On l'attendait depuis 2015. Le créateur fait son grand retour avec une belle surprise, une griffe de vêtements déclinables à l'envi qui s'adaptent à toutes les femmes : AZ Factory.........Détails & Vidéo........
Cela fait quelques années que la mode ressemble un peu au football, avec un mercato constant qui fait que les équipes qui ne gagnent pas, ou plus, peuvent être changées à volonté.
Les créateurs passent, les maisons restent. Mais certaines fins de contrat surprennent plus que d'autres. Ça a été le cas de la rupture entre Lanvin et Alber Elbaz, annoncée fin 2015.
Certes, on avait eu vent de certains désaccords… Mais après avoir piloté Guy Laroche et Saint Laurent Rive Gauche, le créateur d'origine israélienne avait littéralement ranimé la maison en lui imprimant son style fantasque, flamboyant. La marque et son directeur artistique avaient presque fini par se confondre. Alber, c'était Lanvin. Lanvin, c'était Alber.
La suite ? Hormis lors de collaborations ponctuelles avec Converse et Tod's, on ne peut pas dire qu'on ait beaucoup eu de ses nouvelles.
Jusqu'à l'annonce, fin 2019, qu'il fondait sa propre marque, AZ Fashion, soutenu par le groupe Richemont (propriétaire de Cartier, Chloé et Net-a-Porter, notamment).
Depuis, AZ Fashion a été rebaptisé AZ Factory et son lancement a eu lieu le 26 janvier dernier, pendant la semaine de la haute couture.
Notre rendez-vous Zoom avec Alber Elbaz remonte à une quinzaine de jours. Difficile d'élaborer un questionnaire d'interview, car on nous fait savoir qu'Alber préfère nous faire le topo lui-même.
Tout juste réussit-on à arracher quelques photos, dont on a la primeur, après avoir renvoyé un contrat de confidentialité. À l'heure dite, Alber Elbaz apparaît sur l'écran, auréolé de sa récente blondeur, sur fond de livres consacrés à d'illustres camarades comme Pierre Cardin et Christian Dior.
« Ce que j'ai fait pendant ces cinq années ? J'ai redécouvert ce que c'était que de prendre mon temps, commence-t-il. J'ai voyagé. Ça m'a rappelé que le monde, ce n'est pas que la mode, contrairement à ce qu'on a tendance à penser dans ce milieu, qui est une bulle.
J'ai enseigné aussi. Vu qu'on nous explique en permanence qu'il faut s'adresser à la génération Z, qu'un créateur doit avoir 17 ans et un PDG, 21, je suis allé voir ce qu'il se passait dans différentes écoles de mode.
Il s'agissait pour moi d'apprendre plus que d'inculquer. J'ai découvert une génération très intéressante, qui a des valeurs et une idéologie – peut-être plus que nous. À part ça, eh bien… je me suis follement ennuyé. Mais l'ennui, c'est excellent pour la créativité. »
À l'entendre, la phase post-Lanvin sonne comme un rétablissement sentimental. Il parle du temps qu'il lui a fallu pour tourner la page et envisager de retomber amoureux de cette mode qu'il n'aimait plus dessiner.
Mais pas question de se « remarier » (c'est le terme qu'il emploie) avec une grande maison.
« Franchement, je n'avais pas envie de repartir dans ce cycle ininterrompu de collections et de pré-collections, qui me donnait l'impression de courir sans perdre une seule calorie. La seule manière pour moi de revenir, c'était de faire les choses à ma façon. »
L'un des épisodes qui le fait réfléchir est un voyage à Palo Alto, dans la Silicon Valley, où siègent des mastodontes de la tech tels que Facebook et Tesla. « Je me disais que je n'allais rien comprendre parmi tous ces génies. Or, je suis tombé sur des gens passionnants, des innovateurs qui ne parlaient que de créativité et d'émotion.
À mon retour, je me suis demandé à quel point on pouvait conjuguer la mode, les algorithmes et la data… » Voilà que l'expérimentation commence. Le couturier adopte une approche presque sociologique en observant les femmes. Comment elles s'habillent pour travailler, faire du sport, sortir, comment elles mangent, comment elles consomment la mode, à quelle inclusivité elles aspirent. La pandémie advient, accentuant certains comportements.
Alber Elbaz imagine une marque digitale, dont chaque pièce est déclinée du XXS au 4XL, et dont la gamme de prix demeure relativement raisonnable pour du luxe (on peut trouver des produits autour de 250 euros, « qui sont des vêtements, pas des porteclés »).
S'il a troqué « Fashion » contre « Factory », c'est qu'il veut insister sur le collectif (les artistes, les start-up, les usines collaborant avec la griffe seront systématiquement mis en avant) et la dimension pragmatique du projet. « Il s'agit de produire des vêtements, non ? »
Pas question de saisonnalité : la marque proposera une nouvelle collection tous les mois ou tous les deux mois… Bref, quand ce sera prêt. La silhouette est couture, certes, mais fonctionnelle, modulable et réaliste. En attestent les trois premiers chapitres.
Tout commence par une robe en maille, pur produit d'ingénierie anatomique. « Je me suis demandé comment mettre en valeur la silhouette, quelle qu'elle soit. J'avais envie de transférer la technologie des baskets en maille, ultra-ergonomiques, au vêtement.
Voilà comment on en est arrivé à cette robe qui embrasse le corps sans l'enserrer, et qui, grâce à différentes tensions, apporte du maintien juste là où il faut. C'est un câlin, cette robe.
Et Dieu sait qu'on a besoin de câlins en ce moment. » Passant à la photo d'après, celle d'une robe aux manches gigots fort représentative de son style, il attire notre attention sur le Zip arrière : une fermeture qu'on peut actionner sans l'aide de quiconque, car elle est munie d'un lien, comme les combinaisons de surf (façon bijou).
Avec la collection suivante, on passe d'une tenue de sport à un look de soirée en deux minutes chrono : sur un jogging fluo porté avec des bijoux, le créateur ajoute un blazer noir, une jupe-boule en satin duchesse (en fibres recyclées), un foulard… et voilà !
« Vous pouvez faire votre yoga, vos courses, assister à une réunion online et à un dîner avec un nouveau prétendant en ayant simplement apporté quelques éléments. »
Quant à la collection n° 3, c'est un vestiaire ultra-sophistiqué en apparence (smoking, bustier…), sauf que tout est réalisé dans une microfibre de Nylon jusqu'alors utilisée uniquement par le sport et la lingerie.
Dans l'ensemble, les volumes maxi, les volants, les manches bouffantes, les couleurs pimpantes que l'on attendait d'Alber Elbaz sont bien là, mais la silhouette est plus claire. « Il m'est arrivé de me demander si ce qu'on faisait n'était pas trop simple, confirme-t-il.
Mais j'ai réalisé qu'on n'avait pas besoin de plus, surtout aujourd'hui. Quand vous regardez autour de vous, vous constatez que tout le monde porte le même pull en cachemire et vous vous demandez où est passée la mode qu'on voit sur les podiums.
Et puis, je ne peux pas lire le journal et trouver que c'est une bonne idée de faire une robe de bal. Je tiens à garder l'esprit couture, la tradition. Mais c'est comme en cuisine : on peut moderniser les recettes cultes en allégeant un peu le beurre, non ? »
Vous nous aimez, prouvez-le....