vendredi 15 janvier 2016

Paracha Bo : Le Bâton de Moshé : un bâton prodigieux ?



Au début de la paracha Chémot, lors de l’épisode du buisson ardent, Moché se voit enjoint de « prendre ce bâton dans sa main » (Chémot 4, 17), celui-là même qui s’était auparavant changé en serpent, car « c’est par lui que tu opéreras tous les miracles » en Égypte. Or, il s’avère que cette canne n’avait en fait rien d’ordinaire puisque le verset la désigne ensuite comme : « Le bâton de l’Éternel » (verset 20). Tentons de retracer à travers les sources traditionnelles le cheminement et les implications de ce bâton prodigieux...



De fait, ce bâton semble suivre la destinée des Hébreux tout au long de leurs nombreux périples : tous les miracles des Dix plaies d’Egypte furent accomplis avec son « aide » et c’est en le brandissant que la mer Rouge s’ouvrit devant les enfants d’Israël (Chémot, 14, 16). C’est encore lui qui leur offrit de l’eau douce en frappant le rocher à deux reprisb ses (voir Chémot, 17, 5 et Bamidbar, 20, 8) ; et c’est encore lui qui, levé en direction du ciel, offrit la victoire à Israël face à Amalek (Chémot, 17, 8).
Or il s’avère qu’en réalité, ce bâton providentiel mérita sa désignation de « Verge de l’Éternel » pas seulement en vertu des nombreux mirb racles qu’il opéra puisque de nombreuses sources confirment que ses origines sont parmi les plus suprêmes qui soient…


Depuis les prémices de la Création…


S’il est en soi intéressant de découvrir la manière dont ce merveilleux bâton arriva entre les mains du sauveur d’Israël, ces descriptions nous aideront davantage encore à en saisir la nature et à tenter d’en découvrir le secret.
Dans les Pirké Avot (chapitre 5, 6), la Michna énumère dix créations qui virent le jour « au crépuscule », à savoir à la veille du premier Chabbat qui conclut l’OEuvre du monde.
On y trouve notamment : « l’arc-en-ciel, la Manne, et le bâton ». Contrairement à ce que l’on peut croire, ce bâton n’avait en fait rien d’une branche de bois : à de nombreuses reprises, la tradition talmudique (Yalkout Chimoni ibid. et chapitre 261, Zohar page 272) le décrit comme étant taillé à partir d’une matière appelée « Sanpirinon » (que l’on rapproche - certainement à tort - du saphir) avec laquelle furent également gravées les Tables de la Loi (Zohar Chémot, page 84/b).
Sur ce bâton, étaient inscrits le Nom divin, les noms des Patriarches ainsi que les dix plaies d’Égypte sous la forme des acronymes que l’on formule dans la Haggb gada de Pessa’h : « Datsa’h Adach Béa’hav », (Pirké déRabbi Eliézer, chapitre 40).
Allant dans le même sens que cette Michna, le Midrach (Yalkout Chimoni, Chémot 173) décrit pour sa part les nombreuses péripéties de ce bâton depuis le jour de sa création :
«‘Tu prendras ce même bâton avec toi’ : ce bâton qui fut créé au crépuscule fut offert à Adam le preml mier homme dans le Gan Eden ; lorsqu’il fut chassé du Jardin d’Eden, Adam l’emporta avec lui et le transmit à ‘Hanokh qui le donna à son tour à Chem ; Chem le transmit à Avraham, Avraham à Its’hak, Its’hak à Yaacov et Yaacov l’emporta avec lui en Égypte où il le donna à Yossef. A la mort de Yossef, tous ses biens furent saisis et entreposés dans le palais de Pharaon. En ces temps-là, Yithro était l’un des mages de Pharaon et voyant le bâton, il le convoita.
Il s’en empara, l’amena chez lui et le planta dans son jardin. Mais depuis lors, il ne put l’approcher… Lorsque Moché se rendit à Midyan, il pénétra dans le jardin de Yithro et voyant le bâton, il lut les inscriptions qui y étaient gravées, il tendit la main et le saisit.
Voyant cela, Yithro se dit : ‘Cet homme est celui qui délivrera Israël d’Égypte’, et c’est pourquoi il lui donna pour femme sa fille Tsipora ».
On le comprend aisément : cet « objet » n’avait rien d’ordinaire puisque pendant toutes ces générations, il se retrouva systématiqb quement entre les mains des personnages les plus importants de leurs temps.


Un instrument divin


Façonné à l’aube de la Création et transmis à travers les générations avec d’infinies précautions, ce bâton semble avoir toujours été d’une valeur inestimable ; et c’est en outre par son biais que furent opérés tous les nombreux miracles de l’épopée des Hébreux juste avant, pendant et après la Sortie d’Egypte.
C’est certainement dans cet autre passage traditionnel – extrait du Midrach Tan’houma (Vaéra, 8) – que se dessinera plus précisément à nos yeux l’essence de cet instrument de miracle : « …Car le Roi des rois, le Saint Béni soit-Il, accorde une part de Son honneur à ceux qui Le craignent. (…) Comment cela ? Chez un roi de chair et de sang, on ne prend jamais place sur son trône, mais le Saint Béni soit-Il fit assl seoir le roi Chlomo sur Son trône ! (…) Chez un roi de chair et de sang, on n’utilise jamais son sceptre, mais le Saint béni soit-Il transmit son sceptre à Moché comme il est dit : ‘Moché prit dans sa main le bâton de l’Éternel’ ! ».
« Charvit » - le sceptre - représente, aussi bien dans la tradition juive que pour toutes les monarchies de l’Histoire, le pouvoir et l’autorité placés entre les mains d’un monarque.
Comme le révèle le Ibn Ezra (Esther, 4, 11), le terme « charvit » possède la même racine étymologique que le mot « chévet » - c’est-à-dire le « bâton » à proprement parler - dans la mesure où il symbolise par excellence le pouvoir coercitif et l’emprise exercée par une autorité sur une nation.
Nous voyons par exemple que c’est par son sceptre que le roi Assuérus accor dait – ou r e f usait – – la grâce à ceux qui se présentaient à sa cour sans y être conviés.
Aussi, dans un passage où le roi Chlomo s’étonne que sa mère envisage d’accorder la main d’Avichag la Sunamite à son rival Adoniya, le roi d’Israël déclara : « Que ne demandes-tu pour lui la royauté ? », (Rois I, 2) – expression que Rachi commente par cette image : « Dès lors qu’il fera usage du sceptre du roi, son pouvoir reprendra ! ».
Ainsi, si chez les rois mortels le sceptre se veut le symbole d’un pouvoir absolu, c’est dans le même esprit que nous devons concevoir ce « bâton de l’Éternel », autrement dit le sceptre du Roi des rois… En effet, les Sages nous enseignent qu’il existe trois « clefs » que le Saint Béni soit-Il livre parfois, en fonction des circonstances, entre les mains de Ses serviteurs : la clef de la fécondité, la clef des pluies et la clef de la résurrection de morts (voir Rabbénou Bé’hayé, Béréchit, 30, 2).
Défiant la rigueur de la nature, ces différentes « clefs » sont celles qui permettent d’ouvrir des portes n’appartennant qu’à D.ieu et qui, dans certaines situations parfaitement exceptionnelles, sont parfois confiées à des hommes d’un très haut niveau.
Ce fut notamment le cas dans l’épisode où le prophète Elicha ressuscita l’enfant mort de la Sunamite de manière miraculeuse. Or, si ces trois clefs offrent un pouvoir aux hommes auxquels elles sont confiées, leur influence se limite cependant à leur propre domaine : chaque clef n’est susceptible d’ouvrir qu’une seule et unique porte…


La clef des clefs


Mais il s’avère ici qu’il existe en fait « une clef des clefs », c’est-à- dire un instrument par lequel l’homme détient entre ses mains tous les pouvoirs de la nature : le bâton de l’Éternel - ce sceptre divin qui représente à lui seul l’empb prise divine sur toutes les forces de la nature !
C’est dans cet ordre d’idées que l’un des grands maîtres de la ‘Hassidout, rabbi Lévi Its’hak de Berditchov zatsal, écrivit dans son ouvrage « Kédouchat Lévi » (sur Béchala’h) que le mot « maté » [bâton] découle en hébreu de l’idée de « faire pencher » [léhatot] des éléments. Voilà pourquoi, poursuit cet auteur, Moché déclara avant d’entamer la bataille contre Amalek : « Le bâton sera dans ma main » - en sous-entendant : « Ce pouvoir que détient D.ieu Béni soit- Il de faire pencher le monde et de le diriger suivant Sa volonté, il se trouve ici dans ma main, dans la mesure où je peux faire pencher le monde suivant ma volonté » !
Ce sceptre de D.ieu n’était donc pas seulement un « symbole » de pouvoir comme on peut le concevoir pour les sceptres ordinaires puisqu’il se manifesta au contraire comme le véritable « canal » par lequel les miracles divins étaient véhiculés.
C’est en ce sens que le Midrach peut déclarer que le Créateur cède une part de Son honneur à ceux qui Le craignent dans la mesure où, en confiant ce sceptre à Moché, D.ieu lui offrit en fait le pouvoir de contrôler la nature et d’en modifier les règles à son gré !
Par ailleurs, si les Pirké Avot mentionnent que ce bâton fut l’une des créations advenues au monde à la veille du premier Chabbat, la relation entre ces différents éléments paraît à présent comme une évidence : de fait, comme l’explique le Rambam dans son commentaire sur la Michna, ces différentes oeuvres créées in extremis ont toutes pour point commun le fait qu’elles s’extraient totalement du cadre des lois de la nature. Or de prime abord, ce bâton - de par son aspect - ne semble en rien être « surnaturel », contrairement à la « bouche de l’ânesse » de Bilaam ou au ver du chamir capable de broyer la pierre sans produire de déchet qui étaient par nature foncièrement exceptionnels.
Mais comme nous l’avons vu, si le bâton de Mocb ché défiait à ce point les lois de la nature, c’est n’est pas tant par sa forme physique mais plutôt en vertu de son pouvoir… car il était par essence la clef sur laquelle la nature n’avait plus aucune emprise.


Yonathan Bendennoune


Source Chiourim