Presque du jour au lendemain, Israël et ses voisins se sont trouvés à risque de manquer d’eau potable à cause de changements climatiques fulgurants. Les réserves souterraines se sont taries sous l’effet d’intenses périodes de sécheresse et d’une croissance démographique soutenue.
La crise a été si brutale que le gouvernement israélien a dû mettre en place un plan d’urgence, au tournant des années 2000, pour puiser et dessaler l’eau de la mer Méditerranée.
Sans cet apport massif venu de la mer, l’État hébreu et ses voisins palestiniens et jordaniens — branchés sur le réseau d’aqueduc israélien — n’auraient tout simplement plus d’eau potable, confirment des experts.
La quête de l’or blanc ne fait que commencer dans cette région parmi les plus arides du monde : la population augmente à un rythme effréné, tandis que les sources d’eau se tarissent.
« La météo est devenue folle. Vous avez vu ce qui s’est passé en Europe [l’été dernier], il a fait 43 degrés à Paris, à Londres et à Berlin. Nos experts nous disent que les changements climatiques sont déjà là et que notre région souffrira davantage dans un avenir prévisible.
On ne peut plus se fier à la pluie [pour renouveler les sources d’eau] depuis les graves sécheresses du début des années 2000 », dit Yechezkel Lifshitz, directeur général adjoint des infrastructures et de l’eau au ministère de l’Énergie.
Les périodes de sécheresse risquent de se multiplier et de durer plus longtemps dans la prochaine décennie, prévoit le ministère israélien de l’Environnement. L’évaporation de l’eau de surface s’accélère sous l’effet de la hausse des températures.
L’eau salée contamine aussi les réserves souterraines près de la Méditerranée en raison de l’érosion des côtes, qui prend de l’ampleur à cause de la montée du niveau de la mer.
Prières pour la pluie
Devant ce tarissement soudain de l’apport naturel en eau douce, le ministère a construit à gros prix, entre les années 2005 et 2016, cinq usines de dessalement le long de la Méditerranée.
Pas moins de 80 % de l’eau potable en Israël provient désormais de la mer — une proportion inégalée dans le monde.
« La crise climatique a frappé fort et vite. Sans les usines de désalinisation, on aurait vécu une catastrophe : on manquerait d’eau courante », dit David Katz, professeur au Département de géographie de l’Université d’Haïfa, au nord de Tel-Aviv, et spécialiste de la gestion de l’eau au Moyen-Orient.
La pénurie se fait néanmoins sentir du côté palestinien, dans les territoires occupés militairement par Israël.
L’approvisionnement en eau potable est aléatoire. Et les agriculteurs palestiniens prient pour un hiver pluvieux qui viendrait remplir les réservoirs de fortune aménagés un peu partout dans la vallée du Jourdain.
En attendant, l’inquiétude et la colère grondent en Judée Samarie (voir texte à paraître demain à ce sujet).
L’hiver dernier a vu naître l’espoir, avec les précipitations les plus abondantes en cinq ans. Le lac de Tibériade (aussi appelé mer de Galilée en anglais et lac Kinneret en hébreu) est revenu à un niveau acceptable.
Les pluies sont toutefois devenues l’exception plutôt que la règle dans la région : les deux tiers d’Israël reçoivent moins de 200 millimètres de précipitations par année, et la moitié du pays en reçoit moins de 100 millimètres (Montréal a reçu précisément cette quantité en deux heures lors du déluge du 14 juillet 1987 !).
Prévoyant le pire, le ministère de l’Énergie a entrepris de presque doubler la capacité de dessaler l’eau de mer d’ici 2030.
Deux nouvelles usines sont déjà prévues, à Sorek près de Tel-Aviv (ce sera la plus grande du monde, à côté d’une usine existante) et dans le nord-ouest du pays, en Galilée.
Devant l’ampleur de la crise, l’État hébreu a même annoncé un projet d’ingénierie unique au monde : une partie de l’eau de mer désalinisée servira à remplir le lac de Tibériade.
Un pipeline de 90 kilomètres est en construction vers le lac mythique où Jésus est réputé avoir marché sur l’eau. L’État hébreu ne croit toutefois pas aux miracles pour sauver le seul lac du pays, considéré comme un véritable trésor national.
« Le niveau du lac diminue même si on n’y puise presque plus d’eau ! Ça démontre clairement l’ampleur des changements climatiques », dit Yechezkel Lifshitz, du ministère de l’Énergie.
Sécurité nationale
Le gouvernement a entrepris de sauver le lac de Tibériade pour des raisons stratégiques, explique M. Lifshitz. L’État a besoin de cet immense réservoir naturel pour pallier des défaillances des usines de dessalement ou des attaques contre le système d’approvisionnement en eau — sabotage, attaques informatiques, au missile ou à l’explosif, tremblement de terre ou tsunami.
Au-delà des considérations géostratégiques, l’État hébreu a le devoir moral de protéger le seul lac du pays, fait valoir Yechezkel Lifshitz. C’est un lieu historique, culturel, naturel et touristique crucial.
Pour les mêmes raisons, Israël et la Jordanie élaborent des plans communs pour sauver la mer Morte, qui porte bien son nom : le niveau de ce vaste plan d’eau salée baisse d’un mètre par année depuis 30 ans.
Quand on arrive par la route 90 qui longe la frontière avec la Jordanie, le spectacle est saisissant.
On dirait une cuvette géante qui se vide. Des touristes japonais se prennent en photo devant un panneau indiquant : « Le point le plus bas sur Terre, -430 mètres. »
Il fait 41 degrés Celsius sous un soleil de plomb en cet après-midi du mois d’août. On aperçoit au loin le « fleuve » Jourdain, qui alimentait jadis la mer Morte.
Le mot « fleuve » n’a pas le même sens que chez nous. Oubliez le majestueux Saint-Laurent, le Jourdain n’est plus qu’un semblant de ruisseau à moitié vide. Un barrage a été construit à la sortie du lac de Tibériade, ce qui a asséché le pauvre Jourdain.
Près de là, le lieu où Jésus a baptisé l’apôtre Jean est fermé aux visiteurs. On raconte qu’il serait ardu de faire un baptême aujourd’hui dans ce lieu saint transformé par la sécheresse.
Pipelines en vue
Pour sauver la mer Morte, qui se trouve à cheval sur la frontière entre Israël et la Jordanie, les deux pays travaillent sur deux possibles projets de pipeline, explique le géographe David Katz, de l’Université d’Haïfa.
Le premier, surnommé « Red-Dead », remplirait la mer Morte à partir dela mer Rouge, au sud.
La Jordanie construirait une usine de désalinisation pour produire de l’eau potable à Aqaba, sur la rive de la mer Rouge. L’eau salée rejetée par le processus de désalinisation serait acheminée par pipeline vers la mer Morte, au nord.
Une solution moins coûteuse consisterait à aménager un pipeline « Med-Dead » qui alimenterait la mer Morte à partir d’une usine de désalinisation située près de la Méditerranée, en Israël.
Israël fournit de l’eau potable à la Jordanie en vertu de l’accord de paix de 1994 entre les deux pays.
L’État hébreu vend de plus grandes quantités d’eau que ce qui est prévu dans l’accord, mais cela reste nettement insuffisant, notamment à cause de la croissance démographique dans la région.
Israël prévoit d’alimenter en eau 16 millions de ses citoyens en 2050, comparativement à 9 millions à l’heure actuelle.
L’arrivée de centaines de milliers de réfugiés syriens en Jordanie — et d’environ un million de juifs d’origine russe en Israël une décennie plus tôt — a fait augmenter la demande en eau potable.
Tout un défi, au moment où les sources se tarissent. Le pays a ainsi cessé au cours des derniers mois de puiser de l’eau dans sept sources importantes, explique Yechezkel Lifshitz, du ministère de l’Énergie.
Il est même question de remplir ces sources avec de l’eau de mer désalinisée en cas de besoin.
Source Le Devoir
Vous nous aimez, prouvez-le....