Les copropriétaires de l’hôtel Raba, classé monument historique, doivent prouver qu’il tient debout, après qu’un voisin a signalé une fissure à la mairie. Construit au XVIIIe siècle, cet immeuble fut la demeure éponyme d’une grande famille de négociants juifs, les Raba. Voici leur saga......Portrait......
À Bordeaux, de majestueux hôtels particuliers édifiés au XVIIIe siècle, cours Victor-Hugo ou rue du Mirail, façade aristocratique de l’ancien quartier juif, ont appartenu à de grandes familles juives bordelaises, comme celles des Francia, Pimentel, Gradis ou encore Raba.
Les copropriétaires de l’hôtel Raba, classé monument historique, sont obligés de prouver que leur immeuble tient debout, après qu’un voisin a signalé une fissure à la mairie.
Ainsi, au 41, fossés Saint-Éloi, aujourd’hui 67, cours Victor-Hugo, s’élève l’ancien hôtel Raba. Classé monument historique en 1975, il s’agit de l’ancienne demeure des huit frères du même nom, de riches marchands juifs exilés du Portugal sous l’Inquisition.
Originaires de Bragance, ils sont arrivés à Bordeaux via Londres en 1763 avec leur mère, Bernada Luiza Maria, surnommée “Sara” (1688-1728). Seuls deux d’entre eux se marièrent et eurent une descendance, se partageant entre Bordeaux et l’île de Saint-Domingue.
Un seul, Jacob, fut médecin, dérogeant à la tradition familiale. Tous ses frères furent négociants, armateurs, assureurs et banquiers et connurent une réussite spectaculaire.
Ils rachetèrent cet hôtel particulier, construit entre 1745 et 1750, situé sur la façade élégante du quartier juif, quelques années plus tard, en 1779, à une famille de parlementaires bordelais.
Ce fut la demeure d’Aaron et Abraham, alors que Gabriel et Jacob s’installèrent au 43. François-Benjamin résidait avec sa femme et ses trois fils non loin de là, au 30.
L’image de Mercure
La partie avant de l’immeuble repose sur un sol dur, alors que la partie arrière est bâtie sur le remblai plus meuble des anciens fossés médiévaux. Ce qui fait qu’elle tend historiquement à s’affaisser.
Très classiquement, son rez-de-chaussée était utilisé autrefois pour les besoins des affaires commerciales des Raba. On y trouvait des bureaux et l’espace de stockage des marchandises.
« L’étage noble », ainsi que le décrit Cadish dans sa chronique parue dans « Sud Ouest » le 8 septembre 2007, « s’orne d’un balcon qui s’appuie sur trois consoles figurées de têtes de faunes.
Les clefs de voûte des ouvertures en plein cintre sont décorées de quatre mascarons, dont deux d’entre eux, situés aux extrémités, représentent Mercure ». Fils de Jupiter, dieu de l’éloquence et des voyageurs, qui préside également aux destinées du commerce, Mercure est un thème décoratif récurrent dans toute la ville.
« Au second étage », poursuit Cadish, « on peut remarquer les chapiteaux très soignés des pilastres et clefs de voûte en rocaille. L’architecte dut être influencé par les façades de la place Royale (actuellement place de la Bourse). L’attique s’achève par une balustrade ponctuée de quatre pots à feu. »
Incendie en 1975
L’hôtel fut inscrit monument historique en 1975 et Raymond Querette, le propriétaire d’alors, entreprit d’importants travaux de restauration : ravalement extérieur et réhabilitation intérieure de certains plafonds et d’une partie de la charpente qui menaçait ruine.
Malheureusement, un incendie survenu la même année retarda l’achèvement du chantier.
La voûte du hall d’entrée et l’escalier finirent enfin par mis en valeur, de même que les boiseries, dont certaines étaient fortement endommagées, ainsi que les marqueteries de plancher en acajou, chêne et ébène.
En 2003, l’immeuble fut à nouveau en chantier. L’escalier était fissuré, les feuilles en fer forgé du balcon détériorées.
En 2008, l’hôtel Raba s’offrait à nouveau dans toute sa splendeur et son élégance retrouvée, si ce n’est l’absence du heurtoir de porte. Et pour cause : il avait été volé. Les Raba ont marqué de leur empreinte le patrimoine architectural local dans d’autres lieux, à Bordeaux, mais aussi dans la métropole bordelaise.
La place Amélie Raba-Léon
À Bordeaux, l’ancienne place Pellegrin a pris en 1900, le nom de Rachel-Amélie Raba-Léon. Cette dernière avait légué 100 000 francs au consistoire, afin de fonder un hôpital israélite.
Il en résulta la création de six lits à l’hôpital général de Pellegrin et l’on donna son nom à la place située devant le CHR.
Parmi les œuvres d’art contemporaines commandées pour figurer dans les lieux requalifiés lors du grand retour du tram, en 2003, la place a accueilli en 2009 « La Maison aux personnages » d’Ilya et Emilia Kabakov, au milieu d’un petit square.
Le domaine du Haut-Lévêque
À Pessac, le domaine « Lévêque » d’où l’hôpital du Haut-Lévêque tirer son nom, appartenait en 1832 à Élysée Raba, négociant en huile, qui s’en dessaisit en 1854 au profit de Philippe Barroussel, un fabricant de chaussures qui aurait fait fortune en vendant des godillots à l’armée durant la guerre de 1870.
On peut y voir un genre de château, une demeure néo-Renaissance qui semble inhabitée.
Elle ne doit rien aux Raba mais fut construite par Auguste Barroussel, le fils de Philippe, en 1901. Ce dernier fut aussi à l’origine de l’agrandissement du domaine viticole d’une superficie de 50 hectares, en 1893.
Le « Chantilly bordelais »
Enfin, il y a surtout le fameux « Pavillon Raba », édifié en 1801, en guise de dépendance du château éponyme. Centre d’un important domaine acquis à Talence par la famille peu de temps avant la Révolution, le château, lui, date du XVIIIe siècle.
Construit par l’architecte Victor Louis pour Mme veuve Raba et ses huit fils, il fut surnommé le « Chantilly bordelais » à cause de la magnificence de son parc et de ses jardins, généreusement ouverts au public. Une survivance de la Lex hortorum, coutume italienne du XVIe siècle qui invitait les sujets d’un prince à se rendre dans ses jardins pour en découvrir les plaisirs.
Ainsi, les Raba avaient installé autour de leur château de nombreuses « amusettes » qui ont été un temps une curiosité de la région. Dans la cour, s’élevait l’effigie pédestre en bronze d’Henri IV, car ce souverain s’était montré bienveillant à l’égard du culte israélite.
Pour décorer les allées du parc, de nombreuses statues ou figurines de bois (en terre cuite parfois), surprenaient les visiteurs au détour des allées. Pas toujours par leur qualité artistique.
Le pavillon fut fréquenté par d’illustres personnages : Beaumarchais en 1808, Napoléon et Joséphine… C’est bien précisément pour accueillir les invités de la famille qu’il avait été construit.
Et les Raba avaient le sens de l’hospitalité : en guise de chambre d’amis, plus qu’une grande maison, c’était carrément un petit château près du château ! Il appartiendra par la suite par héritage à Albert Ellissen, marié à Louise Raba (1847-1903), fille d’Edmond Raba (1820- 1893).
Ellissen fera restaurer le château et réaménager les jardins après la guerre franco-allemande de 1870. Durant la Seconde Guerre mondiale, le château sera occupé par les Allemands.
Construite sur le domaine de château Raba, la nouvelle École nationale supérieure d’architecture et de paysage (ENSAP) a ouvert en 1973. Après avoir été tour à tour maison d’hôtes, couvent et foyer pour jeunes filles en difficulté, le pavillon, racheté en janvier 2007 par Christophe San José qui possède également la Villa Mauresque sur la Côte d’Azur, est devenu un hôtel-restaurant de luxe, « La Réserve du Château Raba ».
L’ensemble de la propriété, avec le château alors en ruine, au sein d’un parc de 1,3 hectare, a été acheté en 2016 par le groupe Millésime. Après plusieurs mois de travaux de restauration, l’hôtel-restaurant « Le Domaine de Raba » a rouvert en 2018, avec de nouvelles prestations côté restauration et hébergement.
Le domaine de Raba est inscrit au titre des monuments historiques depuis le 25 juillet 2007, alors que le château fait l’objet d’un classement depuis le 21 mars 2008.
Source Sud Ouest
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