mardi 17 septembre 2013

“ La liste de Freud ” : comment Sigmund Freud a sacrifié ses soeurs aux Nazis


Vienne, 1938. Freud refuse d’emmener ses sœurs en Angleterre. Elles périront toutes dans un camp nazi: c’est cet épisode tragique et méconnu de la vie du père de la psychanalyse que raconte Goce Smilevski dans un roman fascinant, La liste de Freud (Belfond).

 
“Les faits sont avérés. On les retrouve dans les biographies de Freud. Mais son départ pour Londres où il terminera ses jours dans une confortable demeure et la mort en déportation de ses quatre soeurs ne sont jamais mis en relation”, explique à l’AFP l’auteur macédonien, de passage à Paris.
Né à en 1975 à Skopje où il vit toujours, Goce Smilevski a notamment reçu le Prix européen de Littérature pour ce roman vibrant, hommage au combat des femmes oubliées par l’Histoire, complainte sur le sens de la vie, la raison et la folie, mais aussi plongée érudite au coeur de la psychanalyse naissante. Son livre est traduit ou va l’être dans une trentaine de pays.

Motivations
Alors qu’on lui délivre des visas pour l’Angleterre, Freud est autorisé à soumettre une liste de vingt personnes à emmener avec lui. Comment a-t-il pu refuser d’inscrire les noms de ses soeurs, Rosa, Marie, Adolfina et Paula sur cette liste où figurent son médecin, la famille de ce dernier, ses infirmières, ses servantes, sa belle-soeur… et même son chien?
“Les raisons de la décision de Freud sont inconnues, je n’ai pu qu’imaginer”, reconnaît-il. Mépris, froideur, égocentrisme du génie, aveuglement face à la menace nazie? Freud prétend que ses sœurs ne risquent rien en restant à Vienne, tout en choisissant lui-même l’exil. Seule l’aînée, Anna, mariée en Amérique, échappe à la déportation.
C’est par la voix d’Adolfina, la sœur préférée de Freud, que l’auteur nous immerge dans cette Vienne en plein essor artistique et intellectuel, obscurci par l’arrivée du nazisme. Âme torturée, enfant mal aimée en proie à une mère cruelle et autoritaire, femme condamnée à la solitude, Adolfina raconte avec mélancolie son enfance avec ce frère adoré, ses souvenirs, ses regrets et son incompréhension devant l’abandon de celui dont elle était si proche.

Clara Klimt et Otla Kafka
“J’ai voulu redonner la parole à ces femmes condamnées au silence et à l’oubli. C’est passionnant de se pencher sur le sort de ceux qui vivent dans l’ombre d’un personnage influent”, dit Goce Smilevski.
“Pour ce roman, j’ai lu beaucoup d’ouvrages sur la psychanalyse et la perception de la folie à cette époque, Michel Foucault, Deleuze et Guattari, Julia Kristeva…, de nombreux livres sur la société au XIXe siècle et début XXe”, ajoute l’auteur de Conversation avec Spinoza (2002).
Au détour des chapitres, le lecteur croise le peintre Gustav Klimt mais aussi sa soeur Clara et Otla Kafka, sacrifiées elles aussi sur l’autel de la gloire de leur frère…
Les pages sur l’internement d’Adolfina, dépressive, dans une clinique psychiatrique sont particulièrement poignantes. “En réalité, Adolfina n’a pas été internée pendant sept ans au Nid, je l’ai inventé. Mais je n’ai eu aucun mal à décrire l’enfermement, la vie dans cette communauté coupée du monde car j’ai passé mon enfance dans un orphelinat où travaillait ma mère. Les mots coulaient tout seuls”, dit-il.
“Sigmund et Adolfina, si différente de ses soeurs, ont une relation singulière, complice. Freud reste sévère et froid mais il est tellement charismatique !”. Il parle aussi à sa soeur de sa vision de la folie, de la psychanalyse, l’emmène dans les hôpitaux… avant de l’abandonner à sa détresse.
“En Macédoine, les gens vont très peu chez le psychanalyste, peut-être parce que dans notre petit pays, tout le monde se parle beaucoup”, sourit Goce Smilevski, qui a fait ses études de lettres dans plusieurs universités, à Skopje, Prague et Budapest.

Source Huffington Post