Depuis longtemps, Nathan Wachtel s’interroge sur les effets exercés par la conquête des Amériques. Cette symétrie est encore au cœur de son dernier livre, consacré aux différentes formes de messianismes liées au Nouveau Monde. Du côté des Européens, la croyance la plus extraordinaire et la mieux diffusée est certainement celle de l’origine juive des populations indiennes. Selon cette légende, les Indiens seraient les descendants des dix tribus perdues d’Israël qui, après leur déportation dans le royaume assyrien, ont mystérieusement disparu.......Détails........
Fin des temps
De nombreux auteurs exhibent des preuves de cette généalogie, comme le dominicain Gregorio García qui affirme ainsi, dans L’origine des Indiens du Nouveau Monde (1607), que le mot «Pérou» est d’origine hébraïque ou que les termes «Juif» (Judío) et «Indien» (Indio) sont presque identiques.
Les conséquences sont considérables car avoir retrouvé les mystérieuses tribus perdues annonce sans nul doute l’imminence de la fin des temps.
C’est aussi la découverte de Juifs innocents puisque, à la différence des Judéens (les Juifs retournés à Jérusalem après leur déportation à Babylone), ils sont innocents du crime de déicide qui joua un rôle si important dans l’antisémitisme chrétien.
Du côté des Indiens, le messianisme trouve ses racines dans les désastres qu’ils ont subis.
Comme le rappelle Nathan Wachtel, ce que nous appelons «grandes découvertes» ou «conquête de l’Amérique» signifie pour eux invasions et élimination de 80 % de la population.
Des Cordillères andines jusqu’aux montagnes Rocheuses nord-américaines, on observe des mouvements prophétiques caractéristiques d’une situation coloniale dont le point commun est d’attendre un retournement de l’ordre du monde et l’avènement d’une ère de justice.
Eschatologie
Dans les pays andins, ce messianisme prend la forme du retour attendu de l’Inca après l’exécution par les Espagnols du dernier empereur Túpac Amaru en 1572.
L’un des mythes les plus répandus dans ce monde, jusqu’à nos jours, est en effet celui d’Inkarri, lequel affirme que la tête décapitée de Túpac Amaru créera un corps qui, en prenant vie, chassera les Espagnols et ramènera un ordre juste.
Cette eschatologie est le plus souvent pacifique car les Indiens attendent moins leur salut d’une révolte armée que d’une victoire des divinités andines sur le Dieu des envahisseurs.
Ce prophétisme prend des formes très variées selon les époques et les régions, certains refusant toute forme de domination espagnole et coloniale, en particulier religieuse, tandis que d’autres se revendiquent au contraire de l’Eglise catholique, laquelle devra cependant être placée sous l’autorité de l’Inca.
Les temps depuis ont changé mais le mythe est encore là, et il s’exprime parfois de façon violente, en termes marxistes ou maoïstes.
N’est-il ainsi pas remarquable de constater avec Nathan Wachtel que le foyer d’origine du fameux Sentier lumineux au Pérou se situe précisément à l’épicentre de la diffusion du mythe du retour de l’Inca au XVIe siècle ?
Par Jean-Yves Grenier
Nathan Wachtel-Paradis du Nouveau Monde Fayard, 331 pp., 24 €.
Source Liberation
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