jeudi 10 avril 2014

Prague : Le cœur en or de la ville dorée


Prague. Au cœur de l’Europe, un des joyaux du judaïsme. La plus ancienne synagogue d’Europe y côtoie l’horloge la plus étrange du monde, et le lieu où, pour la première fois, l’étoile de David est devenue un symbole du judaïsme. Son cimetière juif a résisté au temps, ses synagogues ont résisté aux nazis. Et la légende du Golem y subsiste, tout comme le grenier du Maharal où personne - ou presque - n’ose mettre les pieds. Hamodia vous entraîne dans la ville d’or et vous fait découvrir son histoire et ses légendes...


 
« Jidowski Synagoga » : mon tchèque n’est pas fameux, mais je connais ces deux mots qui devraient, normalement, indiquer à mon chauffeur que je souhaite arriver au quartier juif de Prague, où sont situées toutes les synagogues de la ville. Il semble tout de suite comprendre, débute sa course et nous entamons un trajet d’une vingtaine de minutes dans de vieilles ruelles animées. Derrière son volant, le taxi parle sans s’arrêter, me jetant de temps en temps des clins d’œil malicieux. Peu lui importe que je ne comprenne pas un mot de ce qu’il raconte. Car même si je comprenais, il ne me laisserait pas le temps de lui répondre.
« Vous êtes arrivés », me dit-il en tchèque, souriant à nouveau. J’ai beau regarder autour de moi, pas de synagogue en vue. Il pointe alors du doigt une grande bâtisse derrière un muret, ornée d’un dôme impressionnant et répète : « synagoga, synagoga ». Sur la façade, je distingue une phrase en hébreu : « Vehou Rah’oum ye’haper Avon » (Il est le Miséricordieux et Il pardonne les fautes).
J’étais bien arrivé dans le quartier juif, mais je ne me souvenais pas avoir vu ce bâtiment lors de mes promenades de ces derniers jours dans la ville. Je payai au chauffeur les 70 couronnes qu’il me réclamait.
Ce n’est qu’après son départ que je compris où il m’avait laissé. Les stèles de marbre qui m’entouraient appartenaient au cimetière juif de la ville. Ce qu’il avait pris pour une synagogue était en fait le bâtiment où on purifie les morts. J’appelai donc immédiatement un autre taxi qui me conduisit à destination.
Sur le chemin, je réfléchissais à la noirceur de la ville moderne : cette erreur du chauffeur, n’était-elle pas toute symbolique ? Alors que je lui demandais de me conduire là où vivent les Juifs de Prague, il avait choisi de me conduire au cimetière… C’est la tête emplie de mornes pensées que j’entrai dans le quartier juif, témoin de la splendeur de la communauté juive locale, fière de ses sages. De cet âge d’or, ne reste-t-il finalement que cette grande synagogue, timide écho des temps anciens ? Existe-t-il aujourd’hui une vie juive à Prague ?
Prague est l’une des plus anciennes et des plus flamboyantes communautés juives d’Europe. Elle a laissé une empreinte indélébile sur l’histoire du judaïsme durant des générations, grâce aux grands penseurs et aux intellectuels qui y vivaient, grâce aussi à ses nombreuses traditions, propagées dans le monde entier.
Prague, l’une des plus belles villes d’Europe, destination touristique par excellence, qu’on appelle aussi « le cœur de l’Europe ». Ses palais et ses châteaux flamboyants, ses merveilles architecturales qui ont traversé les années. Le nouveau et l’ancien se côtoient dans une harmonie unique, constituant l’un des paysages urbains des plus originaux.
Sur les deux berges de la Moldau, le long fleuve qui traverse la ville, Prague l’ancienne s’étend avec la Prague moderne dans un doux mélange, préservant chacune sa spécificité. Les nombreuses tours dorées qui surplombent les anciennes bâtisses ont offert à Prague son surnom : « Zlata Praga » (la Prague dorée) ou « la ville aux mille tours ». Mais toutes ces merveilles ne parviennent pas à rendre à la ville la splendeur de sa communauté juive, qui rayonnait sur le reste de la ville et qui a largement influencé sa culture jusqu’à ce jour.
Prague, aujourd’hui, n’a plus le rayonnement d’autrefois. Tout ce qui reste de ce monde juif passé, sont les synagogues magnifiques et les cimetières qui ont miraculeusement résisté au rouleau compresseur nazi.
Visiter Prague offre une occasion unique de revivre l’expérience des générations passées, et d’entendre le souffle de l’histoire du peuple juif en diaspora. Mais cette visite permet aussi de s’attarder sur la petite communauté juive qui subsiste dans la ville, qui vit sur les cendres de son passé flamboyant. En son cœur, la « Altneushule » (ancienne-nouvelle synagogue), berceau du Maharal de Prague, source d’inspiration de la communauté, admirée et respectée même par les non-Juifs.


Prague l’ancienne
La Bohême et la Moravie sont les régions qui constituent la République tchèque, et Prague est la capitale de la Bohême depuis la nuit des temps.
Le premier témoignage d’une présence juive à Prague date de plus de 1 100 ans, dans un document datant de 907, dans lequel on parle d’un Juif du nom d’Avraham Ben Yaacov, amené au marché aux esclaves de Prague.
Parmi les Baalé HaTossefot, on en trouve au moins deux originaires de cette région : rabbi Éliézer de Bohême et rav Moché fils de rabbi Yaacov de Bohême.

Le cimetière de Zizkov
Nul besoin de se reporter aux livres de l’histoire lointaine du judaïsme de Prague : en se promenant dans les allées d’un des plus vieux cimetières d’Europe, où repose le Maharal de Prague, on prend conscience de la richesse intellectuelle qui a jailli ici, à l’ombre de tous les grands penseurs qui y reposent.
Prague la grande est divisée et numérotée par région. Le quartier juif se trouve dans Prague 1, mais son cimetière est situé dans la Prague 3, dans la rue Pivihoav au cœur du quartier de Zizkov, à bonne distance du quartier juif. Un autre cimetière, appelé « le nouveau cimetière juif », a été créé en 1889, le premier étant arrivé à saturation. Il dessert aujourd’hui les Juifs de la ville.
La distance qui sépare le cimetière de Zizkov du quartier juif tient du fait qu’il a été créé en 1679, lors de la grande épidémie qui a touché Prague, et alors que les autorités refusaient d’enterrer les corps à proximité des habitations, craignant la contagion.
Ce cimetière a connu des heures bien sombres, comme lors de la construction de cette tour de 200 mètres de haut, qui abrite les studios de la radio nationale, construite entre 1984 et 1991 et qui cache l’horizon de façon plutôt brutale. Les Tchèques soutiennent qu’elle leur a été imposée par les autorités soviétiques. Quoi qu’il en soit, c’est le grand cimetière juif qui accueillait plus de 40 000 tombes qui a payé le prix de cette construction, lorsqu’en quelques jours, les bulldozers ont détruit une grande partie d’entre elles et que seules les tombes des grands rabbanim de la ville ont été épargnées…


Le sauvetage du musée juif de Prague

Entrons un peu dans les bâtiments du quartier juif et suivons la chronologie des événements. La déception attend ceux qui pensent que durant leur balade dans les vieilles ruelles de la ville, ils marchent sur les pas du Maharal. Ce n’est pas dans ces maisons qu’ont été brûlés et massacrés des milliers de Juifs, car ces bâtiments ont été détruits voici 120 ans, dans le cadre d’un projet de rénovation. Les seuls bâtiments d’époque sont les anciennes synagogues parmi lesquelles, bien entendu, la plus célèbre, la Altneushule, la synagogue la plus ancienne d’Europe. Sont restés également en place quelques bâtiments appartenant à la communauté et constituant aujourd’hui le musée juif de Prague, dans lesquels sont présentées des expositions permanentes d’Art juif de toute l’Europe.
Contrairement à tous les endroits où sont passés les nazis, qui ont profané et détruit tous les lieux sacrés et chers au peuple juif, à Prague, ils n’ont touché pratiquement à aucune des synagogues et ont épargné leur splendeur. Le miracle tient d’une proposition faite aux nazis par le Dr Augustin Stein, alors directeur du musée juif, construit à l’époque de la rénovation du ghetto dans le but de conserver l’histoire de la ville.
A. Stein, comprenant que le sort des Juifs allait s’aggraver, s’est adressé au représentant du parti nazi de la ville, le tristement célèbre Reinhard Heydrich, précurseur de la Solution finale. Protecteur adjoint du Reich en Bohême-Moravie, il a présidé la fameuse conférence de Wannsee dont l’idée géniale et effrayante était que le Reich allemand conserve un témoignage de la race juive exterminée, pour que les générations futures connaissent le patrimoine laissé par la nation juive. Cette idée, qui avait donné un coup de fouet à la réussite du projet satanique des Allemands, a permis à Heydrich de sauvegarder les synagogues de Bohême.
Les directeurs du musée furent maintenus sur ordre des nazis, et commencèrent un travail de fourmi d’inventaire et de conservation des objets d’art et Judaïca rassemblés depuis toutes les régions de Bohême et de Moravie.
C’est à la fin de la guerre, après la déportation et l’extermination des dirigeants du musée, que l’ampleur du trésor a été découverte. Les bâtiments du musée comprennent : la synagogue Meisel, la synagogue espagnole (Temple), la synagogue Pinkas, la synagogue Klausen, ainsi que le bâtiment de purification du cimetière et l’ancien cimetière où repose le Maharal. La synagogue Altneue a certes été transformée en centre touristique, mais elle n’accueille pas d’exposition, et lors des offices, durant Chabbat et les fêtes, elle reste fermée aux visiteurs.
Nous commençons notre visite par la « synagogue Haute », utilisée principalement par les employés assez nombreux du musée. « Elle n’est généralement pas ouverte aux visiteurs, mais si un Juif désire y prier, il y est bien reçu », nous explique-t-on
En entrant dans la synagogue, notre regard est attiré par un rideau (Paro’hèt) peu commun. Il s’avère qu’il a été fabriqué en 2008 à partir des taliths des dizaines de Juifs morts durant la Shoah. Cette vision est effrayante et émouvante tout à la fois. Devant le rideau est brodé une phrase qui lui donne une dimension encore plus tragique : « Et les vêtements sacrés retourneront à leur place ».
L’une des femmes de la communauté qui s’occupait du classement des objets du musée juif, est tombée sur ces taliths, destinés à la guéniza, elle a décidé d’en fabriquer une Paro’hèt qui exprimerait de manière forte le souvenir des disparus. Le projet a été soumis au rav de la communauté qui a approuvé la confection du rideau du point de vue de la Hala’ha. Au centre du rideau, on trouve douze carrés, représentant les douze tribus et, par-dessus, six tresses, en souvenir des six millions de victimes de la Shoah.


@La communauté de Prague aujourd’hui

Les activités de la communauté juive de Prague ont lieu dans ces bâtiments qui abritent également une yéchiva ainsi qu’une « soupe populaire » pour les plus âgés et les personnes isolées, qui fonctionne les Chabbat et les jours de fête.
Le renouveau de la communauté a débuté principalement après la chute du rideau de fer communiste. De nombreux Juifs qui étaient reclus depuis des générations, ont redécouvert leur identité juive, et se sont rapprochés de la religion. Des cours se sont créés, répondant à une forte demande, et des activités autour des Mitsvot ont été organisées. Peu à peu la communauté s’est reconstituée et ne manque aujourd’hui de rien.
Elle compte actuellement 1 300 membres, mais ce chiffre ne reflète pas le nombre réel de Juifs qui ne sont pas tous inscrits sur les fichiers de la communauté. L’assimilation est un phénomène qui touche très sévèrement le judaïsme de Prague mais, en parallèle, il attire un nombre important de convertis, qui suivent toute la procédure de conversion selon les règles.
Une anecdote à ce sujet : nous nous sommes rendus, un soir, à l’Altneushule pour l’office d’Arvit. Nous étions onze, et l’une des personnes présentes a donc entamé l’office. Mais l’un des fidèles lui a demandé de s’arrêter, arguant que seul le rav pouvait décider s’il y avait minyane. L’explication à cette scène incompréhensible nous parvint lorsque le rav, arrivé entre temps, annonça que le quorum n’avait pas encore été réuni. On nous expliqua alors que deux des participants n’avaient pas encore achevé la procédure de conversion et ne pouvaient donc être comptés pour le minyane. De l’extérieur, il était impossible de distinguer qui étaient ces deux personnes...


Près de l’Altneushule

Notre visite se poursuit dans le cœur de la Prague juive, la synagogue connue sous le nom d’Altneushule.
Notre guide ne s’est pas égaré dans les multiples explications sur le nom de l’édifice. Nous n’en retiendrons que deux des plus répandues. L’une viendrait du concept de « Al Tnaï » (sous condition), comme nous enseigne le traité de Méguila: « Les synagogues de Babel sont faites sous condition ». Ce nom donné à l’Altneushule soulignerait le fait qu’elle est en diaspora ainsi que l’espoir en une prochaine rédemption.
Une autre légende, non confirmée, est venue se greffer sur cette explication. Selon elle, des Juifs exilés depuis la destruction du Second temple, ont amené avec eux des pierres du saint bâtiment, et les ont incrustées dans les murs de la synagogue à condition (Al Tnaï) qu’elles soient restituées lors de la reconstruction du Temple.
La deuxième théorie se base sur la traduction du mot Altneu, qui signifie « ancien nouveau ». Lors de la construction de l’Altneushule, en 1270, elle avait été nommée « la nouvelle synagogue » et a gardé ce nom durant de très longues années. Mais plus tard, lorsque d’autres synagogues ont été construites dans le quartier juif, elle a donc été renommée l’« ancienne nouvelle shule », et c’est ce nom qu’elle a gardé jusqu’à ce jour.
Dès le premier abord, la Beth Knesset donne une impression étrange. Peut-être est-ce dû au fait que le bâtiment soit le plus bas parmi les maisons qui l’entourent. Mais c’est sûrement aussi parce qu’au dernier étage de cette synagogue se trouve la mansarde la plus célèbre de l’histoire : celle dans laquelle, selon la légende, le Golem fabriqué par le Maharal de Prague se cache… L’esprit du Golem ferait tellement partie de la mystique de Prague, ville des légendes et des ombres, qu’il n’y aurait pas un Tchèque qui ne craigne qu’un jour le Golem ne se lève et vienne le tuer.
Des groupes de touristes du monde entier affluent à l’Altneushule. Aucun touriste de passage à Prague ne renonce à cette visite autour du mystère du célèbre grenier. Mais la légende n’est pas seule à attirer les curieux. Car la synagogue abrite un objet unique, une horloge, située sur le toit du bâtiment. Les chiffres de son cadran sont en fait les lettres hébraïques, d’Aleph à Yod Beth, mais ce qui est le plus étonnant c’est que, contrairement à toutes les autres montres, son mouvement est inversé, de la droite vers gauche, à l’inverse du sens des aiguilles d’une montre. Pour rétablir l’équilibre, une petite tour, ornée d’une maguen David et d’une montre « ordinaire «, surplombe l’horloge.
Les explications fournies aux touristes quant à cette horloge à remonter le temps m’ont beaucoup plu. On leur expliquait en effet qu’elle symbolisait la capacité toute juive de faire repartir le temps en arrière. Et en effet, quoi de plus juif que de vouloir aller à contre-courant, refusant de courir avec le reste du monde derrière un progrès technologique, susceptible de mener le monde à sa ruine ?


La toute première maguen David

Au-dessus de l’estrade de la synagogue, entourée de barreaux, se trouve un grand dais de velours rouge au milieu duquel est brodée une étoile de David dorée avec un chapeau suédois à l’intérieur. À côté de la maguen David, est brodé le « Chéma Israël » ainsi que d’autres textes sacrés. Sur le côté droit, le nom de Hachem est inscrit en relief.
Peu de gens savent que cette maguen David est la première qui ait été utilisée comme symbole du peuple juif. On trouve bien, ci ou là durant l’histoire, des maguen David gravées, mais elles ne constituaient pas un symbole juif. C’est en 1353, lorsque l’empereur Charles IV vivait à Prague, qu’il a accordé aux Juifs le droit de brandir un drapeau là où ils se trouvaient. Les Juifs de la communauté ont choisi pour symbole la maguen David et depuis, elle est devenue l’emblème affirmé du judaïsme. Même si le lien avec le roi David n’est pas très clair...
En 1648, à la fin de l’une des guerres les plus meurtrières qu’a connue Prague, durant laquelle les Juifs ont protégé la ville et ont empêché la défaite de l’empereur Ferdinand II face aux Suédois, celui-ci transmit aux Juifs un drapeau orné d’une maguen David et d’un chapeau suédois, en signe de reconnaissance. Le drapeau actuel se trouve dans la synagogue depuis l’année 1715, et reproduit le précédent qui s’était usé avec les années.
Cette maguen David ornée d’un chapeau suédois est devenue le symbole de la communauté juive de Prague, et il flotte fièrement dans divers endroits, comme à l’entrée du centre communautaire.


Le grenier

Après avoir visité la synagogue de fond en combles, il nous restait à explorer le fameux grenier de l’Altneushule.
Inutile de s’étendre sur les réponses à ces questions. Le mythe du Golem caché dans les méandres du grenier au-dessus de l’Altneushule préoccupe tous ceux qui ont entendu cette histoire et à plus forte raison ceux qui se trouvent aux pieds du bâtiment et fixent ce mystérieux grenier. Les goyim croient que quelque chose d’affreux et d’effrayant se cache derrière les ardoises du toit, et ils se gardent bien de s’en approcher. Parmi les Juifs, il existe plusieurs écoles. La tendance la plus répandue est de ne pas trop croire à la légende qui a fait ses premiers pas dans les années 1836-1837.
Sans nous prononcer sur la question, nous pouvons dire que selon la tradition orale, il existerait une interdiction totale de monter dans ce grenier. C’est également la position officielle du consistoire de

Prague encore de nos jours.
Et pourtant, une rencontre incroyable nous permit de faire lumière sur ce qui se cache dans cette fameuse mansarde.
Nous étions donc à l’extérieur de la synagogue, regardant les façades du bâtiment et son toit lorsqu’un Juif de la ville passa à côté de nous et nous salua. Il semblait lire dans nos pensées et nous demanda si nous désirions voir des photos du grenier. Intrigués et curieux, nous répondons bien entendu par l’affirmative et le suivons vers une petite librairie située dans une ruelle proche.
Nous entrons dans le magasin où plane une forte odeur de naphtaline, et voyons de nombreux livres s’étaler sur les étagères. Les anciens se mêlent aux nouveaux, les langages s’entremêlent, et quelques livres juifs trainent ça et là. Notre homme échange quelques mots avec l’aimable vendeur, puis s’en va.
Entre temps, le vendeur s’est dirigé vers un coin du magasin et ouvre le cadenas d’une grande malle. Il en sort un livre en allemand datant de 2008, le feuillette, puis nous montre une photo. La légende, nous explique le vendeur en anglais, indique qu’il s’agit d’une photo de l’intérieur du grenier du Golem, et que la photo a été prise depuis peu, alors que des travaux de rénovation y étaient effectués. Manifestement, les ouvriers n’ont pas craint de rentrer dans la mansarde légendaire ni d’y trouver le moindre Golem…
Selon lui, le livre parle de sites historiques du quartier juif de Prague, et il les étudie un par un de façon presque scientifique. Il n’existe aucune traduction du livre écrit en allemand. Il n’a visiblement pas été publié à grand tirage par peur de la censure locale, et peu de gens connaissent son existence et le secret qui y est gardé.
La photo est incroyable. Le sol du grenier correspond exactement aux arcs et aux voûtes en dessous de lui au niveau de la tour, avec les murs qui montent vers le grenier. On peut également distinguer les poutres qu’ont posées les ouvriers dans l’espace du grenier, même s’il s’agit d’une vue d’un seul angle, et si l’on considère que l’endroit devient de plus en plus étroit en montant, la probabilité d’un amas de Guéniza ou de quelque chose d’y ressemblant est des plus improbables dans l’espace restant.
Soit dit en passant, je citerais ce qu’a écrit le Dr Nathan Levin, spécialiste de Prague, dans un livre paru en allemand en 1885 : « en 1883, des travaux de rénovation ont été réalisés dans l’Altneushule, et des recherches ont été faites dans les trous et les fissures de toutes les pièces et du grenier, et aucune trace du Golem n’y a été trouvée. »


Sur les traces du quartier juif

Après l’ancienne synagogue, nous nous dirigeons vers d’autres synagogues de la région, qui font donc partie du musée juif de Prague. Dans la continuité de la rue Maizlova où se trouve l’Altneushule, se trouve la synagogue Meisel, construite par Mordé’haï Meisel, maire du ghetto à l’époque du Maharal.
La synagogue Pinkas, quant à elle, est un peu plus ancienne que la Meisel puisqu’elle a été construite en 1535. Elle accueille une exposition exceptionnelle sur les plus poignants témoignages de la Shoah. Sur ses murs, sont gravés les noms de plus de 77 000 Juifs de toute la Tchécoslovaquie morts durant la guerre. Un silence total règne dans le bâtiment et seule la flamme de la veilleuse au centre de la synagogue fait entendre le hurlement de ses disparus assassinés uniquement parce qu’ils étaient juifs.
Au deuxième étage de la synagogue, se tient une exposition bouleversante de dessins d’enfants du ghetto de Theresienstadt. De cet unique ghetto, 8 000 enfants de toute la Moravie et de la Bohême ont été déportés et massacrés. Les 4 000 dessins retrouvés sont autant de témoignages muets de ces enfants assassinés au printemps de leur vie par les nazis.


L’ancien cimetière juif

La promenade nous mène jusqu’aux portes de l’ancien cimetière de Prague, l’un des mieux conservés d’Europe, qui nous fait remonter des centaines d’années en arrière. Une aura mystérieuse enveloppe les anciennes tombes tâchées de mousse, qui nous racontent les heures de gloire de la communauté juive de Prague. La disposition du cimetière lui confère un aspect particulier à cause de la densité terrible de l’alignement des tombes, sur toute la petite surface du cimetière où s’étalent plus de douze mille pierres tombales. Il s’avère que durant des années, lorsqu’il manquait de la place, la ‘Hévra Kadicha a rajouté de la terre pour pouvoir enterrer de nouveau. Douze couches supplémentaires ont ainsi été ajoutées, alors que les noms des morts recouverts ont été recopiés sur la couche supérieure, ce qui donne au cimetière un aspect tout à fait étonnant.
La plus ancienne tombe du cimetière est celle de rabbi Avigdor Kra, zatsal, l’un des grands tsaddikim, de la grande époque de Prague, au début du 6e siècle. Plusieurs écrits font mention de lui, il a également rédigé le poème « E’had ya’hid oumeyou’had » entonné encore aujourd’hui dans de nombreuses communautés en Israël lors de la montée à la Torah des jeunes mariés le Chabbat suivant le mariage.
La principale tombe du cimetière est celle de rabbi Yéhouda Ben Betzalel, connu comme le Maharal de Prague. Sur la tombe se trouve un lion rappelant son nom (Yéhouda, dont la tribu a pour symbole le lion). Sur la stèle, n’a été gravé que son prénom. À ses côtés, repose sa fille disparue alors qu’elle avait moins d’un an.
De nombreux non-Juifs se promènent, une kippa sur la tête, le long des allées du cimetière et se recueillent sur sa tombe, en murmurant une prière. Certains y déposent une pièce, signe d’une quelconque croyance.


Le destin des Juifs de Prague

Les Juifs de Prague furent parmi les premiers à subir la foudre d’Hitler, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les nations, dans le cadre des tristement célèbres accords de Munich, abandonnèrent la Tchécoslovaquie à son sort, en lui imposant le tracé des frontières d’Hitler selon lequel les Sudètes revenaient à l’Allemagne. Ces accords marquèrent le début officiel de l’invasion par le Reich allemand de toute l’Europe.
L’annexion des Sudètes eut lieu le jour de Souccot 1939. Quelques mois après, le mercredi 15 mars 1939, Hitler envahissait Prague sans tirer le moindre coup de feu, et déclara la ville protectorat de Bohême et de Moravie. La Tchécoslovaquie cessa d’exister. Peu de temps après, les lois de Nuremberg furent appliquées aux Juifs de Prague. Leurs droits furent bafoués : contraints de porter un ruban à leurs vêtements, il leur fut interdit de se déplacer librement.
Un peu moins d’un an après l’invasion de la Tchécoslovaquie, les Allemands ferment un camp militaire abandonné près du village de Terezin, à une soixantaine de kilomètres au nord de Prague. Ce camp sera rebaptisé en allemand Theresienstadt. C’est dans ce lieu de malheur que seront déportés les Juifs de Prague et leurs frères de Bohême et de Moravie.
Dans un premier temps, les Allemands transformèrent le camp en ghetto pour les Juifs qui purent poursuivre leur vie tant bien que mal. Il était important pour les nazis de montrer au monde qu’ils permettaient aux Juifs de vivre normalement dans leur ghetto. C’est la raison pour laquelle ils leur octroyèrent des bâtiments publics et construisirent des écoles aux enfants. Mais toute cette mise en scène ne parvint pas à cacher la situation insupportable dans laquelle les Juifs de Prague vivaient alors que sur un terrain censé accueillir au maximum 7 000 personnes, plus de 50 000 Juifs y étaient entassés.
90 000 Juifs tchèques sont passés par ce camp de concentration. Parmi eux, plus de 77 000 ont trouvé la mort dans les camps d’extermination après avoir subi les pires tortures, les maladies et la faim. Peu d’entre eux ont survécu aux camps. Une partie est retournée à Prague à la fin de la guerre avant de partir en Israël lors de la montée du communisme.


Épilogue

Prague accueille aujourd’hui une communauté juive dynamique et très active. La yéchiva Chouva Israël, qui fait partie des institutions du rav Yichayahou Pinto chlita, a offert à la Torah de la ville dorée une renaissance. Les synagogues se remplissent aussi bien en semaine, que Chabbat et jours de fête. Un Beth ‘Habad, très actif, offre des offices quotidiens trois fois par jour, en marge des cours de Torah et des activités éducatives. La communauté s’est également dotée de deux restaurants casher, qui servent aussi bien les Juifs de la ville que les nombreux touristes qui viennent goûter à la cuisine et à l’ambiance casher des lieux.
Il reste aujourd’hui de la Prague ancienne les pierres de l’histoire sacrée, même si elles ont longtemps été abandonnées. Mais même les cœurs de pierre se sont transformés en cœurs de chair alors qu’un renouveau souffle sur le judaïsme local.


Hanokh Kopilowitz, Prague

Source Hamodia