Tout commence par la double déflagration de l'été 1945. Si les bombardements d'Hiroshima (le 6 août) et Nagasaki (le 9 août) annoncent d'abord, pour les puissances belligérantes et leurs populations, le terme d'une guerre qui dévaste le monde depuis près de sept ans, il ne faut pas très longtemps pour que soit perçu l'autre sens de l'événement : l'entrée dans une nouvelle ère ; le changement de paradigme pour les conflits à venir.
« Une révolution scientifique, les Américains lancent leur première bombe atomique sur le Japon », salue froidement le jeune journal le Monde du 8 août (daté du 9) en guise d'épitaphe aux 150 000 civils vitrifiés l'avant-veille.
Le même jour, pourtant, Albert Camus exprime dans Combat un autre sentiment : l'effroi.
« On nous apprend [...] au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes, écrit-il, que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football.
Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique.
Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. »
Prolifération
La crise de Cuba (1962) vue par le journal français Ouest-France
L'arme nucléaire, comme on le comprend en outre de l'état de la science et des programme de recherche notoirement en cours dans divers lieux du globe, ne va pas tarder à prospérer.
L'URSS a la sienne dès 1949, la Grande-Bretagne en 1952, la France en 1960, la Chine en 1964. Sa progression semble d'autant plus inéluctable qu'elle apparaît, par son caractère dissuasif, aussi miraculeuse pour les faibles qu'indispensable aux grandes puissances.
Dans un contexte de guerre froide intense jalonnée d’alarmes (Corée, Cuba…), le spectre d'un troisième conflit mondial s'installe logiquement dans les esprits des dirigeants comme dans ceux des peuples avec son corollaire : l'apocalypse nucléaire, dont l'angoisse rode jusque dans les années 60.
1956 : l’AIEA
Dès 1956 est créée l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) sous l'égide de l'ONU.
Son objet : diriger le nucléaire vers des applications pacifiques et en organiser internationalement un début d'encadrement. 81 pays signent alors son traité fondateur.
L'exacerbation des frictions Est-Ouest rend ses débuts laborieux. Ce n'est qu'après la crise de Cuba de 1962 – où l'on passe effectivement pas très loin de la guerre atomique – que s'impose la nécessité d'un accord plus ferme.
Le Traité de non-prolifération de 1968
Parrainé par les grands adversaires que sont les États-Unis et l'URSS, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) est conclu le 1er juillet 1968, toujours sous l'égide de l'ONU, considérant les dévastations qu'une guerre nucléaire ferait subir à l'humanité entière...
Préambule du TNP
Il commence ainsi :
« Les États qui concluent le présent Traité, […] Considérant les dévastations qu'une guerre nucléaire ferait subir à l'humanité entière et la nécessité qui en résulte de ne ménager aucun effort pour écarter le risque d'une telle guerre et de prendre des mesures en vue de sauvegarder la sécurité des peuples […] sont convenus de ce qui suit… »
Le Traité distingue les États dotés de l'arme nucléaire au 1er janvier 1967 (EDAN, dit aussi Club nucléaire : URSS, Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine, tous membres du Conseil de sécurité de l'ONU) des autres (ENDAN, États non dotés de l'arme nucléaire).
Rappelant la Charte des Nations-Unies et la promesse qui y figure d'éviter l'emploi de la force, il engage les parties à « ne pas transférer [ou recevoir] à [ou de] qui que ce soit, ni directement ni indirectement, des armes nucléaires [...] ou le contrôle de telles armes ».
Elles devront aussi « ne pas fournir de matières brutes ou de produits fissiles spéciaux, ou d'équipements ou de matières spécialement conçus ou préparés pour le traitement, l'utilisation ou la production de produits fissiles spéciaux à un État non doté de l'arme nucléaire ».
Les États sont encouragés à développer la coopération dans le domaine du nucléaire civil.
Ils s'engagent à négocier en vue de parvenir à un arrêt de la course aux armements nucléaires et à un désarmement général et complet sous un contrôle international. L’AIEA est chargée du contrôle.
Le TNP entre en vigueur en 1970. Il est alors ratifié par une quarantaine d’États dont l'URSS, les États-Unis, le Royaume-Uni ... mais non la France ni la Chine qui entendent compléter sans entraves leur programme en cours. Elles s'y joindront en 1992.
A l'inverse, certains pays tels l'Afrique du Sud, le Brésil, la Suède, l'Argentine renoncent à des programmes nucléaires déjà avancés pour adhérer au TNP.
Le traité est signé pour 25 ans et renouvelé en 1995 sans limite de durée. Il est complété en 1998.
Non-signataires
Trois pays n’ont jamais signé le TNP et ont acquis l‘arme atomique sans susciter les foudres de la communauté internationale: l’Inde dès 1974, son ennemi le Pakistan vers 1998 (date de ses 6 essais) et très probablement Israël.
Ce dernier entretient la plus grande opacité sur le sujet, s'oppose à tout contrôle onusien ou de l'AIEA.
Des experts estiment son arsenal à plus de cent têtes nucléaires.
Pakistan
Rêvé dès l'aube orageuse de l'indépendance, le programme nucléaire militaire pakistanais débute pour sa part dans les années 70, au lendemain d’une troisième guerre avec l’Inde et alors que celle-ci est sur le point de disposer elle-même de la bombe (qu’elle testera en 1974).
Le Pakistan aura l'arme atomique, promet alors le Premier ministre Bhutto, même si les Pakistanais doivent pour cela "manger de l'herbe et des feuilles". Ses progrès en ce sens – quoique secrets – sont alors bien vus des États-Unis qui voient dans le Pakistan un contrepoids utile à l’Inde, jugée trop proche de l’URSS.
Son armement nucléaire deviendra une réalité probablement vers 1987 –avec, en particulier, l’aide de la Chine populaire - mais les premiers essais n’ont lieu qu’en mai 1998. Son arsenal actuel, qui s’est considérablement développé au cours des dernières années est estimé à une centaine de têtes et ses vecteurs d’une portée de 4 000 à 5 000 kilomètres.
A l’inverse de nombreux autres pays dont l’Iran, le Pakistan n’est pas signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (T.N.P.) - de même qu'Israël et l’Inde – ce qui lui évite, notamment, le tracas des inspections internationales.
Le cas de la Corée du Nord
Membre du traité de non-prolifération nucléaire depuis 1985, Pyongyang a déclaré s’en retirer en 2003, avant de s’affirmer, deux ans plus tard, comme État possesseur de l’arme nucléaire.
Une controverse juridique existe sur la validité de son retrait mais, dans les faits, la Corée du Nord - qui multiplie les essais - rejoint les rang des Etats détenteurs de la bombe non signataires du TNP.
La communauté internationale a régulièrement réagi à sa "rebellion" par une série de résolutions du Conseil de sécurité - 17 depuis 2006, dont 7 assorties de sanctions, souvent freinées par la Russie et la Chine - qui vont au delà de ce que prévoit le traité.
Celles-ci brillent à chaque fois par leur inefficacité. Les Nord-Coréens « mangeront de l’herbe mais ne renonceront pas au programme » nucléaire, résume Vladimir Poutine.
Leur pays a ces derniers mois renouvelé ses essais, conjugués à des tirs de missiles à longue portée.
La fermeté constante envers Pyongyang tranche en tout cas avec la tolérance à l'endroit d'Israël ou du Pakistan, alliés de Washington.
Officiellement, la Corée du Nord conditionne son désarmement au retrait de troupes américaines de Corée du Sud et une garantie de sa sécurité.
En réalité, instruit par les exemple de l'Irak ou de la Libye, le régime de Kim Jong voit de plus en plus - non sans raisons - dans l'arme atomique une garantie de survie contre les Etats-Unis qui ont ouvertement décidé de le renverser.
Iran : une longue guerre des nerfs
A l'inverse de la Corée du Nord, l'Iran ne renie pas le TNP qu'elle avait signé et ratifié sous le règne du Chah. Lancée dès cette époque dans un programme de recherche nucléaire, elle l'a constamment poursuivi mais nie vouloir acquérir la bombe.
Très hostile à son régime depuis la révolution islamique de 1979, le camp occidental - Etats-Unis, Union européeenne ainsi que leurs alliés sunnites - accuse Téhéran de dissimuler un volet militaire.
En cause : son activité avérée d'enrichissement d'uranium qui peut servir à développer des centrales civiles mais aussi de l'armement.
Une première crise majeure, en 2006, se solde par un match nul, l'Iran menaçant de se retirer du TNP si on l'empêche de développer son programme de recherche.
L'affaire est d'autant plus sensible que son président est alors Mahmoud Ahmadinejad , ennemi déclaré de l'occident qui a promis la destruction d'Israël. « J'annonce officiellement que l'Iran a rejoint le groupe de ces pays qui ont la technologie nucléaire » lance t-il le 11 avril 2006.
« Notre réponse à ceux qui sont mécontents que l'Iran réussisse à maîtriser complètement le cycle du combustible nucléaire se résume à une seule phrase. Nous disons : Soyez en colère contre nous et mourez de cette colère », (...) « nous ne discuterons avec personne à propos du droit de la nation iranienne à enrichir de l'uranium ».
Plus diplomate, son successeur Hassan Rohani s'efforce à partir de 2013 d'atténuer, contre certaines concessions, les sanctions qui pèsent sur son pays.
Le souvenir de l'Irak
En 2002- 2003, l'Irak de Saddam Hussein est explicitement accusée par des membres de la coalition occidentale adverse - singulièrement les Etats-Unis de George Bush et le Royaume-Uni de Tony Blair - de développer, parmi un arsenal supposé d'"armes de destructions massives" (ADM), un programme d'armement nucléaire.
Son unique réacteur d'Osirak - fourni par la France - a pourtant été détruit en 1981 par un bombardement israélien et une seconde fois par les Américains lors de la première guerre du Golfe.
Malgré les avis dubitatifs de l'AIEA après ses inspections, l'accusation est renouvelée au plus haut niveau - le Premier ministre britannique présentant aux Communes, documents et photos à l'appui, la menace d'un armement atomique quasi opérationnel - et sert de justification à la seconde invasion de l'Irak.
Celle-ci a bien lieu, ouvrant la voie à une longue suite d'effondrements et de conflits régionaux toujours d'actualité, mais les ADM n'ont jamais été trouvées. Encore moins le fameux programme nucléaire irakien secret dont les preuves brandies par George Bush et Tony Blair se sont ultérieurement révélées ... être des faux.
En juillet 2015, l'Iran et les pays du « P 5+1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) parviennent enfin à un accord : limitation de l'enrichissement d'uranium et de la production de plutonium - nécessaire à la bombe - ; renforcement des inspections de l'AIEA.
L'Iran, en résumé, reste potentiellement une puissance nucléaire mais les "freins" installés et consentis l'empêchent techniquement de fabriquer une bombe opérationnelle en moins de deux ans.
En échange et sous réserve du respect de ses engagements par Téhéran, les sanctions doivent être graduellement levées.
C'est cet accord, fruit de douze années de laborieuses tractations internationales, que le président américain Donald Trump remet en cause en mai 2018 en annonçant le retrait unilatéral des États-Unis.
L'assassinat du général iranien Qassem Soleimani vient aujourd'hui aggraver l'escalade.
"L'Iran n'aura jamais d'arme nucléaire!", tweete ce 6 janvier le président américain.
La veille, Téhéran présentait la "cinquième et dernière phase" de son plan de réduction de ses engagements en matière nucléaire, affirmant qu'il ne se sentait désormais plus tenu par aucune limite "sur le nombre de ses centrifugeuses".
Signe de retenue, pourtant : elle indiquait néanmoins que sa coopération avec l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui soumet son programme nucléaire à un strict contrôle, "se poursuivra comme avant".
Source TV5 Monde
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