mercredi 25 décembre 2013

La pouponnière barbelée de Ravensbrück


 
 
Kinderzimmer signifie littéralement « pouponnière » en allemand. Mais on se doute bien qu’il ne s’agit ni d’un établissement chaleureux, ni d’une histoire banale. Non, parce que cette histoire se déroule dans le camp de concentration de Ravensbrück. Ravensbrück fut le seul grand camp de concentration réservé aux femmes. Himmler lui-même, à la fin de l’automne 1938, décide d’ériger un camp pour femmes. Les premières prisonnières arrivent en mai 1939 : 860 Allemandes et 7 Autrichiennes. A partir de ce moment le nombre de prisonnières ne cesse d’augmenter. Le camp est agrandi à quatre reprises, et fin 1944 la population du camp atteint 80 000 femmes et enfants. En tout et pour tout, 132 000 femmes et enfants ont été incarcérés à Ravensbrück. On estime que 92 000 d’entre eux y ont été assassinés, ou y sont morts d’épuisement et de faim. Ce camp pour femmes faisait régner le même régime que les autres camps de concentration, avec coups, tortures, pendaisons, exécutions…


avec son propre crématoire et dès novembre 1944, une chambre à gaz. Le camp de la mort avait une caractéristique bien particulière, en ce qu’il emprisonnait des centaines d’enfants. La barbarie nazie fut sans limite vis-à-vis de ces enfants, qui ont connu un sort absolument épouvantable. Les enfants étaient condamnés à mort bien avant leur naissance. Au début du camp, les enfants étaient immédiatement tués. Plus tard, certains enfants furent épargnés à la naissance, mais les conditions de vie ne faisaient en général que retarder leur mort.


Avant d’entrer dans le réseau, Mila s’appelait Suzanne Langlois. Sa mère, suicidée, la laisse vivre seule avec son père mutilé de la Grande Guerre et son grand frère dans leur boutique de la rue Daguerre, où elle vendait des partitions de musique. Lorsque les Allemands occupent Paris, la boutique devient un lieu de Résistance. Une nuit, alors qu’elle abrite un résistant, Mila se retrouve enceinte. Quelques semaines plus tard, Mila est embarquée avec sa cousine Lisette vers le cauchemar nazi. Enceinte, elle peut être considérée comme inutile et conduite directement à la mort. A peine arrivée, elle apprend le sort qui attend les nouveau-nés. Alors Mila se tait, masque sa grossesse, qui reste difficilement visible tant les conditions de vie au camp sont rudes. Mais Mila le voit et le ressent : « Ça se voit que le corps affamé puise dans ses réserves. Absorbe sa propre graisse à défaut d’apport extérieur, pompe toute chair jusqu’à l’os ».


Mila sent bien que ce bébé, qui grandit en elle, lui donne une raison, une force de vivre.
Les femmes de ce roman sont des femmes déportées politiques. Dans l’hiver de Ravensbrück, elles sont des dizaines de milliers, se raccrochant à ce qui leur reste de vie. Des recettes que l’on connaît par cœur, des amitiés indéfectibles. Ces femmes auxquels le camp n’est parvenu à ôter ni la singularité ni la beauté de leurs sentiments.
A la naissance de son fils James, Mila découvre le monde parallèle de Kinderzimmer, et la chambre des enfants. Rien de ce qu’on connaît d’une pouponnière, avec les jolies couleurs, les layettes, les biberons, les risettes des enfants… Les bébés nés dans le camp ont trois mois d’espérance de vie. Les rats, le froid, la faim, sont leur quotidien. De James ou de Mila, qui maintient l’autre en vie ?
Les dernières semaines de sa captivité, Mila se force à noter sur des minuscules morceaux de papiers tous les indices qu’elle récolte de l’extermination des prisonnières. Pour témoigner un jour, peut-être…



Et c’est justement de nos jours qu’on la retrouve allant d’école en école pour témoigner.
Le sujet de la maternité dans un camp de concentration en 1944 est difficile à traiter, le ton est dur, les mots sont crus, mais tellement réels. Dès les premières pages, le lecteur se retrouve au milieu de la saleté, des insultes, des coups, des poux, du froid de la chaleur, de la puanteur, des humiliations, et essaye comme toutes ces femmes de tenir debout. Un livre grave, éprouvant et émouvant, qui maîtrise parfaitement le lien entre la fiction et la réalité, vécues par des personnages simples qui ont pourtant écrit l’Histoire. « Il faut des historiens pour rendre compte des événements, et des romanciers pour inventer ce qui a disparu à tout jamais : l’instant présent ».
Un roman aussi vrai et profond qu’un témoignage.

Source JerusalemPost