Le 12 juillet 1966, le président des États-Unis Lyndon B. Johnson prononce un discours à la télévision américaine. 276 000 soldats américains sont alors engagés au Vietnam. Le président déclare que « la guerre risque de durer. Mais c’est le prix à payer pour que les communistes comprennent que le coût de leur agression est trop élevé, et qu’ils réalisent qu’ils doivent cesser le combat et négocier la paix ».....
Le même jour, Moshe Dayan, général israélien victorieux de la campagne de Suez en 1956, icône de l’État d’Israël qui passera ensuite 5 années au gouvernement comme ministre de l’Agriculture puis se consacrera à l’écriture, s’envole pour le Sud-Vietnam comme correspondant de guerre pour 3 prestigieux journaux : Maariv, alors le principal quotidien israélien, le London Sunday Telegraph et le Washington Post.
La série d’articles qu’il écrira, embarqué avec des Marines puis avec la célèbre unité d’élite des Bérets verts, préfigure la déroute américaine. Sa vision du terrain et des erreurs de la hiérarchie militaire US aura une influence majeure sur sa stratégie de ministre de la Défense lors de la guerre des Six jours, une année plus tard.
Moshe Dayan est un héros de guerre emblématique. Né en 1915 dans le premier kibboutz établi en Palestine, il s’engage dans la Haganah à l’âge de 14 ans. De 1936 à 1939, alors que les Arabes de Palestine fomentent et provoquent de nombreuses émeutes meurtrières contre les Juifs, Dayan fait partie d’un escadron d’élite spécialisé dans les embuscades, qui collabore avec les autorités britanniques.
Une unité formée par le légendaire Orde Wingate, qui commandera pendant la seconde guerre mondiale les formidables combattants burmas de l’armée anglaise, en lutte contre les Japonais.
En 1941, Dayan combat sous l’uniforme anglais comme de nombreux juifs de Palestine et prend part à la conquête du Liban et de la Syrie, alors sous l’autorité du régime de Vichy.
C’est au moment où il effectue une mission de sécurisation sur le toit d’un poste de police que son groupe vient de conquérir, dans une petite ville libanaise, que la balle d’un sniper français traverse son verre de lunette gauche, causant la perte de son œil.
Lorsque les forces armées de la coalition arabe attaquent le jeune État d’Israël en 1948, Dayan commande les troupes qui combattront les armées syriennes en Galilée, puis une unité de commandos sur le front de Jérusalem. En 1953, il devient chef d’état major de l’armée, conduisant victorieusement l’invasion israélienne du Sinaï en 1956.
10 ans plus tard, ainsi qu’il l’écrira dans ses mémoires publiées en 1976, il souhaitait voir sur le terrain du Vietnam « à quoi ressemblait une guerre moderne, comment les nouveaux armements étaient utilisés, comment se comportaient les soldats américains sur ce champ de guerre, et comment cela pouvait influer sur sa propre expérience pour l’armée israélienne ».
C’est ce « laboratoire unique », selon ses termes, que le stratège et combattant israélien va expérimenter comme journaliste correspondant de guerre.
Comme le souligne le quotidien Haaretz, lorsque Dayan est sollicité par le journal Maariv pour écrire un reportage sur la guerre du Vietnam, sa carrière politique est en berne.
Le parti Rafi créé par Ben Gourion, qu’il a rejoint, a fait un faible score aux élections de 1965, et l’ex-ministre de l’agriculture a comme objectif le poste de ministre de la défense d’un futur gouvernement.
L’offre de Maariv tombe à pic. Critiqué de toutes parts à la Knesset lorsqu’il informe les députés et le gouvernement de son futur voyage, du parti communiste israélien Maki au ministre des affaires étrangères Abba Eban, Dayan passe outre et atterrit à Saigon le 25 juillet 1966. Il a alors 51 ans et va éprouver sur le champ de bataille vietnamien le quotidien des soldats américains.
Quatre jours plus tard, dans l’un de ses articles, Moshe Dayan écrit « L’armée américaine ne se bat pas pour stopper la progression des Vietcong au sud, encore moins contre une forme de guérilla, encore moins contre Ho Chi Minh. Il s’agit juste d’une démonstration de force (en particulier vis-à-vis de l’URSS, de la Grande-Bretagne et de la France), destinée à ce que chacun sache que lorsque les USA entrent en guerre, rien n’est en mesure de les arrêter ». Et il qualifie alors la guerre du Vietnam de « guerre de l’image, dont les Nord-vietnamiens paient le prix fort pour avoir voulu défier la superpuissance mondiale ». Un texte que ne renierait pas Jean-Luc Mélenchon.
Mais loin d’être uniquement critique sur le plan stratégique et géopolitique, Dayan fait preuve d’une acuité étonnante, n’hésitant pas à prendre le pouls de simple soldats, à l’image d’un Robert Capa, et refusant la propagande que ses alter ego gradés américains souhaiteraient le voir publier.
Pour finalement constater que, comme des années plus tard en Irak ou sur d’autres terrains de guerre où les USA (et leurs alliés) interviendront, « il faudra des décennies pour que les populations locales soient capables de s’administrer », ainsi qu’il l’écrit le 3 août.
« Former des médecins, des enseignants, une administration, apprendre aux enfants vietnamiens à jouer au baseball, créer des scouts vietnamiens, tout cela n’a aucun sens » écrit-il encore, « Le Vietnam, comme n’importe quel pays, peut accepter une aide extérieure, mais pas un protectorat. Toute forme de progrès doit être naturelle et indépendante, à travers la concertation et l’aide de bonne volonté. Pas sous forme de diktat ».
À la fin de son séjour au Vietnam, Dayan est convaincu que la guerre – qui se termina en 1975 par la victoire des Vietcong, après le retrait américain de 1973 – est perdue pour les USA.
Alain Granat
Source JewPop
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