jeudi 25 avril 2013

Un championnat de football au ghetto de Terezin



Un documentaire recueille pour la première fois les témoignages de rescapés de Theresienstadt ayant participé au championnat de football organisé par les détenus du camp pendant la Seconde Guerre mondiale. Le 27 Janvier dernier, les téléspectateurs israéliens ont découvert une facette peu connue de l’histoire si particulière du ghetto de la ville tchèque de Terezin (Theresienstadt en allemand), située à 60 kilomètres au nord-ouest de Prague. Diffusé en prime time sur la première chaîne du pays à l’occasion de la Journée internationale de commémoration de l’Holocauste, le film Liga Terezin relate l’histoire invraisemblable du championnat de football joué dans ce camp de 1942 à 1944.


S’il est le fruit d’années de recherche de la fondation Beit Theresienstadt, qui œuvre pour la mémoire des victimes du camp, ce documentaire a pour origine l’histoire personnelle d’Oded Breda. Né quelques années après la guerre dans une famille qui avait fui l’Europe pour la Palestine en 1939, ce dernier raconte avoir été « hanté » par une photo de son oncle, Pavel Breda, resté quant à lui en Tchécoslovaquie. Sur ce cliché, on aperçoit Pavel, alors âgé de 15 ans, quelques années avant sa déportation à Theresienstadt. C’est en enquêtant sur Pavel, qu’Oded s’intéresse petit à petit aux activités culturelles et sportives mises en place dans le ghetto de Terezin.

UNE IMPOSTURE

Grâce à la fondation Beit Theresienstadt – dont il deviendra le directeur en 2009 – il visionne un document d’archives miraculeusement sauvegardé : un extrait de 20 minutes du film de propagande nazie Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet (« Un documentaire sur le foyer d’habitation juif »). Ironiquement appelé par les détenus Der Führer schenkt den Juden eine Stadt (« Le Führer offre une ville aux Juifs »), le documentaire est une imposture mettant en scène un quotidien mensonger des Juifs dans le camp. On y vante les nombreux loisirs auxquels les détenus auraient accès, notamment l’existence de rencontres sportives. Une place importante est accordée à la tenue d’un match de football, réunissant des milliers de spectateurs, au sein même de la caserne de cette ville de garnison. A la vue de cette séquence, Oded est frappé par la ressemblance entre un des protagonistes du match et la photo de son oncle, prise cinq ans avant le tournage du film dans le ghetto.




« Je n’étais pas sûr qu’il s’agissait bien de la même personne », raconte Oded, qui décide de partir à la recherche de rescapés du camp susceptibles d’avoir connu son oncle. Il rencontre ainsi Peter Erben, un des rares survivants de Theresienstadt, qui a publié un livre où il raconte sa détention dans le ghetto. Dans cet ouvrage, Pavel Breda est cité parmi les joueurs de football du camp ; Oded obtient ainsi la confirmation que son oncle est bien le jeune homme que l’on aperçoit dans le film de propagande allemand. Il décide alors de poursuivre ses investigations et s’interroge sur  l’importance de ce qui s’avère être un véritable championnat. Au travers de nombreux documents témoignant de la vie du ghetto, il découvre en effet le caractère professionnel de l’organisation de ces compétitions. Plusieurs journaux tenus par les enfants de Theresienstadt font régulièrement état des scores des matchs et du classement des équipes.

TROP POUR MOURIR, TROP PEU POUR VIVRE

Peter Erben, que l’on entend dans le documentaire Liga Terezin, déclare que les internés du camp avaient l’impression de « vivre » durant ces courts moments. Il se souvient ainsi avec précision de sa position dans l’équipe : « je jouais en défense. Mon rôle était de passer la balle à Honza Burka », sur lequel tous comptaient pour marquer des buts. De même, Milos Dobry, ancien international de l’équipe de rugby tchécoslovaque et rescapé du camp lui aussi, se rappelle encore 60 ans après d’un but offert par un coéquipier « sur une passe de 50 mètres ». Certaines équipes étaient formées par corporation selon les métiers exercés par les détenus. Milos faisait par exemple partie de celle des bouchers, une fonction privilégiée dans l’accès à la nourriture alors que le système de rationnement avait été conçu pour donner aux détenus « trop pour mourir et trop peu pour vivre », résume-t-il.



La gestion du championnat de football était laissée aux prisonniers du camp, tout comme l’organisation des représentations théâtrales et des concerts joués dans l’enceinte de la caserne. Lorsqu’on interroge Oded sur cette liberté présumée accordée aux Juifs à Theresienstadt, il répond que la logique des Allemands était simple : « tout ce qui pourrait inciter les Juifs à ne pas s’échapper était bénéfique pour les nazis ; ils allaient mourir de toutes façons ». « En 1942, quand ces rencontres ont commencé, l’Allemagne était en position de force et n’avait de compte à rendre à personne», poursuit-il. Ce n’est que plus d’un an après le début de ces compétitions que les nazis ont entrepris d’instrumentaliser la vie du ghetto de Terezin, en produisant le film de propagande Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet.
La réalisation de ce documentaire s’inscrit en effet dans une campagne de manipulation de l’opinion, orchestrée par l’Allemagne, en vue de justifier l’existence des camps auprès de la communauté internationale. Afin de répondre aux accusations de crimes de masse qui se faisaient entendre en Europe, les nazis se voient contraints d’accepter qu’une délégation du Comité International de la Croix Rouge (CICR) visite la ville de Theresienstadt le 23 juin 1944. Cette rencontre, qui avait pour objectif de révéler l’horreur des camps, s’avérera être une opération de communication parfaitement maîtrisée par le 3ème Reich. Il est à ce sujet intéressant de mettre en parallèle les témoignages du film Liga Terezin avec l’interview de Maurice Rossel réalisée par Claude Lanzmann. Effectué durant les années de recueil des nombreux témoignages nécessaires à la réalisation de Shoah, cet entretien constitue un film connexe, intitulé Un Vivant qui passe. Claude Lanzmann interroge pendant près d’une heure ce médecin ayant eu accès en tant que délégué du CICR au camp de Theresienstadt en 1944.

CAMP POTEMKINE

Les Allemands ont eu tout le loisir de préparer minutieusement la visite de la ville. Des mois durant, le ghetto a été transformé en vue d’en faire un « camp Potemkine », de l’aveu même du Dr Rossel. Grâce aux documents retrouvés dans les archives nazies, on connaît très précisément la description des travaux d’aménagement du camp réalisés en un temps record. Gymnase transformé en synagogue, création de terrains de jeux pour enfants, rénovation des maisons ; toute la partie de la ville à laquelle la délégation a eu accès a été entièrement maquillée. Environ 5000 personnes ont été déportées à Auschwitz afin de réduire le surpeuplement de la ville. Les nazis avaient procédé à de véritables répétitions de la visite où chaque Juif qui croiserait la route de la délégation avait un rôle précis auquel il devait se tenir, sous peine de mort. Force est de constater que cette machination a parfaitement fonctionné puisque Maurice Rossel décrit son impression de « ville de province normale », dans son rapport de l’époque au CICR. Il répète même sa conviction, plus de trente ans après, que les détenus « arrangeaient leur situation à coup de dollars » et qu’il s’agissait d’un camp de « Prominenten », c’est-à-dire des privilégiés.



Si de nombreux notables étaient détenus dans ce camp, précise Claude Lanzmann au cours de l’interview, c’est que l’idée première de Himmler était de faire de Theresienstadt « un ghetto pour les Juifs du grand Reich, à savoir Allemagne, Autriche et Tchéquoslovaquie, […] souvent des gens tout à fait âgés, anciens combattants de la Première Guerre mondiale », qu’il était difficile de faire passer pour des ennemis de la nation allemande. Mais la réalité historique contredit toute idée de camp de privilégiés : 35409 Juifs y sont morts de faim ou de maladies dues aux terribles conditions sanitaires. « Avant la visite, déjà 100 000 détenus de Terezin avaient été déportés et assassinés », indique Claude Lanzmann à son interlocuteur.



Comme la grande majorité des joueurs filmés par les nazis le 1er Septembre 1944, Pavel Breda est mort à Auschwitz quelques semaines plus tard. C’est également le cas de Kurt Gerron, le réalisateur du film commandité par les nazis. Cet acteur juif, qui jouissait d’une certaine notoriété en Allemagne avant la guerre, avait été contraint par ses geôliers de tourner ce documentaire. Salle Fischermann, un des seuls rescapés qu’on aperçoit dans le film allemand, se rappelle du tournage. Chaque scène avait été réglée au millimètre par les nazis. Alors qu’un technicien allemand s’adressait à Kurt Gerron, il s’était fait reprendre par le commandant SS : « Tu n’es pas autorisé à parler à ce cochon de Juif [« Judenschwein », en allemand] c’est à moi qui tu poses les questions », raconte-t-il à Oded au début de Liga Terezin. Karel Margry, un historien néerlandais qui a longuement travaillé sur les leviers utilisés par la propagande nazie, atteste du cynisme qui se dégage de la lecture du script allemand. La scène du match de football avait été choisie car il s’agissait déjà à cette époque de « quelque chose qui touchait beaucoup de gens », indique-t-il à la fin du documentaire, « et qui allait faciliter la diffusion du film ».
Aujourd’hui, Oded Breda souhaite que le vecteur du football puisse inciter de nombreux jeunes à s’intéresser de plus près à l’histoire de la Shoah. La fondation Beit Theresienstadt développe depuis de nombreuses années un programme d’éducation qui comprend des interventions dans des établissements scolaires en Israël mais aussi en République Tchèque et en Pologne.

Source Tribunejuive.info