La ville natale d’Alfred Dreyfus, capitaine de confession juive dégradé de l’armée française à la fin du XIXe siècle puis réhabilité une dizaine d’années plus tard, lui consacre une année d’hommages. Pour l’arrière-petite-fille de l’écrivain Émile Zola, qui l’avait défendu, le combat de l’ « Affaire Dreyfus » reste d'actualité...
Ce 13 janvier 2016, 118 ans après la publication du célèbre « J’accuse ! » d’Émile Zola, la ville de Mulhouse (Est de la France), lance une année d’hommages au capitaine Alfred Dreyfus. Né à Mulhouse en 1859, ce capitaine de l’armée française, de confession juive, avait été dégradé et condamné pour livraison de documents à l’Allemagne. L’accusation était mensongère, emprunte d’antisémitisme, et ce n’est qu’après de longues années de combat judiciaire et politique que l’homme avait finalement été réhabilité en 1906. Il y a tout juste 110 ans.
L’idée de cette année d’hommages a été lancée il y a dix ans, le 12 juillet 2006. Lors de la célébration des 100 ans de la réhabilitation du capitaine, le projet d’un monument à sa mémoire, érigé au cœur de sa ville natale, a germé. Une association s’est créée ; une sculptrice, Sylvie Koechlin, a été choisie ; un appel à souscription a été lancé.
Le monument devrait être érigé en octobre prochain. « Il s’agit de pérenniser les valeurs de liberté, de justice et de droit qui sont le reflet de cette affaire », lance Fernand Hessel, le président de l’association, qui précise que ce doit être le seul monument de ce type en France.
Des conférences, expositions et rencontres auront également lieu durant toute l’année, et une salle du musée historique de la ville sera désormais consacrée à la vie d’Alfred Dreyfus. Une école de la commune sera également baptisée de son nom, détaille Anne-Catherine Goetz, adjointe au maire de Mulhouse déléguée au patrimoine culturel. Une fierté pour Martine Le Blond-Zola, arrière-petite-fille de l'écrivain.
Qu’attendez-vous de cette année d’hommages ?
L’inauguration du monument en mémoire d’Alfred Dreyfus, ce sera lui rendre un bel hommage. L’exposition réalisée par l’association Valmy au Musée historique est un bel outil pédagogique pour tous les jeunes de Mulhouse et des alentours qui viendront et se rendront compte de l’action d’Émile Zola, entre autres, avec « J’accuse! », puisque ce 13 janvier nous commémorons le 118e anniversaire de sa publication. C’est une date importante pour célébrer cet acte.
En quoi est-ce important de rappeler aujourd'hui l’ « Affaire Dreyfus » ?
Il s’agit tout de même d’un combat contre l’antisémitisme et contre toutes les forces obscures ! C’est très important. Il s’agissait aussi, avec l’ « Affaire Dreyfus », de défendre les valeurs de la République. Sans oublier de signaler l’erreur judiciaire contre cet homme. On voit, à l’heure actuelle, que l’antisémitisme est à combattre et, hélas, c’est un moment fort pour rappeler que pour vivre ensemble dans un esprit de tolérance, il faut respecter les autres, qu’ils soient juifs, catholiques ou musulmans. Il est nécessaire de le rappeler, surtout à la jeunesse actuelle.
Cet homme, Dreyfus, est héroïque. Il a été sacrifié au nom de la raison d’État. Face à cela, Zola, mon arrière-grand-père, a agi face au mensonge et à l’injustice, avec une intense soif de révolte. C’est aussi, pour Zola, la notion de l’engagement qui est très importante. Je pense qu’à l’heure actuelle, pour nos intellectuels, la notion d’engagement s’incline souvent devant le culte de l’image et de la réussite.
L’engagement de Zola est moral et philosophique. Il a crié la nécessité de défendre les grandes valeurs de l’humanité, qui étaient à l’époque mises à mal par le racisme et l’antisémitisme.
Il y a cette phrase célèbre dans « J’accuse! » : « Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière au nom de l’humanité, qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. » Cela donne à l’ « Affaire Dreyfus » une sorte de dimension universelle. Dans « J’accuse! », il décrit les entorses au droit, l’illégalité des procédures, il accuse les vrais coupables - les experts, les officiers, les généraux, les ministres - tous ceux qu’il juge responsables de l’erreur judiciaire. Il s’agit aussi de sauver la dignité d’un homme qui est injustement condamné et de sauver la République d’un front nationaliste et chauvin qui gangrénait les institutions.
Cette année d’hommage prend-elle une couleur particulière au regard des attaques ciblant des juifs ces dernières années ? Il y a eu l’attaque de Marseille en ce début janvier 2016, mais aussi celle de l’Hyper Cacher de Vincennes en janvier 2015, ou encore les assassinats de Mohamed Merah en 2012…
Aujourd’hui, implacablement, l’histoire se répète. Dans cette mondialisation, nos démocraties sont en proie à la résurgence de ces instants de rejet et de stigmatisation qui prennent désormais une forme dangereuse et sournoise : celles de la banalisation, de la dédiabolisation de ce qui relève pourtant bel et bien de l’extrémisme.
Il faut aussi se méfier de ce tournant dans nos sociétés à l’heure actuelle. Tout cela ne peut être combattu que par l’éducation. Justement, cette initiative de la ville de Mulhouse est excellente car elle montre aux jeunes qu’il ne faut pas rejeter l’autre. Il nous faut des lieux de conscience et de mémoire qui portent des valeurs universelles de justice, égalité et de tolérance.
Le combat de Zola pour Dreyfus est finalement toujours actuel, et le destin de Dreyfus est devenu un symbole universel.
Le combat de l’ « Affaire Dreyfus » continue. Malheureusement, il n’est pas terminé, et c’est terrible. J’ai le souvenir de l’une des petites filles d’Alfred Dreyfus, décédée maintenant, qui m’a dit une fois : « Oh, vous savez Martine, l’antisémitisme perdurera toujours ». Il y avait du désespoir dans son regard… C’est triste. Mais il n’empêche qu'il faut lutter. Toutes les institutions publiques et pédagogiques doivent se mobiliser pour que la nouvelle génération soit plus fraternelle.
Des études d’opinion pour mesurer la vigueur de l’antisémitisme en France
Quelques décennies après l’ « Affaire Dreyfus », les années 1930, suivies de la période de Vichy, ont également été le théâtre d’un antisémitisme très fort en France. « La grande différence, c’est qu’il n’y pas, aujourd’hui, d’antisémitisme d’État, souligne Carole Reynaud-Paligot, maître de conférence à SciencesPo. Il n’existe pas d’ambiguité des pouvoirs publics sur ce point. » « Aujourd’hui, nous sommes loin de la société française telle qu’elle était lors de l’affaire Dreyfus, rappelle pour sa part Martine Cohen, du CNRS. Le journal La Croix, par exemple, était antisémite à l’époque. Depuis, le catholicisme a évolué vis-à-vis du monde juif. »
Chaque année, la Commission des citoyens pour les droits de l’Homme (CNCDH) publie un rapport annuel sur le racisme, l'antismétisme et la xénophobie. Le dernier, publié en avril 2015, se fonde notamment sur des enquêtes d’opinion réalisées en 2014 et peu de temps après les attentats de janvier 2015, dont l’un visait l’Hyper Cacher de Vincennes.
La présentation du rapport, cette dernière « analyse de l’opinion publique française a permis à la CNCDH de relever quatre sujets préoccupants », parmi lesquels « la revitalisation des vieux clichés antisémites » (les trois autres sont relatifs à l’Islam et aux Roms). Par exemple : le sentiment que les juifs ont « trop de pouvoir » ou « un rapport particulier à l’argent ».
Selon ce rapport, les infractions antisémites marquent une hausse très importante de 101% en 2014 par rapport à l’année précédente (851 faits délictueux contre 423).
Pourtant, « l’indice de tolérance » établi par la structure progresse de 3,7 points entre novembre 2014 et mars 2015 vis-à-vis des personnes de confession juive. « Les indices longitudinaux de tolérance par minorités indiquent que les juifs restent la minorité la mieux acceptée, avec un indice frôlant les 80, supérieur de 6 points à celui des noirs, de 17 points à celui des Maghrébins et de 26 à celui des musulmans », indique l’étude.
Bénédicte Weiss
Source TV5 Monde