L’émotion et un certain malaise règnent dans le Doigt de la Galilée et dans la partie israélienne du Golan depuis dimanche dernier. Ce sentiment est né lorsque l’on a appris que deux des quatre individus éliminés dimanche par Tsahal alors qu’ils posaient une bombe à la frontière syro-israélienne étaient des Druzes de la région. Les autorités israéliennes ont fait quelques efforts pour passer l’information sous silence, mais une manifestation, hier, mardi, dans la ville de Majdal Shams, réunissant certes moins de 150 personnes, a dévoilé le pot aux roses. Encore que le public n’est pas au courant de tous les détails de l’affaire, que nous exposons ici...Details et analyse...
Taïr Mahmoud, qui était âgé de 34 ans, et son frère, Nazih, de 12 ans son cadet, sont nés à Majdal Shams, la plus grande agglomération druze du Golan israélien, forte de ses 9 000 habitants. Dans leur jeunesse, ils avaient traversé la frontière pour s’installer côté syrien, dans la ville d’Hader.
La maison qu’ils habitaient était toutefois la plus proche d’Israël, et, comme en témoigne leur tante, Sahar Mahmoud, "quand ils étendaient leur linge, tout le monde pouvait les voir distinctement".
Ils s’étaient engagés dans les troupes du dictateur alaouite Béchar al Assad, avant d’être enrôlés dans une organisation terroriste, encadrée par la milice chiite libanaise du Hezbollah.
C’est après avoir reçu un entrainement qu’ils s’apprêtaient, dimanche dernier, à poser un engin explosif de forte puissance le long du grillage de sécurité. Avec deux complices, ils entendaient faire sauter la bombe au passage d’une patrouille de Tsahal ; par le passé, des actes similaires avaient causé la mort de militaires israéliens, y compris des Druzes, ce que nous avions chaque fois relaté dans ces colonnes.
Le trouble s’est insinué lorsque la famille des deux individus a édifié à Majdal Shams une tente de deuil, comme c’est la coutume dans les pays arabes. La parenté des deux hommes se disposait à recevoir les invités désireux de lui témoigner leur sympathie ; dans les faits, ceux-ci furent fort clairsemés et l’événement est resté, par son ampleur, très marginal au sein des Druzes du Golan.
Dans la tente, on a toutefois pu entendre les qualificatifs de "héros" et de "martyrs" de la bouche de certains membres de la famille. Plus encore, une petite manifestation bruyante fut organisée, fermement confinée par Tsahal, pour demander le rapatriement des deux dépouilles afin qu’elles soient enterrées à Majdal Shams.
Ce qui jette un froid consiste en cela que les Druzes du Golan entretiennent des relations très pacifiques avec leurs voisins israélites. Une grosse majorité de la population druze du plateau travaille dans les villes de la vallée du Jourdain, où certains d’entre eux ont également ouvert, depuis de longues années, des commerces florissants dans tous les domaines d’activités.
Ils fréquentent aussi les universités israéliennes, particulièrement celle d’Haïfa ainsi que le collège académique de Tel Haï, situé à mi-chemin entre Métula et Kiryat Shmona.
Au dispensaire de cette ville, on rencontre d’ailleurs des dizaines de médecins et d’infirmières qui viennent quotidiennement y travailler en descendant de la montagne, suite à un trajet d’une vingtaine de minutes.
Dans tout le Doigt de la Galilée, on croise également des architectes, des ingénieurs et des avocats du Golan, qui sont habilités à plaider devant tous les tribunaux d’Israël.
La population druze du haut plateau est sensibilisée par la guerre civile syrienne, qu’elle ne peut ignorer, car les combats qui opposent la Résistance à l’Armée gouvernementale et à ses alliés iraniens et libanais, font rage à quelques centaines de mètres de chez eux. Et l’écho des bombardements d’artillerie, mais aussi des tirs d’armes automatiques, ne s’arrête pas à la frontière et fait trembler la terre presque journellement.
Si la plupart des Druzes ne sont concernés que par le sort du million de leurs frères vivant de l’autre côté de la frontière et restent concentrés sur leurs affaires sans s’impliquer dans le conflit, le reste de la communauté est partagé.
30% ont pris fait et cause pour l’opposition, alors que 70% sont politiquement impliqués dans le soutien du régime alaouite.
Dans leurs quatre villes, Majdal Shams, Massadé, Boukata et Ein Kenya, on trouve même des permanences de soutien sur lesquels a été déroulé le drapeau gouvernemental syrien, de même que des portraits du dictateur.
Tant que ces activités restent confinées dans la sphère politique et n’occasionnent pas de troubles à l’ordre public, les autorités israéliennes se gardent d’intervenir. La conduite de Jérusalem s’inspire du fait que, comme nous l’avons déjà dit, seule une faible partie de la communauté est impliquée dans ces occupations, et qu’une intervention de la police ne ferait qu’aggraver les choses.
D’ailleurs, le chef spirituel de tous les Druzes israéliens, le Cheikh Mouwaffak Tarif, s’est empressé de rédiger un communiqué dans lequel il dénonce vivement la décision de la famille Mahmoud. "Ce qui nous importe", a déclaré le cheikh, "c’est l’existence de l’Etat d’Israël et sa sécurité". Le leader spirituel ajoutant : "Ces druzes ne représentent aucun Druze du pays, et une vaste majorité dans le Golan ne soutient pas ces actes criminels".
Le maire de Majdal Shams, Dolan Abou Saleh, renchérissait en condamnant sans réserve l’établissement de la tente dans sa circonscription, et en expliquant : "C’est absurde! Pendant que Tsahal s’emploie à défendre les hauteurs du Golan et les résidents de la cité, il y en a qui crachent dans le puits dont ils boivent l’eau".
Les relations entre les Druzes vivant dans l’Etat d’Israël d’avant 1967 et ceux du Golan sont très particulières. Ceux qui sont établis à l’ouest de la ligne verte sont de fervents patriotes israéliens, qui font leur service militaire, beaucoup au titre d’officiers et même d’officiers supérieurs.
Dans la ville druze israélienne de Khorfesh, pour ne parler que d’elle, on compte par centaines les tombes des soldats morts pour la défense d’Israël, bien plus nombreuses, proportionnellement, que dans le village de Métula où nous sommes établis.
On observe, à ce propos, que c’est actuellement la brigade d’élite Kherev (sabre) qui s’occupe de la défense de Métula et qui patrouille sans relâche le long de la frontière libanaise. Or Kherev est constituée à plus de 80% de Druzes. Des Druzes que l’on trouve également dans toutes les autres unités de Tsahal et de la police.
La situation n’est pas la même dans le Golan, où guère plus de vingt pour cent de la communauté a opté pour la citoyenneté israélienne. Les autres se tiennent politiquement à l’écart des courants nationalistes.
Au bénéfice d’un statut particulier, tous les Druzes du Golan disposent des mêmes droits que les Israéliens, à l’exception, pour les non-israéliens, du droit de vote lors des scrutins nationaux.
Entre la population du Golan et celle d’avant 1967, c’est la fraternité druze qui prédomine en principe ; les mariages entre elles sont légions et chaque grande famille compte des membres des deux côtés de la ligne verte, ce, même si l’arabe qu’ils pratiquent n’est pas exactement identique, et si l’on peut reconnaître leur origine à leur parler.
Lors des réunions familiales, on évite habituellement de parler politique, mettant en avant ce qui unit plutôt que ce qui divise.
Reste que lors d’événements comme celui de Majdal Shams, les non-dits se font soudain pesants, de même qu’au sein des entreprises israéliennes, entre employés juifs et druzes d’Israël, d’une part, et Druzes du Golan, de l’autre.
Ce qui dérange est que, jusqu’à maintenant, les cas comme celui des frères Mahmoud étaient extrêmement rares, de même que la réaction de leur famille. Il est pénible d’imaginer que ces miliciens, nés sur le territoire israélien, avaient pour projet d’assassiner des militaires de Tsahal, et parmi eux, possiblement, des Druzes et même des Druzes de Majdal Shams.
Appeler ces deux individus des héros et des martyrs ne saurait laisser indifférents les autres habitants de la région.
Ce qui gêne encore plus, et c’est une exclusivité de la Ména, est qu’une partie de la famille Mahmoud s’est installée dans des localités juives de Galilée, et que plusieurs de ses enfants servent actuellement, et de manière fort honorable d’ailleurs, dans les rangs de l’Armée israélienne.
Ces derniers n’ont, bien évidemment, pas participé aux activités commémorant le deuil de leurs deux cousins.
Pour les lecteurs que cela intéresse, la Ména avait abondamment narré les pérégrinations de la famille Mahmoud dans une série d’articles intitulée Un Golan, des Druzes 1ère partie, 2ème partie. C’était aussi une partie de la saga de la famille Mahmoud qu’Eran Riklis avait assez fidèlement racontée dans son film La fiancée syrienne.
En dépit du sentiment d’inconfort qui s’est installé, on prévoit que la situation va rentrer dans l’ordre dès la semaine prochaine. Retour à la normalité et à la convivialité, certes, mais les événements dont nous venons de parler resteront dans les mémoires et encombreront les relations traditionnellement bonnes entre les Druzes du Golan et leurs voisins juifs du plateau, ainsi qu’entre les Druzes du Golan et la population israélienne, en particulier, les Druzes israéliens.
Dans la région, tout le monde a coutume de répéter avec fierté qu’aucun Juif n’a jamais tué un Druze et qu’aucun Druze n’a jamais tué un Juif. Cela reste vrai, mais il s’en est fallu de pas grand-chose pour que cette tradition, enviable entre toutes les communautés du Moyen-Orient, ne soit brutalement interrompue.
Par Stephane Juffa
Source MenPress