mercredi 3 avril 2013

En plein désert du Negev une hotline pour défendre les droits des femmes bédouines



Selon Les Inrocks: "Dans le Néguev, région la plus pauvre et désertique d’Israël une association féministe de bédouines a mis en place un service téléphonique uniquement destiné aux femmes. Leur objectif, faire reconnaître leurs droits et tenter d’endiguer la violence qui gangrène cette communauté.

Pour Atidal Abu Aish, chaque jeudi, de 15h à 19h, c’est le même rituel. Installée dans les locaux de l’association Ma’an à Beersheva, la principale ville de la région, cette bédouine de vingt-huit ans guette un éventuel appel. Dans les bureaux, la dizaine de bénévoles de l’organisation s’affaire. L’atmosphère est feutrée, féminine ; des papillons couvrent les murs. Sur la table, un bouquet de fleurs tâche d’égayer l’atmosphère. Pourtant, la mission d’Atidal est bien loin de cet univers délicat. Ses trois téléphones à portée de main, elle explique :
“Nous avons mis en place la première hotline entièrement gratuite destinée aux femmes bédouines vivant dans le sud d’Israël. Résultat, j’attends des appels de celles qui pourraient avoir besoin de conseils juridiques ou d’une assistance, notamment dans des affaires de violences conjugales”, détaille-t-elle, en refermant les épais rideaux pour empêcher le soleil du désert de filtrer.
Grâce à une campagne de publicité intense dans tous les villages du Néguev, la ligne téléphonique a rapidement été prise d’assaut. En moins d’un mois d’existence, les bénévoles de Ma’an ont dû gérer une quarantaine de cas.

40% des ménages bédouins sont polygames
Si les chiffres officiels sur les violences faites aux femmes dans la communauté sont rares, les volontaires de l’association sont formelles : la polygamie et les violences conjugales gangrènent cette minorité, déjà largement marginalisée en Israël. Bien qu’ils composent près de 25% de la population de la région, les 160 000 bédouins du Néguev tentent de résister aux autorités israéliennes qui tentent de les sédentariser dans des villages construits à la périphérie des villes.
Malgré tout, une grande partie d’entre eux continue de vivre dans des implantations sauvages, sans eau courante ni électricité. Marginalisés, maintenus à l’écart, les bédouins manquent de tout et la communauté vit repliée sur elle-même. “On considère qu’au moins 40% des ménages bédouins sont polygames. Cette situation entraîne presque inévitablement des conflits familiaux et de fortes tensions entre mari et femme“, estime Safa Abdo, avocate au sein de l’association. Prises au piège d’une société conservatrice et patriarcale, les victimes n’osent souvent pas s’adresser à la police.
“C’est un cercle vicieux, se désole l’avocate. Elles ne vont pas voir les autorités car elles craignent qu’on leur enlève leurs enfants, qu’on les chasse de leurs maisons, qu’on les répudie. Résultat, elles se retrouvent seules. Le but de notre hotline est de les tirer de leur isolement. On leur explique quels sont les recours juridiques auxquels elles peuvent prétendre. Ensuite, l’une des avocates de l’association peut les représenter au tribunal islamique pour faire valoir leurs droits”, énumère-t-elle.
Le harcèlement sexuel est également une problématique récurrente lors des appels. “L’autre jour, une jeune fille a téléphoné pour nous raconter que son ex petit ami la harcelait et la menaçait“, se souvient Kholood Ershied, coordinatrice de la hotline. “Nous lui avons expliqué que ces tentatives d’intimidations étaient interdites, qu’il existait des solutions pour qu’il ne puisse plus l’approcher. Savoir qu’elle avait des armes légales contre ce garçon lui a donné confiance en elle. Devant sa détermination, il a pris peur et a cessé de la menacer”, se réjouit-elle.

“On se contente d’écouter, on ne juge jamais”
Ce genre de succès tient largement à la proximité que les volontaires de la hotline réussissent à instaurer avec leurs interlocutrices. Une confiance profonde fondée sur une histoire et une culture commune. “Il est essentiel que les bénévoles soient aussi des bédouines, souligne Kholood Ershied. En Israël, beaucoup ne comprennent pas que ces femmes ne se révoltent pas mais elles ne sont pas habituées à se faire entendre, à s’exposer ! Que nous partagions les mêmes valeurs qu’elles, leur permet de s’ouvrir davantage. On se contente d’écouter, on ne juge jamais”. Réticences à se confier en dehors de la communauté, peur de nuire à la réputation de sa famille, culture du secret… Autant de tabous difficiles à briser pour les volontaires de Ma’an.
“Pourtant, il y a urgence, s’inquiète Kholood. Un jour une femme est venue avec ses enfants. Elle fuyait sa famille, avait entendu parler de nous et n’avait nulle part ailleurs où aller. Nous avons dû trouver en solution en urgence pour l’héberger. Quelques semaines après, elle nous a rappelé pour nous remercier. C’est pour des femmes comme celles la qu’on continue”, conclut-elle.
Pour répondre à la demande croissante, une nouvelle volontaire vient d’être recruté et le service devrait bientôt fonctionner en continu. Un succès qui tend à prouver que les conditions de vie des bédouines du Néguev ne sont pas prêtes de s’améliorer".


Source lesinrocks.com