Comme dans Mélodie de Vienne, paru en 2017 chez Levi, Ernst Lothar fait preuve d’une virtuosité de scénariste à péripéties, avec Revenir à Vienne, commencé à Scarsdale, près de New York en 1945, et achevé à Vienne au printemps 1949. Paru la première fois aux Editions Das Silberboot à Salzbourg, il a été réédité en 2018 par Paul Zsolnay à Vienne.......Détails........
Largement autobiographique, ce roman retrace le retour du jeune juriste Félix von Geldern à Vienne, après huit ans d’exil aux Etats-Unis, durant lesquels il avait tourné le dos à sa riche famille pour vivre la vie d’un honnête et modeste libraire.
Des échos autobiographiques
Ernst Lothar avait, lui, enseigné la littérature au Colorado College de Colorado Springs durant ses années américaines.
Issu d’une famille fortunée, considérée comme juive selon les lois de Nuremberg, il avait quitté l’Autriche après l’Anschluss, c’est-à-dire au moment de son rattachement au Reich nazi.
Avant la Seconde Guerre mondiale, docteur en droit, Ernst Lothar Müller avait été procureur, puis avait travaillé au ministère du commerce extérieur autrichien.
Mais il avait abandonné sa carrière de juriste dès 1925, pour se consacrer à la littérature.
Il écrivait également des critiques pour la Neue freie Presse, le journal auquel collaboraient nombre d’intellectuels juifs, dont Max Nordau et Theodore Herzl, qui en tant que correspondant à Paris, avait rendu compte du procès d’Alfred Dreyfus.
En 1935, il avait succédé à Max Reinhardt à la tête du théâtre de Josephstadt.
Un roman autrichien
Quand on commence la lecture de ce roman sérieux, on se méprend un peu. On éprouve d’abord la même avidité qu’avec Alexandre Dumas, dont Lothar partage l’art de surprendre le lecteur et de le tenir en haleine. On retrouve la fébrilité de tourner les pages, du temps de l’adolescence.
Cependant, très vite, force est de constater qu’il ne s’agit pas moins du destin de l’Autriche, au lendemain de l’anéantissement du « grand Reich de mille ans ».
Les Autrichiens ont accueilli triomphalement les nazis dans les rues de Vienne, ils ont trainé les Juifs hors de leurs demeures, les ont contraints à nettoyer les rues à genoux, les ont livrés à la Gestapo, se sont emparés de leurs biens.
Félix von Geldern, le double de Lothar, fraichement naturalisé américain, retourne à Vienne pour huit semaines.
Pendant huit ans, il n’a rêvé que de l’instant où il mettrait à nouveau le pied dans sa chère Autriche. Il y arrive en compagnie de Viktoria, sa grand-mère, riche et lucide, qui ne voit pas les Viennois avec les yeux de l’amour.
La mère de Félix, en revanche, est tout ce qu’il y a de plus nazie, et elle continue d’aimer son vieil amant nazi et malade.
Félix qui a promis le mariage à Livia, une jeune Américaine angélique, l'oublie, ou presque, pour épouser une chanteuse d’opéra qui a couché avec Goebbels, et sans doute, avec d’autres du même acabit.
Les rues de Viennes sont couvertes de décombres, il n’y que peu d’électricité, la nourriture est rare, et les habitants, faméliques, hargneux contre les Américains, voient d’un très mauvais œil le retour des rares survivants des camps d’extermination. Jusque-là, nous suivons volontiers Lothar.
Ensuite, nous sommes perplexes. Sans vouloir dévoiler les nombreux retournements dans cette orageuse « tempête sous un crâne » de Félix, nous assistons à des revirements de la part du héros qui ne peuvent s’expliquer que par sa foi catholique.
Ou dans ce que l’on appelle la wieder gut machung - faire à nouveau le bien. Il faut dire que Félix a poussé le bouchon très, très loin. Il a donc épousé la soprano colorature nazie, puis l’a acculée au suicide en la contraignant à prendre conscience de sa déchéance.
Il brandit en effet sous son nez une photo où elle figure en compagnie de Goebbels qui, au dos du tirage, a écrit quelques mots la remerciant pour ses services. Félix a été prier dans une église bondée, et a eu pitié de ces pauvres ex-nazis en loques, errant en quête de nourriture dans les ruines de leur ville.
Dans l'ombre de Thomas Bernhard
On ne trouve pas chez Lothar ce qui nous réjouit chez Thomas Bernhard, la hargne, la force de dérision, l’humour, et surtout, le style ravageur de cet immense écrivain, qui a créé une langue à la hauteur de ce que fut le totalitarisme nazi, la culpabilité des Autrichiens qui, comble du déni, se prenaient pour des victimes.
Lothar fait retourner son Félix à New York pour y étudier le droit, tandis que lui-même est resté à Vienne et a participé aux procès de dénazification, notamment à celui d’Herbert von Karajan.
Œuvrant pour la reconstruction de sa patrie, il fut notamment directeur du Festival de Salzbourg de 1952 à 1959.
Ce festival, ce Salzbourg, sur lesquels Bernhard déversait en ricanant son tonitruant mépris.
Revenir à Vienne est une œuvre fort intéressante mais mineure, toutefois, si on la compare à Extinction et à Heldenplatz de Thomas Bernhard.
Source Non Fiction
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