mardi 11 janvier 2022

Gilles Lellouche dans "Adieu Monsieur Haffmann" : "Il faut savoir regarder la part sombre de notre Histoire" (Interview & Vidéo)


C’est sa quatrième collaboration avec Fred Cavayé depuis À bout portant, en 2010. Dans Adieu Monsieur Haffmann, Gilles Lellouche incarne François Mercier, l’employé d’une bijouterie qui passe un pacte ambigu avec son patron juif, durant l’Occupation. LCI a rencontré le comédien pour parler de l’un des rôles les plus sombres de sa carrière.......Interview & Vidéo........


Comment Fred Cavayé vous a-t-il présenté votre rôle dans Adieu Monsieur Haffmann ? 

En fait il m’a teasé un peu le truc. Il m’a dit qu’il était en train d’écrire un film dont le sujet était un peu particulier, qu’il pensait à moi et qu’il allait me le faire lire bientôt. Il m’a fait une sorte de petite mise en scène assez adroite qui m’a alléchée, quoi ! 
Et puis un jour il m’a appelé pour me dire que le scénario était prêt, qu’il l’avait fait lire à Daniel Auteuil qui lui avait dit oui la veille en deux heures. Il m’a dit : 'Je te l’envoie et tu vas voir, le personnage est un petit peu particulier, n’en prend pas ombrage'. 
Mais je n’y ai absolument pas pris ombrage. J’y ai surtout lu et vu une mécanique scénaristique implacable, un grand sujet et un grand personnage. Même si c’est un sale enfoiré, c’est quand même un beau personnage de cinéma.

Si Fred Cavayé vous l’a proposé, c’est peut-être parce que vous avez un capital sympathie qui rend l’évolution du personnage inattendue, non ? 

 Absolument. Fred me connaît. Il a dû certainement entrevoir ma nervosité parfois, et un côté peut-être plus dur que ce que les gens perçoivent de moi. En fait je ne sais pas si les gens me perçoivent comme quelqu’un de doux. Mais de prime abord, c'est peut-être pour ça que j’ai pu faire mal de meilleurs copains, des choses comme ça. 
Je n’ai pas vu la pièce. Mais je pense qu’il y a un truc de cet acabit-là. C’est-à-dire un homme ordinaire dont on ne peut pas imaginer la noirceur. Et qui se révèle sombre, fourbe et vil, en fait.

François Mercier, c’est vraiment un homme comme vous et moi ? 

Oui, je crois. Ce type, à l’origine, c’est un amoureux transi. Qui est un complexé. Complexé par sa vie, complexé parce qu’il ne parvient pas à offrir la vie qu’il voudrait à sa femme. 
Complexé peut-être par son manque d’ambition et de talent. Il travaille pour Monsieur Haffmann, qui est un bijoutier dont les gens s’arrachent les créations. Et lui, il est laborieux. 
C’est un petit gars, mais c’est un mec bien, qui reste à sa place. Et puis il y a un pacte, à la faveur de la Seconde Guerre mondiale. Un pacte avec le diable.

C’est un film d’époque. Mais les questions qu’il soulève sur la nature humaine sont intemporelles, non? 

Je pense que la peur est un facteur déterminant qui révèle ce qu’on fait, ce qu’on est. Ça m’est arrivé souvent, comme tout le monde, de me balader sur les côtes d’Aquitaine ou de Normandie, de voir ces bunkers qui se désagrègent et de me demander quel homme j’aurais été à cette époque. 
Évidemment je me projette comme super-résistant, comme héros. Mais la réalité, notre premier réflexe, notre premier moteur face à la peur, face à la faim, face à l’occupant, ce serait quoi ? Ce que j’aime avec ce film, c’est ce que c’est un vrai thriller. Tout en ayant cette capacité à rafraîchir encore un peu la mémoire. Il y a certaines personnes aujourd’hui qui essaient de nous faire croire que le gouvernement de Vichy n’a pas été si terrible dans la déportation des Juifs. C’est faux.
Il faut savoir regarder la part sombre de notre Histoire. Il faut savoir se dire qu’on a été potentiellement des salauds. Et qu’il y a eu aussi des gens formidables. Il y a eu des résistants, mais il y a eu des collabos. Des gens qui ont profité de ce moment-là. Il y a eu des vrais enfoirés. 
Oui, il y en a eu. Comme il y en a aujourd’hui qui doivent profiter des migrants, qui doivent profiter de la misère. Oui, il y en a. Il y a des enfoirés qui pendant le premier confinement, ont laissé des mots sur les pare-brises des aides-soignantes et des infirmières en disant : 
"Barre-toi de là, tu vas tous nous contaminer salope !". On est obligé de faire ça ? On est obligé d’en passer par là ? C’est fou. Il y a des gens qui ont fait du business avec des masques. 
Qui les faisaient payer dix fois plus cher quand il y avait pénurie. Aujourd’hui encore on est dans cette dynamique-là, on n’a pas besoin d’être pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est la nature humaine.

Adieu Monsieur Haffman, c’est donc aussi un film "utile" pour le devoir de mémoire ? 

Oui, c’est utile. Parce que plus on s’éloigne des faits, moins on a de résistants encore vivants pour nous raconter la réalité de cette époque. Moins on a de déportés encore vivants pour relater l’horreur des camps, plus nous serons les seuls légataires de notre Histoire. 
Et l’Histoire, elle ne se transmet que par les hommes. Pour les hommes. Il n’y a que nous pour donner aux jeunes générations la réalité ce qu’on a fait de bien, de mal. 
Alors évidemment qu’il faut continuer à créer, à parler de tout ça. Même si pour certains c’est rébarbatif, scolaire et chiant. Il n’empêche que ce devoir de mémoire est absolu. Et qu’on n’en fera jamais assez.

Après ce film, on vous verra en 2022 dans Goliath, Kompromat et le nouveau Astérix… 2022, ça va être l’année Gilles Lellouche ?

J’espère surtout que ça va être une année un peu fraiche. On fait un peu pas mal de surplace depuis deux ans et j’espère que ça va être enfin un vrai départ. Qu’on va arrêter avec ce stop and go permanent. 
On est dans l’antichambre d’une vie qui devrait revenir mais qui ne revient jamais. Moi j’aimerais que ça parte vraiment. Qu’on en sorte !

>> Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé. Avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau. En salles le 12 janvier.


Source LCi

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