Le 13 septembre 1993 étaient signés les accords d’Oslo entre le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président de l’OLP Yasser Arafat et le président américain Bill Clinton. Un grand espoir s’était alors élevé au sein des populations juives et arabes qui espéraient la fin de la guerre et l’avènement d’un État palestinien autonome. Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des affaires étrangères et, à ce titre, l’un des principaux acteurs des négociations avec les Palestiniens avait donné sa version sur les raisons de l’échec du processus de paix.
Du côté palestinien des membres imminents du Fatah, dont Ehab Al-Ashkar, commencent à présenter Oslo sous un jour nouveau. Écœuré par le comportement de Yasser Arafat, il a d’ailleurs préféré quitter l’action militante pour se lancer dans le monde des affaires. Il est actuellement l’un des directeurs d’une grande compagnie d’assurances «Palestine Industrial Estate Development Company and Trust Insurance Co». Il donne sa version moins édulcorée que celle à laquelle nous avaient habitués les Palestiniens.
Oslo fut un échec retentissant et, avec le temps et les témoignages des participants juifs et arabes, il est indéniable qu’Arafat a tout fait pour détruire le rêve palestinien. L’échec est dû à une différence de stratégie entre les palestiniens de l’intérieur, à Gaza et en Cisjordanie, et les dirigeants de l’extérieur basés alors en Tunisie. Yasser Arafat voulait s’inspirer des régimes arabes pour instituer un État qui s’éloignait des concepts démocratiques en vigueur en Israël. Or, de nombreux dirigeants du Fatah s’étaient imprégnés, dans les prisons israéliennes en particulier, de l’image d’une démocratie qu’ils rêvaient d’appliquer à leur nouveau pays. Ils ont été freinés dans leur rêve par la volonté du chef du Fatah qui a imposé sa loi.
Les responsabilités ont été difficiles à établir à chaud. Rob Malley, conseiller du président Clinton à Camp David, avait imputé l’échec à l’ancien chef du gouvernement Ehoud Barak en déchargeant Yasser Arafat de sa responsabilité. Le conseiller de Clinton s’était inspiré de la position de l’extrême gauche israélienne qui estimait que les Israéliens «n’avaient pas donné assez aux Palestiniens et avaient formulé leurs propositions de manière massive et dépourvue de la moindre sensibilité à l’égard des besoins des Palestiniens».
Or l’extrême gauche avait éludé le fait que les dirigeants palestiniens avait refusé toutes les propositions, mêmes les plus osées, parce qu’ils fondaient leur dogme sur le refus du droit à l’existence d’un État juif au Proche-Orient. Mais le paradoxe tenait dans l’accusation de la droite qui estimait que les négociateurs juifs étaient allés trop loin dans leurs propositions et dans celle des gauchistes qui leur reprochaient d’avoir refusé de se suicider.
Contrairement aux thèses souvent avancées, le conflit territorial n’a jamais été la cause de l’échec d’Oslo puisqu’Arafat avait laissé le soin au président Clinton de préciser les échanges de territoires. Il voulait montrer ses bonnes intentions qu’il devait d’ailleurs immédiatement renier quelque temps plus tard dans une lettre à Bill Clinton. On sait avec certitude à présent que Camp David a échoué en raison des obsessions panislamiques de Yasser Arafat, de son intransigeance sur le statut de Jérusalem et de sa volonté inébranlable de permettre le retour en masse de tous les réfugiés.
Ehab Al-Ashkar a donné sa version des faits sur la volonté de Yasser Arafat de voler aux Palestiniens de l’intérieur leur combat, par Intifada interposé. Les dirigeants de l’extérieur avaient fait le projet d’éliminer tous les dirigeants locaux du Fatah, membres du commandement central de l’Intifada, pour imposer un État non démocratique. La démocratie ne tenait pas lieu de fondement de la nouvelle structure et il s’agissait de créer un État inspiré des méthodes des potentats arabes avec un dictateur au sommet entouré de politiciens à son service, pour ne pas dire à sa botte.
Bill Clinton, qui tenait à faire avancer le processus de paix, avait envisagé une visite au Proche-Orient avec la présentation de son «paquet de paix» mais les Palestiniens étaient opposés à toute avance notable. Ils ont d’ailleurs accompagné leur refus en lançant la seconde Intifada pour étouffer dans l’œuf l’initiative américaine et pour permettre à Yasser Arafat de ne pas être catalogué comme l’homme du rejet systématique de la paix.
Mais le président Clinton voulait maintenir la pression en présentant son projet aux Israéliens et aux Palestiniens, le 23 décembre 2000, dans une salle voisine de son bureau ovale. Ses propositions étaient généreuses pour les Palestiniens. Israël gardait 4% à 6% des territoires en échange de 1% à 3% de son propre territoire avec une évacuation des juifs d’une partie des implantations. En ce qui concerne Jérusalem, Clinton avait adopté le principe «tout ce qui est arabe est palestinien et tout ce qui est juif est israélien», le Mont du Temple ayant une double souveraineté. Il avait proposé une compensation morale et financière aux Palestiniens qui ne pouvaient pas tous revenir dans l’État d’Israël. Enfin le nouvel État palestinien devait être «non militarisé» avec quelques troupes arabes légèrement armées et une présence israélienne dans la vallée du Jourdain.
Le chef d’État-major israélien, Shaoul Mofaz, et de nombreux officiers supérieurs s’était opposés à cet accord global de paix qui fut cependant accepté à la majorité par le gouvernement israélien, en pleine Intifada. Yasser Arafat ne se prononça pas dans les délais imposés par Bill Clinton et réserva sa réponse en lambinant dans une série de voyages dans les pays arabes, tout en laissant l’Intifada se déchainer. Il transmit une fin de non-recevoir tardive à Clinton qui était à deux semaines de la fin de son mandat. Il lui avait expliqué de vive voix que «les Palestiniens refusent d’abandonner la conception selon laquelle Israël avait été fondé dans le pêché, qui doit le reconnaitre et en payer le prix».
Pendant ce temps Yasser Arafat avait convoqué à Tunis quelques dirigeants du Fatah de l’intérieur qui lui faisaient de l’ombre, dont Ehab Al-Ashkar, pour ensuite les emprisonner sous un motif fallacieux avec l’objectif d’accroitre sa mainmise sur Gaza et sur la Cisjordanie. Ils ne durent leur salut qu’à la menace de lancement d’une révolution de la population de Gaza contre les dirigeants du Fatah à Tunis avec la révélation qu’ils vivaient dans le luxe de leurs villas alors que de nombreux dirigeants de Gaza étaient enfermés dans les prisons israéliennes. Cette disparité entre le luxe du Fatah en Tunisie et les camps pauvres de réfugiés surpeuplés ont choqué ceux qui avaient mis leur vie à la disposition de la cause palestinienne. Désenchantés, certains dirigeants de l’intérieur ont d’ailleurs décidé d’abandonner le combat politique pour se lancer dans les affaires.
L’échec d’Oslo va cependant peser sur les négociations de paix actuellement en cours et accroit l’impression de scepticisme qui règne parmi les négociateurs. Nabil Shaat, ancien négociateur palestinien des accords d’Oslo, estime que le temps de l’espoir est dépassé mais il maintient la théorie éculée de la responsabilité israélienne avec une volonté d’ignorer la réalité qui a été confirmée précisément par les Américains : «Pour moi, ce qu’il y avait de primordial dans les accords d’Oslo c’est que tout était sur la table: la question des réfugiés, de Jérusalem, des colonies. Il y avait des solutions envisagées. Mais Israël n’a jamais appliqué ces solutions. Et les États-Unis ne sont pas intervenus !».
Pour Yossi Beilin, qui était son partenaire dans la négociation, les extrémistes des deux bords ont tué les accords d’Oslo : «Les opposants des deux bords étaient farouchement contre le partage des terres. Et ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour empêcher l’établissement de la paix. Le Hamas du côté palestinien, cet Israélien qui a commis un massacre à Hébron, et puis l’assassinat de Yitzhak Rabin. Tout ça, on ne s’y attendait pas».
Cela explique le scepticisme qui règne actuellement parmi les négociateurs qui ne croient plus au succès des négociations de paix parce que, des deux côtés, il n’y a aucune volonté pour aboutir à une solution agréée.
Mais aujourd’hui, le contexte est tout autre. Depuis plus de deux ans, le Printemps arabe a bouleversé les zones de tensions dans un Proche-Orient qui n’est plus rythmé par le seul conflit israélo-arabe. La question palestinienne a été reléguée au second plan tandis que la Syrie est devenue le principal terrain d’affrontement entre sunnites et chiites. On s’étonne que les États-Unis aient choisi ce moment pour réactiver le processus de paix moribond. Ils sont les seuls à estimer qu’une stabilisation de la région passe par un règlement de la question palestinienne.
En revanche il est certain que les Palestiniens ne bénéficieront jamais de la même générosité israélienne qui leur octroyait à Camp David 94% de la Cisjordanie. Le temps des cadeaux est dépassé par la volonté du fossoyeur de la cause palestinienne, Yasser Arafat.
Source TribuneJuive