C’est une étrange rencontre que narre le Washington Post dans son article “Perdue en Virginie du Nord, une fille d’Auschwitz”. Une rencontre entre le journaliste britannico-américain Thomas Harring, dont le grand-oncle était un juif allemand chasseur de nazi après la seconde guerre mondiale, et Brigitte Höss, fille du commandant d’Auschwitz. Les deux familles s’étaient déjà croisées, un soir de mars 1946, quand le grand-oncle, Hanns Alexander, était venu arrêter l’ancien SS Rudolf Höss. Après trois ans de recherche, Thomas Harring a retrouvé sa fille, âgée de 80 ans, dans une maison de Virginie du Nord aux Etats-Unis, où elle vit dans le plus grand secret de ses origines familiales.
Pendant ce temps, la famille Höss y menait “une vie de luxe à quelques pas de l’horreur et du tourment”, dans un lieu que la mère de Brigitte qualifia de “paradis”, entre pique-niques dans les jardins, visites des écuries, jeux avec des avions géants fabriqués par les prisonniers, ballet de jardiniers, cuisiniers, coiffeurs, chauffeurs et autres domestiques…
“Les enfants étaient au courant que leur père dirigeait un camp de prisonniers. Des hommes en uniformes rayés noir et blanc travaillaient dans leur jardin”, relate le journaliste.
En avril 1945, Rudolf Höss, voyant le vent tourner, fuit avec sa famille et se fait passer pour un fermier près de la frontière danoise, en attendant le bon moment pour s’exiler en Amérique du Sud. Moins d’un an plus tard, des officiers britanniques viennent toquer à la porte de la maison où demeurent sa femme et ses enfants. Brigitte Höss se souvient : “Les soldats britanniques criaient : ‘Où est ton père ? Où est ton père ?’, encore et encore. J’ai eu une terrible migraine. […] J’ai eu des migraines pendant des années après ça. Ces migraines se sont arrêtées il y a quelques années, mais depuis que j’ai reçu votre lettre, elles ont repris”, dit-elle au journaliste.
Voyant son fils menacé par les officiers, l’épouse finit par dévoiler où se cache Rudolf, qui se fait arrêter. Suit, pour elle et ses enfants, une longue période de misère, avant que Brigitte ne parte pour l’Espagne, où la jeune femme blonde travaillera en tant que mannequin. Elle y rencontrera son mari, à qui elle raconta son histoire. “Au début, j’ai été un peu choqué,. Mais en discutant au fur et à mesure avec elle, je me suis rendu compte qu’elle avait été une victime autant que les autres”, dit-il a posteriori. Même compréhension chez les patrons de la boutique qui l’emploieront, plus tard, aux Etats-Unis – eux-mêmes des juifs ayant fui l’Allemagne nazie en 1938.
Des décennies plus tard, Brigitte Höss se souvient de son père comme de “l’homme le plus gentil du monde”, et a les plus grandes difficultés à concilier en elle les deux visages, opposés, du père attentionné et du commandant d’Auschwitz. Pour y parvenir, elle s’accroche à une vague réminiscence qu’il lui reste de son enfance, l’impression qu’il “était triste à l’intérieur de lui-même”.
Source LemondeJuif