La paracha Chémot décrit les actions de Moché Rabbénou défendant ses frères juifs de l’oppression égyptienne. « À cette époque, Moché ayant grandi, sortit à l’encontre de ses frères et vit leurs souffrances. Il aperçut un Égyptien frappant un Hébreu, un de ses frères. Il se tourna de côté et d’autre, ne vit paraître personne, frappa l’Égyptien et l’ensevelit dans le sable. »[1]...
D’après le sens simple du verset, Moché regarda autour de lui pour s’assurer de l’absence de spectateurs, puis, une fois certain qu’il n’y avait personne, il tua l’Égyptien.
Rachi nous informe néanmoins que Moché regardait quelque chose de bien plus profond : il vit qu’aucun descendant de cet Égyptien n’allait, à l’avenir, se convertir.[2]
Rachi ajoute ensuite que Moché ne tua pas l’Égyptien de façon ordinaire, mais utilisa le Chem Hameforach (le Saint Nom) pour l’éliminer.[3]
Deux questions peuvent être soulevées concernant cette explication de Rachi.
Premièrement, pourquoi Moché tua-t-il l’Égyptien grâce au Chem Haneforach ?
De plus, les commentateurs[4] affirment que Moché, après avoir vu le comportement de l’Égyptien, le jugea passible de mort. Or, soulignent-ils, quand le Beit Din (tribunal rabbinique) prononce son verdict, il ne prend pas en compte les conséquences de la sanction, que ce soit sur l’entourage ou sur les éventuels descendants vertueux de la personne incriminée.[5] Alors pourquoi Moché eut-il besoin de considérer la future progéniture de cet homme ?
Le Maharil Diskin répond que la faute commise par l’Égyptien n’était punissable de la peine de mort que par la Main Divine, mais non par l’homme[6]. C’est pourquoi il ne pouvait pas le punir physiquement, mais avait besoin de l’assistance Céleste ; il prononça donc le Chem Hameforach.
Il existe une différence fondamentale entre une sanction édictée bidé Chamaïm et quand c’est l’homme qui l’impose. Bien que le Beit Din ne tienne pas compte des éventuels corollaires de la sanction, Hachem examine toutes les répercussions possibles, y compris l’effet qu’aura la punition sur les générations ultérieures de l’individu. Cela signifie que si quelqu’un est passible de mort bidé Chamaïm, mais qu’un ou plusieurs hommes vertueux sont susceptibles de naître de cette personne, Hachem peut transformer sa peine afin de ne pas empêcher leur existence. Puisque Moché faisait appel à ce genre de punition, il devait prendre en considération ce facteur, à savoir les futurs descendants de l’Égyptien.
Cette explication met en lumière la différence entre une rétribution Céleste et une sanction humaine.
Rav ‘Haïm Chmoulewitz zatsal explique ce sujet en détail.[7] Il rapporte le verset de Téhilim : « Les jugements d’Hachem sont vrais, ils se justifient ensemble. »[8]
Que signifie la deuxième partie du verset ? Il explique que quand les êtres humains établissent la justice, ils ne tiennent compte que de l’accusé et ignorent inévitablement sa famille et ses amis. Ils ne pourraient considérer de tels éléments. Cependant, Hachem, dans Son infinie sagesse, sait exactement comment la punition va affecter l’entourage, et rend Son verdict en fonction. Ainsi, Ses jugements se « justifient ensemble ».
Dans le même ordre d’idées, rav Chmoulewitz donne plusieurs exemples bibliques ou bien rapportés par ‘Hazal, dans lesquels une femme fut punie à cause de la faute de son mari. Ceci paraît injuste, mais il explique que quelqu’un qui souffre est certainement puni pour une transgression antérieure. Hachem l’avait épargnée jusqu’alors, parce que son mari ne méritait pas de la perdre. Par contre, après sa faute, il ne mérite plus ce traitement « de faveur » et elle n’est donc plus protégée de ses mauvaises conduites.[9]
Ce développement nous a permis de comprendre que la justice d’Hachem est faite de manière très précise, étant donné que toutes les personnes impliquées sont également punies. L’une des leçons clés que l’on peut tirer de ce principe est que les tragédies ou les épreuves endurées par notre entourage ne visent pas uniquement la personne qui est la plus directement touchée.
Les gens les considèrent souvent comme des messages d’Hachem et tentent de s’améliorer. Mais la même attitude doit être adoptée quand elles ne nous touchent pas directement, mais affectent un membre de la famille, un ami ou un membre de la communauté.
Et plus on est proche de celui qui souffre, plus le message d’Hachem doit être édifiant. C'est pourquoi il est essentiel de voir les souffrances des membres de sa famille ou de ses amis comme un moyen de communication de la part d’Hachem.
Dans le même ordre d’idées, rav Issakhar Frand chlita affirme que lorsqu’une tragédie affecte une communauté, il ne suffit pas de réciter quelques chapitres de Téhilim et poursuivre notre routine comme si de rien n’était. Nous devons entreprendre une sérieuse introspection et réfléchir aux raisons de cet événement, comment Hachem veut que nous en grandissions. Souvent, il nous est impossible de savoir exactement ce qu’Hachem veut nous dire, mais il est essentiel de savoir qu’Hachem nous véhicule un message et souhaite que nous nous améliorions d’une certaine façon.
[1] Chemot, 2:11-12.
[2] Rachi, Chemot, 2:12.
[3] Rachi, Chemot, 2:14.
[4] Voir Maharil Diskin et Taam VaDaat sur ces versets.
[5] Évidemment, il lui est incapable de déterminer de tels éléments, mais même s’il l’était, il n’aurait tout de même pas pris ces facteurs en considération.
[6] Certaines fautes peuvent être punies par le Beit Din – elles sont appelées condamnables bidé adam. Mais ce dernier n’a parfois pas le droit de sanctionner, même si la personne mérite d’être punie. Dans de tels cas, la punition est infligée par la Providence Divine – on parle alors de faute punissable bidé Chamaïm.
[7] Si’hot Moussar, maamar 98, « michpété Hachem », p. 414.
[8] Téhilim, 19:10.
[9] Voir Sanhédrin, 22a.; Rachi, Yoël, 2:13.
Rav Yehonathan GEFEN