Notre paracha commence par le verset : « Et l’Eternel parla à Moïse, après la mort des deux fils d’Aharon, lorsqu’ils s’approchèrent de l’Éternel et qu’ils moururent ». Les derniers mots de ce verset présentent une difficulté : pourquoi la Torah ajoute-t-elle « ils moururent », alors qu’il a déjà été mentionné : « après la mort des deux fils d’Aharon » ?....
Le Midrache, en expliquant la raison de leur mort, donne les arguments suivants : ils avaient pénétré dans le Saint des Saints ; ils ne portaient pas les habits sacerdotaux nécessaires pour leur service ; ils n’avaient pas d’enfants ; et ils n’étaient pas mariés. Ceci suscite une seconde question : quelle est la source de ce Midrache ? Où est-il fait allusion à ces fautes dans la Torah ?
Plus encore : comment peut-on supposer que les deux fils d’Aharon, Nadav et Avihou, aient pu se rendre coupables d’un péché ? Le Midrache relate que Moïse dit à Aharon : « Aharon, mon frère, je savais que le Sanctuaire serait sanctifié par ceux qui sont les bien-aimés et les proches de D.ieu. Maintenant je sais qu’ils (Nadav et Avihou) sont plus grands que toi et moi. » Si c’est ainsi, comment ont-ils pu pécher?
Il existe une interprétation ‘hassidique selon laquelle les deux fils d’Aharon n’ont pas réellement « péché », au sens littéral du terme. Leur « péché » fut d’avoir permis à leur désir s’attacher à D.ieu d’atteindre une telle intensité qu’ils en moururent : leurs corps ne pouvaient plus contenir leurs âmes. C’est pourquoi la Torah dit « ils s’approchèrent de D.ieu (avec une telle passion qu’) ils moururent ». Et c’est cela qui est considéré comme un péché ! Car, bien qu’un Juif doive s’élever au-delà de ses préoccupations matérielles, lorsqu’il atteint l’ultime extase de son âme, il doit alors revenir au travail que l’âme doit accomplir dans une existence matérielle.
Il est écrit dans l’Éthique des Pères : « Contre ta volonté tu vis ». Face au désir de l’âme de s’élever au-delà du monde s’impose la tâche de créer une résidence pour D.ieu à l’intérieur du monde. Nadav et Avihou parvinrent à l’extase, mais non au retour. Ce fut là leur péché et la raison de leur mort. Ils « s’approchèrent de D.ieu et moururent », c’est-à-dire qu’ils permirent à leur passion spirituelle de l’emporter sur leur mission dans ce monde. Ils outrepassèrent les limites du monde et de la vie elle-même.
Cet acte est à la base de chacune des quatre fautes que le Midrachee leur attribue :
- Ils « pénétrèrent dans le Saint des Saints », les profondeurs les plus extrêmes de l’esprit, sans penser à leur retour dans le monde extérieur.
- Ils ne « portaient pas les habits (sacerdotaux) ». Leur souci était de se défaire du monde et de devenir purement spirituels. Ils avaient abandonné les nécessaires « vêtements » desquels D.ieu a souhaité revêtir le monde, c’est-à-dire les Mitsvot, les actions physiques qui sanctifient l’environnement matériel.
- « Ils n’avaient pas d’enfants » et « n’étaient pas mariés ». C’est-à-dire qu’ils n’accomplirent pas le commandement de D.ieu de « croître et multiplier » et faire ainsi venir de nouvelles âmes dans le monde. Ils firent tout le contraire : ils retirèrent leur propre âme de ce monde.
Toutes leurs fautes découlèrent d’une même erreur : croire que le Juif s’approche de D.ieu par le retrait du monde plutôt qu’en s’y investissant. En réalité, ces deux approches sont nécessaires. Et c’est pourquoi, au moment de l’année où nous sommes le plus puissamment extraits du monde – Yom Kippour –, nous commençons la lecture de la Torah par ces versets, pour nous rappeler de la finalité de notre existence.
Rachi explique que le commandement « qu'Il (Aharon) ne peut entrer à toute heure dans le sanctuaire ... (Mais) voici comment Aaron entrera dans le sanctuaire » vient immédiatement après la mention de la mort de ses fils, pour nous avertir que son service de D.ieu (et le nôtre) ne doit pas être à l’image de celui de Nadav et Avihou.
Cela soulève une question : peut-on réellement exiger de quelqu’un qui atteint l’extase de retourner à des préoccupations terrestres ? Si son expérience est authentique, s’il a atteint l’amour de D.ieu « de toute ta force » et a percé toutes les barrières qui séparent l’homme de D.ieu, peut-il se retenir au point même de son union avec D.ieu, et s’immerger de nouveau dans toutes les contraintes de la condition humaine ? N’y a-t-il pas une incompatibilité émotionnelle entre l’abandon absolu de soi à D.ieu et une vigilance constante pour ne pas aller trop loin ?
La réponse tient dans la manière dont une personne entame sa quête spirituelle. S’il part avec l’intention de satisfaire ses propres désirs, quel que soit leur degré d’exaltation, il ne voudra pas sacrifier sa propre extase aux besoins de ce monde. Mais s’il part du fait du commandement de D.ieu, conscient que, bien qu’il lui soit demandé « Tu aimeras l’Éternel ton D.ieu... de toute ta force », il est néanmoins écrit « Il a créé (le monde) non pour demeurer vide, mais pour être habité », alors, au sein même de son approche extatique de D.ieu, le désir de revenir finalement vers le monde et de le sanctifier sera toujours implicite.
Il y a une histoire célèbre dans le Talmud : quatre hommes pénétrèrent dans le « Pardès », le « verger » (les secrets mystiques de la Torah) : Ben Azaï, Ben Zoma, A’her et Rabbi Akiva. Ben Azaï regarda et mourut. Ben Zoma regarda et fut frappé (de folie). A’her abima les pousses (il devint un apostat). Rabbi Akiva « entra en paix et sortit en paix ».
À première vue, la différence fondamentale entre Rabbi Akiva et les trois autres fut la façon dont il sortit du Pardès. Pourquoi le Talmud mentionne-t-il qu’il « entra en paix » ?
Le fait est que c’est la manière dont chacun des quatre entra qui détermina la façon dont il sortit. Ben Azaï entra en quête d’extase, pas de retour, ainsi il « regarda et mourut ».
Mais Rabbi Akiva entra « en paix », en soumission à la volonté divine, cherchant à unifier le monde supérieur et le monde inférieur. C’est pourquoi il sortit en paix. Son intention de revenir était implicite au commencement de son chemin vers l’extase religieuse.
Ceci était la manière dont Aharon devait pénétrer le Saint des Saints : avec crainte, soumission et abnégation. C’est de cette manière qu’il pouvait alors faire « expiation pour lui et pour sa maison » et dire une prière pour la subsistance d’Israël, des actes liés au monde matériel.
Tous les récits de la Torah ont un enseignement qui s’applique à chaque Juif sans exception. Quel est le message universel de l’histoire de Nadav et Avihou ? À l’évidence, atteindre un niveau d’extase tel que la vie en danger n’est pas donné à tout le monde. Cette mise en garde semble ne s’adresser qu’à de rares individus. Qu’en est-il de tous les autres ?
Toutefois, chaque Juif se trouve parfois réveillé par une intense expérience religieuse, particulièrement le Chabbat et les Fêtes, et plus spécialement lors des Dix Jours de Repentir et par-dessus tout à Yom Kippour. Pendant un certain temps, il est extrait de sa routine quotidienne, de ses anxiétés habituelles, et il s’élève intérieurement au-delà des limites de sa pensée ordinaire.
C’est à ce moment-là qu’il doit se rappeler que, quelle que soit son expérience spirituelle de ce moment privilégié, il doit la ramener avec lui lorsqu’il revient dans son monde quotidien. Il ne doit pas rechercher l’extase pour elle-même, mais pour le retour qui la suivra. Une expérience religieuse ne doit pas rester un souvenir ; elle doit rester active en animant l’ensemble de sa vie. Comme Rabbi Akiva, il doit entrer et sortir « en paix », c’est-à-dire rapprocher D.ieu et le monde d’une manière harmonieuse.
Ce lien entre la manière d’entrer et de sortir du domaine de la sainteté ne s’applique pas uniquement au service du Juif, mais aussi au monde matériel lui-même. Car tous les besoins du Juif, qu’ils soient matériels ou spirituels, émanent directement de D.ieu : « Si vous marchez dans Mes statuts et gardez Mes commandements et les accomplissez, alors Je vous donnerai la pluie en son temps et la terre donnera ses produits... » C’est seulement à travers de son lien avec D.ieu qu’il est pourvu aux besoins matériels d’un Juif. Celui qui dit : « Tout ira bien pour moi, car j’irai selon l’entêtement de mon cœur » s’avère toujours, en dernière analyse, être dans l’erreur.
Et c’est ce qui est suggéré dans notre paracha, dans la description de la procédure du service du Grand Prêtre : c’est seulement après être entré dans le Saint des Saints qu’il avait la possibilité de prier pour la subsistance du peuple.
C’est donc que le monde public que le Juif habite et le monde privé de son expérience religieuse sont intrinsèquement liés. Car s’il transfère cette expérience dans le monde, ce dernier s’en trouve sanctifié par l’homme et béni par D.ieu.
Source Habad