Notre Parasha raconte le plus triste épisode du peuple d’Israël, la faute du veau d’or. Si l’histoire générale est connue de tous, plusieurs détails demeurent toutefois très flous, sur le plan du récit, comme sur le plan moral et la responsabilité d’Aharon et de tout le peuple. D’autant plus que dans le livre de Devarim, Moshé réprimande les Bnei Israël sur cet écart en rappelant des faits que notre Parasha n’a pas mentionnés – tels que la 2e montée de Moshé sur le Sinaï pendant 40 jours...
Aussi, nous synthétiserons plusieurs Midrashim et commentaires que nous présenterons sous forme de récit qui répondra directement aux nombreuses ambiguïtés quant à l’enchaînement des séquences de cette histoire. Avertissons tout de même nos lecteurs que cette présentation aura certes l’avantage de proposer un récit fluide, mais impose aussi d’ignorer parfois des commentateurs importants tels que le Ibn Ezra, qui propose une chronologie des évènements très différente pour ce qui concerne les prières de Moshé et les exécutions des fauteurs.
Après le récit, nous essaierons de définir exactement la part de responsabilité de nos ancêtres dans cet acte immonde, quelque 40 jours seulement après l’extraordinaire révélation d’Hashem au Sinaï.
Une triste erreur de calcul…
Le lendemain du dévoilement d’Hashem au Sinaï, le 7 Sivan, Moshé Rabbeinou monte sur le mont Sinaï pour 40 jours et 40 nuits auprès d’Hashem, pour recevoir les tables de l’Alliance, ainsi que toutes les Mitsvot de la Torah. Au 40e jour, le 16 Tamouz, les Bnei Israël se lèvent avec excitation pour accueillir leur grand Maître. Mais les heures passent, et Moshé ne redescend toujours pas ! Une angoisse commence à saisir les cœurs des plus fidèles. Tous oublient que Moshé avait fixé l’échéance à 40 jours et 40 nuits, soit 40 jours pleins, de 24h, qui s’achèveront le lendemain matin !
Le Satan se frotte gaiement les mains, et vient semer un peu plus la zizanie en laissant apparaître en haut de la montagne la vision du cercueil du grand berger porté par des anges qui s’envole au ciel. C’est le chaos total : ‘Qui les conduira désormais jusqu’en Terre promise?’ Certes, les plus fidèles ne doutent pas un instant qu’Hashem ne les abandonnera pas. Mais que faire devant la masse du peuple qui bouillonne ?!
'Hour, le fils de Myriam, ose tenir un discours sensé et pacifiste, et se fait assassiner sur le champ par des fauteurs de trouble !
Le peuple vient se lamenter devant Aharon : ‘Fais-nous donc un dieu, qui nous guidera, car nul ne sait ce qu’il est advenu de Moshé, cet homme qui nous a fait sortir d’Egypte !’ [32:1] Aharon tente de jouer la montre, en leur demandant de rassembler de l’or.
Mais le Erev Rav, un ramassis de convertis égyptiens peu convaincus, accélère la réalisation : ils arrachent les bijoux des femmes, qu’ils rapportent en un rien de temps à Aharon. Malgré lui, Aharon jette cet or au feu. Mikha, un idolâtre juif, épaulé par des sorciers du Erev Rav, balance dans le creuset d'or un talisman, et fait jaillir soudain un veau d’or doté d’un souffle de vie [Cf. Rashi 32:4].
Aharon tente alors de gagner encore quelques heures, et leur dit : ‘Nous célèbrerons les festivités en l’honneur d’Hashem demain !’ [32:5]
Mais dès l'aube du jour suivant, une foule importante du Erev Rav se rassemble devant la nouvelle idole, et ouvre les festivités en apportant de nombreuses offrandes…
Moshé venge l’honneur d’Hashem
En haut de la montagne, Hashem somme Moshé de redescendre sur le champ car le peuple s’est dépravé. Hashem lui annonce aussi Son désir de mettre Has Veshalom fin à toute cette histoire…
Mais notre dévoué berger intercède en rappelant la promesse d’Hashem aux Patriarches de donner la terre promise à leurs descendants. Moshé obtient un premier sursis, et redescend de la montagne en emportant avec lui les Tables de l’Alliance.
A l’approche du campement souillé par le veau d’or et les danses débauchées, les lettres des Tables s’envolent en hurlant : ‘Malheur au peuple qui a entendu de la bouche d’Hashem la défense de faire une quelconque idole ou représentation divine, et a osé enfreindre cette injonction 40 jours après !’ [Targoum Yonathan 32:19] Moshé est terriblement bouleversé par la scène, et jette de ses mains les Tables, devenues très lourdes après avoir perdu leur caractère spirituel.
Extrêmement furieux, Moshé va jeter le veau au feu et le pulvérise ensuite en cendres. Puis, Moshé mélange ces poussières à de l’eau, et, à l’instar des eaux de la Sota, il fait boire cette eau aux Bnei Israël. Moshé appelle ensuite ceux qui sont restés fidèles à Hashem à venir venger l’honneur d’Hashem bafoué. Se joignent à lui toute la tribu de Lévi, et ensemble, ils vont exécuter quelques 3.000 rebelles. Tandis qu’une épidémie se déclare et fait tomber d’autres éléments actifs de cette révolte.
3 sortes d’exécution
Voilà donc 3 types de condamnation à mort ! En plus des exécutés par Moshé et les Léviim, certains fauteurs sont morts en se décomposant après avoir bu l’eau mélangée aux cendres, tandis que d’autres sont morts uniquement par l’épidémie. Faisons une courte interruption du récit pour préciser davantage la raison de ces 3 sortes de mort.
La Guemara [Yoma 66B, Cf. Rashi 32:20] rapporte 2 avis. L’un distingue 3 niveaux de transgression – avec ou sans témoins, avec ou sans avertissement. L’autre avis distingue 3 sortes de vénération de l’idole : ceux qui se sont prosternés devant l’idole sont morts par le glaive, ceux qui ont embrassé ou enlacé la statue sont morts en buvant l’eau, et ceux qui se sont juste réjouis à sa vue mais n’ont concrètement servi l’idole d’aucune manière sont morts par l’épidémie.
Le Ramban quant à lui rapporte ce dernier avis, mais en expliquant à partir du verset [32:35] que ceux qui ont péri dans l’épidémie sont ceux qui ont fait pression sur Aharon pour réaliser l’idole.
Remarquons tout de même que le verset qui raconte l’épidémie laisse entendre que ce dernier ravage a eu lieu plus tard [Cf. Ramban et Ibn Ezra Ibid.]. En effet, lorsque le courroux d’Hashem s’estompe –après la série d’exécutions et la 2e prière de Moshé–, Hashem annonce à Moshé qu’Il ne peut pardonner complètement cet écart, mais, plutôt que de châtier tout le peuple en une fois, Il promet que, jusqu’à la fin des temps, à chaque fois que le peuple d’Israël se fera punir, il endurera un peu plus de souffrances afin d’expier à crédit la faute du veau d’or.
Aussi, certains [Cf. Rashbam Ibid.] expliquent que cette épidémie n’a pas été un malheur ponctuel, mais continue de se réaliser tout au long de l’histoire du peuple !
Le Targoum Yonathan [32:20] interprète quant à lui que l’eau mélangée aux cendres n’avait pas pour fonction de tuer ceux qui ont adoré le veau d’or, mais uniquement de faire changer le teint de ceux qui ont donné l’or pour la fabrication du veau d’or, ou de ceux qui ont embrassé cette idole [Cf. Meam Loez au nom du Pirkei déRabbi Eliezer].
Les 2e Tables de l’Alliance
Le lendemain matin, le 18 Tamouz, Moshé convoque les Bnei Israël et les sermonne. Après avoir réalisé le désir des Bnei Israël de se repentir, Moshé supplie Hashem de pardonner aux Bnei Israël, et ose même demander d’effacer le nom de Moshé de toute la Torah si toutefois le courroux d’Hashem ne s’estompait pas.
Face à ce repentir sincère, Hashem éveille Sa miséricorde, et renonce à exterminer le peuple. Se déclare alors une épidémie qui élimine les fauteurs passés à travers les filets de Moshé et des Léviim.
Mais la faute du veau d’or est bien loin d’être effacée, d’autant plus que l’alliance qui lie les Bnei Israël au Maître du monde n’est plus ! Aussi, Moshé remonte sur la montagne pour une 2e série de 40 jours – du 19 Tamouz au 29 Av. Notre grand berger parvient à obtenir la grâce d’Hashem, et est à présent sommé de redescendre tailler 2 nouvelles tables, pour les remonter sur la montagne pour une 3e série de 40 jours.
Le 1er Eloul, Moshé remonte pour une 3e fois ; ascension au cours de laquelle Hashem dévoile à Moshé Ses 13 Midot haRa’hamim –les 13 attributs de miséricorde–, afin de permettre aux Bnei Israël de prier Hashem et obtenir grâce et miséricorde lorsqu’ils les évoqueront avec ferveur.
Au terme de ces derniers 40 jours, c’est le 10 Tishrei. Hashem renouvelle le pacte avec les Bnei Israël, et transmet à Moshé les 2e Tables de l’Alliance, que Moshé redescend au peuple d’Israël.
Depuis, cette date du 10 Tishrei est devenue le Yom Kippour, le jour où Hashem dévoile Son immense miséricorde pour pardonner les fautes des Bnei Israël qui reviennent à Lui sincèrement !
Quelle était la faute des Bnei Israël ?
Si la part floue du récit de cette Parasha a tant bien que mal été dissipée, il nous reste à éclaircir une question pertinente, infernale, que l’on pourrait résumer en 5 mots : qu’est-ce qui leur a pris ???!!!
Ou, en plus détaillé : comment nos ancêtres ont-ils pu commettre une si terrible abomination 40 jours seulement après LA révélation de tous les temps – Hashem qui se dévoile à tout un peuple, en ne laissant plus l’ombre d’un doute sur Son être, Sa providence… ?
Comment ont-ils osé troquer LE D-ieu qui a affligé si spectaculairement l’Egypte contre un pantin fabriqué par des boucles ôtées quelques minutes avant des oreilles de leurs femmes ? Et si tout le peuple a fauté, pourquoi seuls quelque 3.000 impies sont morts ?
Certes, l’épidémie a ensuite ravagé quelques centaines, voire milliers de personnes, mais si la majeure partie du peuple a survécu, c’est qu’elle n’a pas fauté ; pourquoi Hashem leur en a-t-il alors voulu ? Et Aharon, dans tout ça, pourquoi les a-t-il laissés faire ? Comment a-t-il même pris une part active à cette rébellion ?
La crainte de se faire assassiner comme 'Hour ne peut pas être une réponse, car la Torah impose à chaque juif de se laisser tuer plutôt que de renoncer à sa Emouna [croyance], ou faire de l’idolâtrie a fortiori! Pourquoi Hashem ne lui en a-t-il pas voulu ?
L’élément de réponse principal réside en la phrase d’Hashem a Moshé, lorsqu’Il l’a sommé de redescendre de la montagne à cause de l’écart du peuple : ‘Vas donc ! Car ton peuple, que tu as fait monter d’Egypte, s’est dévergondé !’ [32:7] Nos Maîtres interprètent [Cf. Rashi Ibid.] : ton peuple – le Erev Rav – un ramassis de goys qui voulurent se joindre aux Bnei Israël à la sortie d’Egypte, que Moshé accepta sans certifier leur sincère désir de porter le joug de la Torah.
Or, le Zohar rapporte que ce Erev Rav était sans cesse pointé du doigt. Les 7 nuées qui encerclaient et protégeaient les Bnei Israël ne les couvraient pas. De même, ils ne pouvaient ramasser la manne qu’après que celle-ci se fut transformée en eau. Certes, rien ne les empêchait de se plier et d’entrer vraiment sous les ailes de la Shekhina…
Mais ces infidèles voulaient le beurre et l’argent du beurre, et ont finalement désiré même le petit veau, et en or pur !
Nous apprenons donc que ce Erev Rav a été l’acteur principal de ce triste épisode. Reste à préciser à présent la part exacte des Bnei Israël. Deux explications essentielles sont proposées : soit, les Bnei Israël ont participé passivement à cette rébellion, soit ils ont joué un rôle actif, mais sans intention de faire de ce veau un dieu. Expliquons.
Certains pensent que ce veau d’or a, dès le début, été réalisé à des fins païennes, et interprètent que les Bnei Israël commirent la faute de se réjouir peu ou prou de cette déchéance, et offrirent même chacun au moins un petit bijou pour sa réalisation, comme le précise le verset [32:3] : וַיִּתְפָּרְקוּ כָּל הָעָם אֶת נִזְמֵי הַזָּהָב אֲשֶׁר בְּאָזְנֵיהֶם – Et tout le peuple se défit des boucles d’or qu’ils portaient à leurs oreilles…
Le Ramban [32:1-4] quant à lui démontre longuement que les Bnei Israël n’ont pas renié Hashem Has Veshalom, mais ont plutôt désiré un guide spirituel, qui continuera de leur dicter les injonctions d’Hashem pour poursuivre la traversée du désert.
Succinctement, le Midrash [Rabba 42:8] raconte que, lorsque Hashem se dévoila au Sinaï, Il laissa les Bnei Israël contempler Son trône céleste supporté par 4 anges, incarnées en 4 formes différentes : le lion, l’aigle, le taureau, et Adam – l’homme.
Or, le taureau représente la Rigueur d’Hashem, qui domine les lois de la nature, et est capable d’aider les Bnei Israël à surmonter les intempéries dans ce désert infernal. Aussi, lorsque les Bnei Israël réalisèrent que le grand berger ne reviendrait plus, ils désirèrent représenter ce pied du trône céleste, afin de servir Hashem, en méditant par son intermédiaire sur la Puissance d’Hashem.
D’ailleurs, après la fabrication du veau d’or, Aharon a invité les Bnei Israël à fêter en l’honneur d’Hashem le lendemain !
Mais cette intention peut-être bonne était une grave erreur, car la Torah interdit explicitement de faire toute représentation d’Hashem, de peur que l’on n’en vienne ensuite à diviniser Has Veshalom cette idole. Et l’amalgame ne tarda pas à se faire…
Outre le Erev Rav qui courut servir ce veau avec zèle, nombre de Bnei Israël ne tardèrent pas à tomber dans le panneau, tandis que d’autres encore se réjouirent, même s’ils n’osèrent pas encore passer franchement à l’acte.
Précisons que cette dernière explication est, dans son principe, donnée par un grand nombre de commentateurs, à quelques nuances près [Cf. Rashbam, Ibn Ezra, Rabbeinou Béhayé…].
Rav Harry Dahan
Source Chiourim