Le jour où le ministère des Finances a annoncé son nouveau plan pour des logements plus abordables, favorisant les soldats sortant de l'armée israélienne, ce qui laisse de côté les secteurs arabe et orthodoxe, Issawi Frej, député arabe du parti de gauche Meretz, semblait très en colère. "J'ai toujours pensé que la démocratie était ma porte d'entrée dans la société israélienne", a-t-il dit dans une interview pour I24news; "maintenant, ils claquent cette porte au visage. Si Israël continue à suivre cette voie, nous pourrions envisager de changer le nom du pays.. il suffit de suivre le modèle iranien : c’est maintenant la ‘’République islamique d'Iran", de la même façon, Israël pourrait devenir la “République juive d'Israël”...
La frustration de Frej est compréhensible. Il est assez difficile d'être un membre arabe de la Knesset (parlement israélien, ndlr) de nos jours et il est assez difficile d'être un député gauchiste dans le climat politique qui prévaut en Israël. C'est une véritable épreuve d’être le seul député arabe d’un parti sioniste siégeant à la Knesset.
Entre les incidents de “prix à payer”, les crimes haineux visant les Arabes israéliens, les déclarations du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman menaçant de transférer les territoires peuplés par les citoyens arabes vers le futur Etat palestinien, une longue série de lois discriminatoires et une atmosphère générale de nationalisme qui choisit plutôt le terme "juif" que “démocratique” dans la définition de l'Etat d'Israël, c’est certainement plus complexe pour un représentant arabe orienté à gauche.
Après avoir calmé sa colère, Frej a choisi de faire face à cette situation de manière plus sophistiquée.
Il a récemment publié dans un journal en hébreu un article accusant le Likoud d'abandonner l'héritage de son père idéologique, Zeev Jabotinsky. Dans cet article poignant, Frej énumère les cinq piliers de la théorie sociale de Jabotinsky, les engagements basiques qu’un État est tenu de fournir à ses citoyens : un refuge, la nourriture, des vêtements, un logement, des soins de santé et la scolarisation.
"Le Likoud et ses partenaires ont abandonné cet héritage et utilisent le service militaire comme prétexte pour discriminer davantage les secteurs faibles", affirme-t-il : “Je les renvoie à la page 298 de la version hébraïque du livre de Jabotinsky (Ce que veulent les Sionistes révisionnistes) , où il a écrit, en traduisant approximativement: “si la population arabe restant en Israël est malheureuse, tout le pays souffrira".
Frej (51 ans), est originaire de la ville arabe de Kfar Kassem, dans le centre d'Israël. En 1956, sa ville natale a été le théâtre de ce qui est connu en Israël comme le “massacre de Kfar Kassem”.
A la veille de la guerre de Suez, 48 civils arabes, ignorant le couvre-feu, sont abattus par des policiers des frontières, plus tard traduits en justice. En 2007, le président Shimon Peres a présenté ses excuses pour la fusillade.
Le grand-père de Frej était un survivant de cette tragédie, son grand-oncle a été tué et plusieurs membres de sa famille ont été blessés. Frej dit que pour lui, ce traumatisme est une autre incitation à arrêter le cycle de la violence. Frej, comptable et père de sept enfants, est diplômé de l'université hébraïque de Jérusalem. Après 26 ans de militantisme, c'est son premier mandat de député au Parlement israélien.
Q - Comment expliquez-vous la série d'incidents et la législation, à visées nationalistes ou de droit commun, comme le crimes “prix à payer” ?
R - Je ne peux pas expliquer le timing, je sais seulement que c'est un phénomène d’une rare nature. Habituellement, ce sont les marais qui causent les moustiques. Dans ce cas, ce sont les moustiques (les petits politiciens) qui créent le marais, menaçant de tous nous noyer. S’ils veulent récompenser ceux qui ont accompli leur service militaire, cela peut être fait par le biais de subventions allouées par le ministère de la Défense, et non par des décrets discriminatoires et manipulateurs.
Q - Cela doit être extrêmement compliqué de nos jours d'être un député arabe dans un parti sioniste ?
R - Je ne me définis pas comme un “député arabe” ; Je suis un représentant de la gauche, et l'humanisme est au centre de mon idéologie. A partir de cela, je me bats pour les droits des citoyens arabes. Mais oui , être un Arabe dans un parti sioniste exige maintenant des compétences artistiques. Pendant longtemps, j'ai dû lutter pour entrer à la Knesset. Finalement, c’est le célèbre écrivain Amos Oz qui m'a aidé et a même inventé mon slogan de campagne "Une vraie gauche a besoin d'un candidat arabe".
Et maintenant, je suis ici, et je dois faire face à une législation fondée sur le sionisme et les déclarations de membres éminents de mon propre parti qui prêchent au nom de “l'Etat juif”, alors que je suis ici pour me battre pour un Etat démocratique. Je ne suis pas un sioniste. Ma philosophie est basée sur l'hypothèse que nous partageons un destin commun. J'accepte la définition de la présidente de Meretz, Zehava Galon, qui définit Israël comme l’ "Etat du peuple juif et de tous ses citoyens". La minorité arabe silencieuse pense comme moi.
Q - Et qu’est-ce qu’Israël pour vous?
R - En 1948, le nouvel État d'Israël m'a adopté contre ma volonté. J'ai une mère biologique - mon peuple palestinien - et une mère adoptive : Israël. Je peux vivre avec ça, jusqu'à ce que ma mère adoptive bondit pour me punir à chaque fois que je m'approche de ma mère biologique et m'appelle “cinquième colonne”. Nous sommes une minorité d’un genre unique. Chaque fois que mon avion s’approche d’Israël, je sens que je suis de retour à la maison, même si je suis considéré comme un citoyen de second rang. Pourtant, j’éprouve des sentiments pour ma mère biologique.
Q - Je me souviens de vous quittant l’hémicycle lorsque le Premier ministre Netanyahou a salué le Premier ministre britannique en disant : “Bienvenue au Parlement juif".
R - C'était inacceptable. J'ai été élu au Parlement israélien, pas au Parlement juif. Je l'ai dit à haute voix, et j’ai été expulsé. Toute cette question autour de la judéité de l'Etat est plutôt étrange. C'est comme si la majorité des Israéliens se réveillait après 66 ans et découvrait qu’elle est juive.
L’identité des Arabes israéliens s’est posée à nouveau lorsque l'Autorité palestinienne a exigé la libération de prisonniers Arabes israéliens avec d'autres terroristes palestiniens.
D’autant plus lorsque les représentants palestiniens, en toute connaissance du sens de leur demande, ont exigé la libération des prisonniers Arabes israéliens comme leur priorité absolue. L'impact sur l'opinion publique israélienne fut prévisible : la notion d’Autorité palestinienne comme patron officiel des Arabes israéliens pourrait jouer à droite au profit de ceux qui ne veulent pas nous comme des citoyens égaux ou ne veulent tout simplement pas de nous ici.
Q - Ces implications ne vous font-elles pas peur?
R - Dans une situation normale qui ne fait pas de distinction entre la terreur arabe et la terreur juive cela ne devrait pas avoir lieu. L’Autorité palestinienne ne me représente pas. Je sympathise avec elle et sa lutte pour un Etat, mais c’est Israël qui me représente. Je condamne tous les actes de terreur, mais je soutiens leur libération (des prisonniers, ndlr) dans le cadre plus général des négociations de paix. La paix inclut la réconciliation, et le nouveau projet de loi pour la restriction de la grâce présidentielle à ceux qui ont commis un assassinat comme un acte de terrorisme, a pour but de rendre la paix impossible à atteindre. Mais au milieu de tout cela, je vois comme un rayon de lumière venant d'Israël son adhésion à l'OCDE.
Q - Comment ça?
R - Eh bien, Israël se soucie vraiment de sa note au sein de l'OCDE. Tant qu’il s’agissait d’un classement national, les Arabes étaient laissés de côté pour ne pas gâcher les résultats. Maintenant que l'OCDE prend en compte également les Arabes et les Juifs orthodoxes en Israël, l'Etat n'a pas d’autre choix que de faire quelque chose pour nous, afin que nous ne ruinions pas la note. Je le sens dans tous les ministères.
J’enjoins l'Etat de commencer à nous traiter de manière sérieuse. Avec le secteur orthodoxe juif, nous représentons 44% des enfants, et donc 44% de la main-d'œuvre future. Honnêtement, ils n'ont pas le choix.
Alors que l'État absorbe les immigrants, il serait temps qu’il absorbe ceux qui sont déjà ici.
Source I24News