jeudi 12 septembre 2013

Le nihilisme dialectique du messianisme juif


Le nihilisme paraît avoir envahi (à nouveau) le champ social, ainsi que sociétal et politique. Presque chaque époque a ressenti, plus ou moins,  une «idéologie du déclin » dont le corrélat est le nihilisme (du latin, nihil, «rien »). Le nihilisme n’accorde de l’importance qu’à la destruction et au néant. Après tout, pour ne citer que lui, Chateaubriand écrivait entre septembre et novembre 1841 (au Livre X des Mémoires d’outre-tombe ) : « Le vieil ordre européen expire…il n’existe plus rien : autorité de l’expérience et de l’âge, naissance ou génie, talent ou vertu, tout est nié…» (en tous cas ces propos paraissent d’une brûlante mais pas étonnante  actualité !). 


Comme l’explique si pertinemment la philosophe Denise Souche-Dagues, il existe plusieurs sortes de nihilisme (nihilisme nietzschéen, nihilisme romantique, nihilisme postmoderne, etc.).
Nietzsche et Max Weber, par exemple, constatent l’absence de rationalité des valeurs.  Weber parle alors de la «guerre des dieux», c’est-à-dire de la guerre des valeurs qui ne peuvent plus être hiérarchisées dans un monde post-métaphysique dans lequel Weber «ôte aux valeurs un autre responsable que le sujet qui les pose… » (Denise Souche-Dagues).
Pour Nietzsche comme pour Weber, les valeurs « péremptoires » ne valent justement plus rien, ce qui a pour conséquence principale de faire le nid du nihilisme.
Mais le nihilisme est une dialectique féconde comme le démontre Nietzsche dans Ainsi parlait Zarouthoustra , lorsque qu’il « signifie apparemment que la néantisation radicale de toutes les valeurs reconnues…fonctionne comme une jachère qui permet à la «vertu » de refleurir. Le nihilisme se transmuerait donc de lui-même en puissance de rajeunissement, en une force de résurrection. » (Denise Souche-Dagues; Nihilismes ).
Dans le mouvement romantique,  la dialectique du nihilisme existe aussi car le nihilisme se transforme aussi immédiatement en son contraire – même s’il s’agit d’art – : « La destruction n’est que le moment propédeutique de l’infinitisation authentique du sujet par l’art » (D S-D).
La question est la suivante : le judaïsme a-t-il un rapport quelconque avec le nihilisme ? Fait-il partie de sa tradition ? Et si oui, où peut-on en trouver la trace ?
Il nous apparaît que c’est dans la pensée de Rabbi Yehouda  Lœw ben Bezalel, plus connu sous le nom du Maharal de Prague (1520-1609) que la dialectique du nihilisme trouve son occurrence judaïque.
Dans l’excellent livre du philosophe Benjamin Gross intitulé Le messianisme juif dans la pensée du Maharal de Prague, le professeur Gross rappelle que selon le Talmud (Lamentation Rabba, chap.I.) : «Le jour de la destruction du Temple est né le consolateur ».
Le messie (ou du moins sa naissance symbolique, en attendant sa naissance physique) est donc né le jour de l’une des plus grandes tragédies que le peuple juif ait connu dans son existence parsemée de malheurs.
Ainsi, comme l’explique Benjamin Gross : « La naissance du Messie, la possibilité de sa venue s’attache donc à la destruction du Temple ; une diminution d’être constitue un  appel vers l’actualisation d’un nouvel être. Ce dernier sera d’autant plus riche. Il renfermera en lui un degré de plénitude et de totalité d’être d’autant plus élevé qu’il se dégagera d’un néant plus absolu. »
Pour le Maharal de Prague,  toute nouvelle existence est précédée d’un néant.
Il est aussi intéressant de noter qu’en hébreu, «je» se dit ‘’ani’’  et que son anagramme  donne le mot ‘’eyn’’ qui signifie «rien» (nihil en latin).
Est-ce à dire que le Messie viendra quand l’Ego (le «Je») et l’arrogance d’une très grande partie du monde auront été détruits pour laisser la place à la croyance en l’Être supérieur, c’est-à-dire le Dieu d’Israël, afin d’anéantir la déification du Moi et peut-être par là-même de détruire les idéologies construites par la vanité de l’homme produisant des métarécits qui veulent expliquer la totalité de l’Existence ?


Source JerusalemPlus