mercredi 17 avril 2013

Cologne sur les traces de son riche patrimoine juif



Des fouilles archéologiques au coeur de Cologne (nord-ouest) mettent au jour les vestiges de l'une des plus anciennes et importantes communautés juives d'Europe, mais le projet d'en faire un musée fait polémique..

"Pendant très longtemps, les archéologues ont tout simplement ignoré le passé juif de Cologne. Tout ce qui n'était pas d'origine romaine n'était pas fouillé, puisque le Moyen Age importait peu et que les juifs étaient supposés n'avoir joué aucun rôle", déplore Sven Schütte, l'archéologue en chef du site. 
Cologne, qui fut du Xème au XIIème siècle l'une des plus grandes villes d'Europe, devant Paris et Londres, avec quelque 50.000 habitants, comptait pourtant une communauté juive prospère de près de 1.000 membres à son apogée, qui a laissé de nombreuses traces. 
Depuis 2007, Sven Schütte et son équipe ont déjà découvert quelque 250.000 objets de diverses époques dans cette zone archéologique de 10.000 mètres carrés: de la vaisselle en céramique, des outils, des bijoux, des jouets, des ossements d'animaux... 
Des inscriptions hébraïques sur des fragments d'ardoise ont révélé des exercices d'écoliers, des règlements, une partie d'un roman de chevalerie paillard jusqu'alors inconnu, ou encore une liste de clients d'une boulangerie: des bouts de vie quotidienne tout droit sortis du Moyen Age. 
L'histoire du quartier juif s'étale en strates sur un millénaire, de l'Antiquité tardive au Moyen Age. Loin d'être un ghetto, le quartier a longtemps été ouvert et jouxtait le Praetorium, l'imposant palais du gouverneur romain puis des rois francs jusqu'au VIIIème siècle, et ensuite la mairie. 
"Les fouilles montrent que les juifs à Cologne ont vécu très longtemps en bons termes avec les chrétiens, que leur cohabitation a connu de longues phases de paix et d'harmonie", explique M. Schütte. 
Ainsi dans la synagogue, l'autel (bima), de style gothique et richement décoré, avait été bâti par des artisans, peut-être français, venus du chantier voisin de la cathédrale. 
Deux massacres ont signé le glas du quartier juif: un premier pogrom en 1096 par des chevaliers fanatiques en route pour la première croisade, puis une destruction complète en 1349, quand les chrétiens avaient fait des juifs les boucs émissaires de la terrible épidémie de peste noire. 
Un musée déjà polémique 
Un musée est prévu à l'horizon 2017 sur le site. "Ce ne sera pas un +musée ghetto+ où l'on se borne à présenter des artefacts religieux, mais un musée retraçant la vie quotidienne de ce quartier, son intégration dans la ville chrétienne, avec les aspects positifs comme négatifs, son histoire jusqu'à nos jours", selon M. Schütte. 
Mais le projet a aussi des ennemis. "Une valise vide déposée devant le mikvé (maison de bains juifs rituels, ndlr) nous a récemment causé une fausse alerte à la bombe. Et ailleurs quelqu'un a gravé une croix gammée", soupire l'archéologue. 
Les chrétiens démocrates (CDU), dans l'opposition municipale, attaquent le projet sous l'angle financier, dénonçant une "folie" de plus de 50 millions d'euros alors que la ville est déjà profondément déficitaire et surendettée. 
"Cologne ne peut pas se permettre de construire un nouveau musée" estime Volker Meertz, le chef de la section locale de la CDU, qui se demande aussi "comment le musée pourra se positionner" par rapport au grand musée juif de Berlin. 
Par ailleurs une pétition citoyenne contre le projet a déjà rassemblé 2.800 signatures, très loin toutefois de son objectif d'en collecter 50.000 d'ici début avril. 
"Cette protestation est populiste (...). Cela pourrait devenir une plateforme pour toutes les droites et les nostalgiques du passé" a mis en garde Abraham Lehrer, l'un des responsables de la communauté israélite de Cologne. 
"Les dépenses sociales de la ville sont réduites indépendamment de la construction du musée. S'il n'est pas construit, cela n'y changera rien", a-t-il plaidé.

Source L' Express