Je me sens nostalgique cette semaine, peut-être parce qu’une année se termine et qu’une autre est sur le point de commencer. Ou peut-être est-ce parce que je vieillis, et que les années me paraissent de plus en plus courtes. Un peu comme à l’époque dans laquelle nous vivons, où il suffit de cliquer sur un bouton ou de poser son doigt sur un écran pour que l’image change, tout va très vite, et un rien sépare un Shabbat du suivant. A peine ai-je eu le temps de ranger les restes dans un Tupperware qu’il est temps de cuisiner à nouveau. Je pense que mon humeur pensive a commencé récemment un vendredi matin, alors que je faisais la queue dans la relativement nouvelle boulangerie française Ness, rue Rahel Imenou dans la Moshava Guermanit, pour acheter une Halla. Entourée de clients français et des charmants propriétaires du magasin, je me suis soudain crue à Paris, dans l’une de ces célestes pâtisseries casher avec ses incomparables et irrésistibles sélections de croissants, ses macarons multicolores (sans comparaison aucune avec les collantes spécialités à la noix de coco qui jonchent les rayons israéliens au moment de Pessah), ses tartes et ses baguettes.
Depuis mon aliya en 1971, j’ai eu l’immense privilège d’être le témoin oculaire du prophétique rassemblement des exilés, Kibboutz Galouyot, qui, vague après vague, a conduit de nouveaux Israéliens sur nos côtes. Et alors que je me tenais là, respirant les merveilleuses senteurs de ces confiseries françaises, je n’ai pu m’empêcher de penser à la façon dont chaque aliya a enrichi notre pays – et nos vies – de façon incommensurable. Je dis cela en dépit du souvenir du sketch comique légendaire, où chaque vague successive d’aliya fraîchement débarquée sur la plage contemple avec désolation celle qui lui succède : les Juifs allemands horrifiés par les Marocains, les Marocains par les Russes, etc. Et à chaque fois, les nouveaux venus descendent du bateau pour rejoindre les autres et déplorer, avec eux, la prochaine vague de nouveaux arrivants.
Du nord et du sud Les Russes venus à la fin des années soixante-dix ont apporté avec eux le sacrifice et la vision de Natan Sharansky et d’autres prisonniers de Sion. Ils sont devenus des dirigeants nationaux ou des héros, confrontant leur incomparable idéalisme et leur détermination à vivre une vie juive authentique, à notre sionisme laborieux, souvent négligent et prosaïque, et nous rappelant que nous avons vécu l’accomplissement de milliers d’années de prières juives.
Puis avec l’aliya russe des années quatre-vingt-dix, moins idéaliste et plus pragmatique, sont arrivés des milliers de citoyens instruits, cultivés, ambitieux, qui ont amélioré nos vies à tous les niveaux, introduisant l’amour pour la danse classique, la musique et la littérature, remplissant les salles de concert et de théâtre, et produisant leurs propres journaux, magazines et émissions de télévision. Ils ont également détourné le pays de sa romance originelle avec le socialisme, pour être passés par là. En clair, ils savaient mieux que les naïfs kibboutznikim.
Mais je crois que ce sont les Ethiopiens, cependant, qui symbolisent au plus proche le miraculeux accomplissement annoncé par Jérémie dans la Haftara lue le second jour de Rosh Hashana : « Oui, je veux les ramener…, les rassembler des extrémités de la terre ; l’aveugle même et le boiteux, la femme enceinte et l’accouchée se joindront à eux : en grande foule, ils reviendront ici… Celui qui disperse Israël saura le rallier… » Y a-t-il un Israélien dont le cœur n’a pas bondi d’émotion à la vue de ceux qui avaient traversé jungles et déserts pour rejoindre leur patrie, perdant en route des membres précieux de leur famille ? Chaque fois que je vois une belle famille éthiopienne, un jeune soldat éthiopien fier, le dos droit, une adorable gagnante d’un concours de beauté à la peau noire, je me dis que leur présence et leurs contributions ont aidé à faire d’Israël un pays moderne, ont été une source d’inspiration.
Occidentaux modèles Puis vient le tour des Français. Ici, au cœur de la Moshava Guermanit, leur langue est quasiment devenue la seconde la plus parlée. Comme pour toutes les autres vagues d’aliya, ces nouveaux arrivants se serrent les coudes pour se familiariser avec l’hébreu et les coutumes locales. Mais ils n’oublient pas d’enrichir le pays avec leur culture d’origine. Quant à l’immigration nord-américaine, en dépit de leur nombre conséquent, ils font pâle figure d’un point de vue quantitatif par rapport, disons, aux Russes ou aux Marocains. Mais ils représentent un nouveau type d’aliya.
Ces Olim dits occidentaux ne fuient rien, ils ne cherchent pas à s’échapper d’un quotidien de misère en vue d’une vie meilleure. Au contraire, ils laissent bien souvent derrière eux leur confort matériel. Leur aliya est mue par le choix, non par la nécessité. Et quand je pense à la contribution de mes compatriotes immigrés en provenance d’Amérique du Nord, les noms de Roz et Paul Schneid, elle, diplômée de Yale et lui, rédacteur en chef de l’Encyclopedia Judaica, me viennent immédiatement en tête.
Dans les années 1970, ils avaient décidé de répondre à l’appel du gouvernement pour établir des serres dans le Goush Katif. Ils deviendront des agriculteurs prospères, les parents de huit enfants brillants et pétris d’idéalisme qui aujourd’hui guérissent nos malades et protègent nos frontières.
Des années durant, ils étaient sur la ligne de front, maintenant le pays à distance des roquettes qu’ils essuyaient eux, en nombre. Jusqu’à ce que la propre unité militaire de leur fils, aux ordres de politiciens aveuglés, les déloge de leur maison qui sera ensuite détruite. Ils se sont réinstallés à Hispin, dans le Golan, à la frontière syrienne. En dépit de tout, ils sont restés des citoyens loyaux, la matriarche et le patriarche d’un clan remarquable, la fine fleur de la société israélienne.
Et la suivante ? Alors que nous sommes assis à regarder avec horreur ce qui se passe de l’autre côté de nos frontières, les Egyptiens s’assassinant entre eux, les Syriens en train de bombarder et gazer leurs enfants, et le chaudron libanais qui se prépare avec malice à nous éclabousser de la maléfique mixture qu’il s’emploie à concocter, on ne peut que se rappeler, chaque jour, à quel point nous sommes chanceux. Chanceux car, malgré nos énormes différences, nous avons toujours su nous dresser comme un seul homme contre toutes nos menaces extérieures. Car contraints à défendre nos frontières contre nos voisins haineux, nous nous sommes maintenus dans une cocotte-minute qui a su façonner nos noyaux de charbons disparates en un unique, fort, superbe diamant aux multiples facettes.
Puissions-nous toujours être en mesure de fournir une maison, une vie, un avenir à tous les membres éloignés de notre large famille qui sont venus ou viendront – quelles qu’en soient les raisons – nous rejoindre sur notre ancienne/nouvelle terre.
Et, à l’image de l’ancien Israël, puissions-nous continuer à maintenir nos tribus distinctes, chacune forte de son propre héritage et de ses atouts culturels disparates, chacune ajoutant autant de touches de couleur, de variétés et de joie de vivre à notre collectif.
La terre est vaste. En ce changement d’année, je regarde vers l’avenir pleine d’espoir, curieuse de savoir ce que la prochaine aliya apportera.
Source JersualemPost