils étaient des membres des forces de sécurité de l’AP, de l’appareil des renseignements généraux.
Quand nous sommes arrivés à leur QG, le commandant de la zone et ses hommes ont essayé de nous calmer. Ils nous ont donné beaucoup de café, de thé et des cigarettes, alors qu’ils cherchaient à apaiser les tensions.
Une heure plus tard, j’étais de retour, côté israélien du check-point.
Dans les heures qui ont suivi, on m’a demandé si j’étais en danger. Permettez-moi de dire ceci : si les deux agents de sécurité palestiniens n’avaient pas été là, l’incident aurait mal fini. Très mal fini. Les services de renseignement de l’AP partagent cet avis, et je sais que l’armée israélienne est parvenue à la même conclusion.
Oui, j’ai senti que ma vie était en danger. Oui, je me sentais absolument impuissant pendant ces secondes où, de nulle part, une foule s’est dirigée vers moi, pour me faire du mal. C’est un sentiment qui me laisse particulièrement en colère.
Depuis presque 14 ans, je suis journaliste spécialisé en affaires du Moyen Orient, et je couvre plus particulièrement l’arène palestinienne.
J’ai couvert les funérailles, les manifestations. J’ai rencontré des dizaines d’hommes armés et recherchés par les autorités israéliennes. J’ai assisté à des manifestations de masse à Gaza, où des dizaines de milliers de partisans du Hamas, des centaines d’entre eux brandissaient des armes, en criant: « Mort à Israël ». Et pourtant, un incident comme celui de vendredi ne m’était jamais arrivé.
Au cours des dernières heures, on m’a demandé si je comptais revenir dans les zones palestiniennes pour couvrir les événements. La réponse est un oui catégorique. Je sais que cela peut paraître insensé. Mais mes conviction n’ont pas faibli.
A savoir que mon travail, ma mission journalistique, doit se poursuivre, afin d’informer l’opinion publique israélienne et internationale sur la réalité palestinienne.
Cela inclut la mauvaise réalité – incluant ces jeunes Palestiniens et « journalistes » qui ont essayé de me faire du mal – et la bonne réalité, et elle existe, comme ces deux hommes qui ont sauvé ma vie et ces jeunes qui ont appelé à ne pas me faire du mal.
C’est mon devoir, et celle de mes collègues. Si nous ne le faisons pas, la capacité d’Israël à ignorer ce qui se passe dans les territoires ne fera que grandir, jusqu’à ce que la violence soit d’un tout autre ordre.
Source Times Of Israel