Pour les fanatiques de l’identité, qui aiment tant mettre les gens dans des cases, Sayed Kashua est une anomalie. Pensez donc : un Arabe qui écrit en hébreu. Palestinien et citoyen d’Israël, c’est le genre d’oxymore qui vous rend vite suspect aux yeux de tout le monde. L’auteur de « Les Arabes dansent aussi » a fini par trouver ça épuisant. Il est donc parti vivre aux Etats-Unis en 2014......Détails........
Il n’a pas dû y danser tous les jours, aux Etats-Unis. Mais il a trouvé, dans son expérience compliquée de l’existence, la matière de ce quatrième roman bourré de mélancolie, de talent, et même, souvent, de drôlerie.
Ça commence comme l’émouvant cahier du retour au pays natal d’un homme jetlagué, qui ressemble beaucoup à Kashua et dont le père est à l’hôpital.
Ça se termine sur la mise au jour, par petites touches, des raisons bouleversantes pour lesquelles ce personnage s’est condamné à l’exil avec une femme qui, manifestement, ne l’aime pas.
Dans l’intervalle, le lecteur, lui, n’a pas eu le temps de s’ennuyer. Il a notamment découvert la profession du narrateur : pour rédiger les Mémoires de ses clients, cet écrivain public les enregistre méthodiquement, puis injecte ses propres souvenirs dans leurs récits au moment de les transcrire.
Sa méthode va assez loin :
« La mémoire écrite doit être embellie, et si je sentais que le matériau fourni par les personnes que j’interviewais risquait de contredire l’image qu’elles souhaitaient donner à leurs lecteurs, j’enjolivais leurs rêves, j’effaçais ou ajoutais des phrases, et parfois même je leur prêtais des rêves et des pensées pour accompagner leur coucher. »
C’est d’autant plus nécessaire que, « parfois, les misères de la vie ne laissent pas de temps pour les souvenirs ».
Et globalement, les clients semblent très contents du résultat. Nous aussi. Cette confession en trompe l’œil de Sayed Kashua est beaucoup plus profonde et savamment construite qu’elle s’en donne l’air.
Moralité : il faut se méfier des gens qui prétendent raconter leur vie, les identités sont toujours des fictions bricolées par quelqu’un d’autre.
Source L'Obs
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