Israël a, depuis les accords d’Abraham, ses entrées dans le golfe Persique. La présence de Tsahal à quelques encablures des côtes iraniennes pourrait paradoxalement garantir l’équilibre de la paix entre les deux rivaux. Téhéran et Tel-Aviv entretiennent depuis quelques années un affrontement de basse intensité. Attaques de drones, financement de proxys, déclarations fracassantes, assassinats ciblés, menaces… Les deux puissances multiplient les coups dans cette guerre de l’ombre, sans que l’étape supérieure ait pour l’instant été franchie. Des deux côtés pourtant, les raisons ne manquent pas.......Analyse.......
Toujours pas d’escalade malgré les tensions
Côté israélien, le financement iranien du Hezbollah, la présence en Syrie et en Irak de milices chiites patronnées par Téhéran — qui multiplient les provocations à l’égard de l’État hébreu — justifient potentiellement une réponse de grande ampleur.
D’autant qu’Israël craint que l’Iran doté de la bombe atomique ne devienne intouchable. Tel-Aviv aurait pu donc depuis longtemps décider de prévenir plutôt que de devoir, peut-être, un jour guérir, sans aucune garantie de succès.
Côté iranien, l’implication israélienne assumée dans la mort du général Qassem Soleimani, et possiblement dans les assassinats de cinq scientifiques nucléaires iraniens sur son territoire, constituent des prétextes idéaux au déclenchement d’une attaque de haute intensité par Téhéran.
La République islamique aurait pu enfin mettre à exécution les menaces qu’elle profère à l’encontre de l’État hébreu depuis de nombreuses années.
Pourquoi, alors, aucun des deux n’a-t-il déclenché les hostilités ? Tout d’abord parce qu’Israël n’a vraisemblablement pas les moyens humains de gagner une telle guerre (9,217 millions contre 83,99 millions 2020).
Ensuite, parce que l’objectif de Téhéran n’est pas, contrairement aux déclarations des « durs » du régime, la liquidation de l’État d’Israël et la propagation de la révolution islamique dans le monde.
La priorité numéro un de la République des mollahs n’est rien de moins que sa survie, et ce, depuis qu’elle est apparue.
Le nationalisme, la paix et le nucléaire, le brelan gagnant des mollahs
Les mollahs — héritiers de la longue tradition diplomatique perse — ont su faire systématiquement des choix qui se sont avérés payants depuis la révolution de 1979. Malgré une guerre meurtrière (Iran-Irak), les blocus, les sanctions et le manque de soutien d’une grande partie de sa population, ils ont quand même réussi à se maintenir au pouvoir en utilisant trois leviers complémentaires : le nationalisme, la paix et le nucléaire.
Le premier à être apparu dans le logiciel de la République islamique est le plus naturel : l’éternel nationalisme iranien. En désignant un ennemi extérieur (l’Irak puis les États-Unis et Israël), capable de détruire l’Iran et sa culture, le régime des mollahs a préservé un semblant de légitimité populaire intérieure et évité une révolution grâce à une très précaire union sacrée (et l’élimination de tous les opposants crédibles).
Les deux derniers (la paix et le nucléaire) ont, quant à eux, émergé il y a une dizaine d’années de façon complémentaire, à mesure que la situation économique se dégradait.
Les sanctions empêchent le pays de développer le potentiel de son industrie pétrolière ? Qu’à cela ne tienne, l’Iran s’appuiera sur sa tradition universitaire et la compétence de ses ingénieurs pour construire son nucléaire civil. Et pourquoi ne pas fabriquer une bombe par la même occasion ?
Le message envoyé est clair : « Nous ne plierons pas, nous avons les moyens de vous faire mal, si vous ne voulez pas la guerre, accueillez-nous à votre table ». Stratégie payante, les négociations sur le nucléaire iranien et les sanctions économiques ont repris fin 2021.
Malgré le fait que le régime semble avant tout vouloir être considéré comme un égal à la table des puissances, une partie de la classe politique israélienne reste sur ses gardes.
À ce titre, le rapprochement avec les puissances arabo-sunnites, en particulier les Émirats arabes unis (EAU), est un mouvement stratégique intéressant. D’autant que sa présence dans le détroit d’Ormuz ne se justifiait pas par la protection d'intérêts économiques.
Pas d'intérêt économique pour Israël dans le détroit d’Ormuz
Si la présence des États-Unis dans cette région était communément admise, tant la sécurité d’approvisionnement en pétrole était indispensable pour Washington, pour Israël, la donne est différente.
Selon la DG Trésor, les principaux fournisseurs d’Israël en 2020 sont l’Union Européenne (38,8% des importations, - 2,0% en 2020), l’Asie (25,2% des importations, +2,11%) et les États-Unis (12,3% des importations, -26,6%).
La Chine (11,0% des importations) et la Suisse (7,5%) constituent les deuxièmes et troisièmes fournisseurs d’Israël, puis viennent l’Allemagne (7,4%), la Turquie (5,0%), la Belgique (4,5%), le Royaume-Uni (4,3%), les Pays-Bas (4,1%), l’Italie (3,8%) et enfin la France (3,1%). Israël n’a donc pas besoin de sécuriser ses importations.
Concernant l’énergie, Israël n’est pas dépendante de la production du golfe. Historiquement, ses principaux fournisseurs de pétrole sont la Russie, l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Récemment, le pays a saisi une opportunité en important du pétrole provenant du Kurdistan irakien, mais cela n’a jamais été décisif.
Pour la dernière année de référence avant la pandémie (2018), selon l’AIE, Israël produisait environ 69 TWh d'électricité, dont presque 97 % été tirés des énergies fossiles : gaz naturel (65,9 %), charbon (30,4 %) et pétrole (0,5 %) ; les énergies renouvelables étant résiduelles.
Le pays peut compter sur ses gisements de gaz en méditerranée orientale exploités depuis 10 ans (notamment Tamar 2) et de nouvelles découvertes (Léviathan) pour être quasiment autosuffisant. L'intérêt de la présence israélienne dans le détroit d’Ormuz s’explique donc par des considérations sécuritaires.
Le coup de poker israélien
Avant qu’elle puisse opérer dans le golfe persique, Israël était confronté à un problème militaro-tactique de taille : son ennemi l’encerclait ou presque. Le pays était acculé à ses frontières dans une position défensive inconfortable. Ce qui faisait évidemment les affaires de l’Iran.
Ce dernier pouvait user de la menace d’une attaque loin de son territoire et concentrer ses forces sur un seul front.
Avec les accords d’Abraham, la donne change considérablement. Désormais, Israël peut « rendre la monnaie de sa pièce » à l’Iran. Tel-Aviv — aidé par ses nouveaux alliés arabo-sunnites émiratis inquiets de l’influence que Téhéran exerce sur les chiites demeurant sur son territoire et au Yémen — est dorénavant présent aux frontières iraniennes.
C’est un joli coup pour Israël : malgré sa puissance militaire, l’Iran ne dispose pas de ressources illimitées et doit donc désormais déployer ses forces en fonction aussi des mouvements de l’adversaire.
À l’avenir, Israël pourra aussi faire monter (ou baisser) la pression d’un cran en fonction des mouvements iraniens.
Ce nouvel équilibre ne fait pas les affaires de Téhéran, en particulier dans le cadre des négociations. Il devient moins crédible offensivement, car obligé désormais de se concentrer aussi sur sa défense.
D’autre part, la Chine — dépendante à plus de 60 % de la production pétrolière du golfe et du transit du détroit d’Ormuz en 2020 — verrait d’un mauvais œil que l’Iran déclenche des hostilités qui bloqueraient ce couloir maritime, ô combien stratégique pour elle. Et sans la Chine, son plus important partenaire commercial, l’Iran ne résisterait pas longtemps.
Le timing, facteur clé des négociations
On espère donc que le pari de l’équilibre de la terreur, façon guerre froide, tiendra. Israël a en tout cas les moyens de « jouer la montre ». Une providentielle manne gazière lui permet contre toute attente d’espérer rapidement être autosuffisante en énergie. Dans le cadre d’un conflit avec l’Iran, un des risques économiques pour Israël aurait été l’augmentation généralisée des prix de l’énergie.
Ce risque pourrait bientôt ne plus exister pour l’État hébreu. D’autant que selon la DG Trésor, « outre le fait d’assurer sa sécurité énergétique et de contribuer à la diversification du mix, ces découvertes (gazières, NDLR) ont créé les conditions d’un rapprochement entre les producteurs de la région et se révèlent un accélérateur en termes de coopération régionale ».
Avec ses quatre nouveaux alliés arabes (EAU, Maroc, Soudan, Bahreïn), Tel-Aviv a donc de quoi tenir.
Un luxe que n’a pas l’Iran qui jouera son va-tout durant les négociations et qui pourrait s’appuyer sur les Libanais et les Palestiniens pour tendre les nouvelles alliances arabo-hébraïques et le climat général.
Source Portail IE
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