mardi 20 mai 2014

« On pourrait reconnaître l’hébreu comme langue officielle du Maroc »


Originaire de Tinghir, le réalisateur berbère franco- marocain kamal Hachkar, fervent défenseur de la pluralité marocaine voit sa vie bouleversée lorsqu’à l’âge de 18 ans son grand-père lui annonce qu’il commerçait avec des juifs berbères de Tinghir, de Marrakech et de Fès. Emu par cette révélation, il se sent orphelin d’une période et d’une partie de son histoire qu’il n’a pas connu et qui lui échappe totalement. L’idée d’aller à la rencontre de cet autre dont il ignorait l’existence le ronge, il décide alors d’aller à la recherche de cette part de mémoire qui lui manque pour se réapproprier son identité amazigh...



Une quête identitaire qu’il assouvit en partie avec son documentaire «Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah», qu’il vient de présenter, en version intégrale, pour la première fois dans sa ville natale le 20 avril dernier. Mon film est un hymne à l’altérité et à la pluralité, nous dit-il, c’est aussi un miroir de mon propre déplacement et de mon exil en France. En suivant le destin de la communauté juive berbère ayant quitté Tinghir dans les années 50-60, son film « Les echos du mellah » tente de reconstruire un monde qui a disparu, celui de la pluralité, de la diversité, de la coexistence judéo-arabo-berbère.
 
Le film est sorti en 2012. Pourquoi avoir attendu 2 ans pour le projeter à Tinghir ?

KAMAL HACHKAR.
On a voulu le diffuser à Tinghir mais ça a été censuré ou autocensuré, il a fallu le courage du Centre des médias de Tinghir et de l’association sudmaroc. com, en partenariat avec l’Association Mqourn pour le Développement, pour qu’on fasse enfin ce cadeau à Tinghir et se réapproprier, regarder, partager ces moments de convivialité. C’était censuré par des associations locales qui ont sans doute un lien avec mes détracteurs du PJD.

Quelle a été la réaction des habitants du village après la projection du film ?

C’était une fête populaire avec des gens de tous les milieux sociaux, c’était un débat sans tabous, où on a parlé de normalisation, de censure et où les jeunes se demandaient pourquoi la dimension juive de l’identité marocaine n’était pas enseignée à l’école. On a rendu hommage à l’artisan Daoud, un des personnages clés de mon film, qui a reçu un standing ovation pendant 5 mn, lorsqu’il a dit que le départ des juifs avait crée un vide dans le village et qu’à l’époque, « seule la religion nous séparait, mais le bien nous réunissait. Ces juifs exilés en Israël sont nos frères, ils sont marocains, il faut préserver cette mémoire ». Cette journée du 20 avril était magique et chargée en émotion, ça coïncidait avec les 30 ans du printemps berbère et le 7ème jour de Pessah -symbole de la libération et du retour à la paix pour les juifs- où on s’est tous remémoré notre pluralité, nos identités partagées entre juifs et musulmans et la population de Tinghir. Les Tighirois étaient très fiers qu’on s’intéresse à leur ville, il y avait des invités prestigieux, le gouverneur était présent, par contre, le maire PJD de la ville était absent. Ces gens là m’ont traîné dans la boue, dans leur presse islamiste, on m’a taxé d’agent du Mossad et d’infiltrateur sioniste. J’espère qu’on va les balayer démocratiquement, et c’est bien qu’ils soient au pouvoir, on a vu qu’ils étaient capables de pas grandchose et le Maroc a beaucoup reculé sur le plan de la liberté sous leur gouvernement.

Vous avez été touché par le départ des juifs berbères, un peu parce que vous aussi, vous avez immigré et quitté votre terre natale ?

Il y a un parallèle évident entre la douleur de la séparation et d’arrachement à la terre que vivent les juifs marocains et mon exil. Le film est une quête identitaire, où je pars aussi à la recherche de moi-même. Pour moi, les juifs, c’est comme un puzzle, une part manquante, j’avais besoin de cette part manquante pour retrouver mon identité. Mon film, c’est aussi un miroir de mon propre déplacement, de mon exil. D’ailleurs, Dès que je quitte le Maroc, la couleur, les odeurs, les gens me manquent. C’est aussi un film sur les lieux d’origine, sur la perte, l’absence, c’est douloureux, mais il a fallu en faire quelque chose de positif et de créatif.

Comment s’est fait le choix des personnages ?

Par intuition. J’ai choisi de montrer des personnes émouvantes, spontanées et qui vivaient encore dans cette mémoire du Maroc et dans cet amour de vouloir transmettre toute cette histoire à leurs enfants. Dès qu’ils savaient que j’étais de Tinghir, ils m’ouvraient leur porte, leur coeur, leur âme, ils me racontaient la ville de mes grands-parents, de mon pays. En fait, je me sentais en famille. Le cinéma et l’image sont des armes intellectuelles très efficaces qui jouent sur l’émotion, les gens ont été très touchés par la juive israélienne, d’origine marocaine, qui chantait avec le bendir. Audelà des préjugés que peuvent avoir les Marocains avec le conflit israélo-palestinien, mon récit complexifie la réalité, et c’est ça qui m’intéresse dans de cinéma, c’est que les gens sortent, non pas avec des certitudes, mais avec des questions, des interrogations et une envie d’approfondir et de découvrir.

Vous avez étudié l’hébreu à l’Université de Haïfa en Israël pendant 2 mois. Le fait de parler hébreu vous a facilité la tâche pour tourner en Israël ?

Evidemment que oui. Les gens étaient surpris de voir un marocain musulman parler leur langue et faire l’effort d’aller vers eux. J’adore cette langue, et c’est sûr que l’hébreu, c’était une clé supplémentaire pour ouvrir les portes. D’ailleurs, avec l’apport de la culture juive, on pourrait très bien reconnaître l’hébreu comme langue officielle du Maroc, ils prient en hébreu dans les synagogues marocaines, alors pourquoi pas ? Le français, l’arabe, le berbère, l’hébreu, sont nos langues à nous aussi. Cela dit, dans ma réflexion, j’étais hors du clan, hors de la tribu, il n’y a pas de solidarité obligée, je ne défends pas un Etat en particulier, ce sont les gens qui m’intéressent, ceux avec qui je partage des valeurs en commun, de fraternité, de dignité et de respect. Tout mon travail fait réfléchir hors du clan et de la tribu.

Dans votre quête identitaire, n’avez-vous pas été tenté de faire un film sur les berbères du Maroc en général ?

Artistiquement parlant, si le film a un tel succès, c’est parce qu’il est construit comme une enquête, à la fois, ma quête identitaire et une enquête policière qui consistait à aller chercher cette mémoire auprès des anciens et de retrouver 50 ans après, les juifs de Tinghir. Ce qui a donné la force à ce documentaire, c’est que moi, je suis né là bas, dans ce Maroc qu’on a longtemps considéré comme inutile et marginalisé, c’est ma quête, ma légitimité. J’aimerais aussi capter cette mémoire partout au Maroc, de faire des mini-clips de 10 mn sur les juifs de telle ou telle ville, de faire du web-documentaire qui peut être utilisé comme des kits pédagogiques pour l’école. Je rêverais que l’éducation nationale marocaine inclut toute cette dimension identitaire dans les programmes scolaires. Le Maroc est une terre de documentaires, il y a beaucoup de sujets qui m’intéresse, les villages reculés, les sahraouis que j’ai découvert à Guelmim, les femmes célibataires, les champs amazighs, …

Que pensez-vous du conflit israélo-palestinien ?

Il y a des extrémistes des deux côtés, qui ne veulent pas la paix et qui se nourrissent de la haine de l’autre. Moi, je condamne la colonisation en Israël, les check point, le gouvernement, il faut savoir différencier la politique d’un gouvernement de toute une population. Il y a aussi des gens qui oeuvrent pour la paix, comme la célèbre association « le cercle des parents ». Il faut combattre les extrémistes, qu’ils soient, juifs, israéliens, musulmans ou chrétiens et il faut encourager les gens de la société civile et les artistes qui oeuvrent au rapprochement.

Votre prochain film ?

Mon prochain film continue d’explorer cette mémoire à travers la nouvelle génération. Je vais m’intéresser à des chanteuses israéliennes d’origine marocaine qui chantent notre répertoire judéo-marocain et qui vivent à Jérusalem comme Neta ElKayam, Raymonde Al Bidaouia, Zahra El fassiya qui se sont produites pour la 1ère fois au festival des Andalousies à Essaouira et qui n’ont qu’un seul rêve : revenir s’installer au Maroc pour parfaire leur darija et leur apprentissage de la musique judéo-marocaine. La finalité du film est de dire qu’il n’y a pas de fatalité à la grande histoire qui nous a séparé dans les années 50-60. Nous, la nouvelle génération, on n’est prisonnier d’aucune idéologie, parce que nous voulons travailler sans tabous, avec l’autre, avec des gens différents, parce qu’on on a cette mémoire des anciens, ce respect de notre histoire plurielle, on a envie d’ouvrir une nouvelle page vers le futur pour bâtir des ponts entre nos générations, tous ces marocains, athées, chrétiens, musulmans et juifs. J’ai aussi un projet sur l’amazighité au Maroc, sur le passage d’une culture qui a été marginalisée et réprimée à une culture qui est devenue officielle, je m’intéresserais à des activistes culturels et politiques, comme Mounir kejji,…

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Source L'Observateur du Maroc