mercredi 10 février 2021

Les juges plus sévères le ventre vide ?


Une étude scientifique, parue en 2011, révèle un lien déconcertant entre jugement et satiété des magistrats. Qu’en est-il vraiment ? La Cour Suprême et des chercheurs israéliens viennent contredire cette équation........Détails........

Et si une décision de justice reposait sur ce qu'a mangé le juge au petit-déjeuner?
Cette variable a priori sans incidence sur un jugement supposé mécanique et rationnel pourrait, de l'avis d'universitaires, influer sur le verdict du tribunal.
Pour injuste que soit le constat, il repose sur une étude scientifique, parue en avril 2011, dans l'éminente Revue de l'Académie nationale des sciences des États-Unis. Titrée « Les facteurs externes d'une décision judiciaire », elle répertorie, graphiques à l'appui, 1 112 décisions de libération conditionnelle dans des prisons israéliennes, et établit un lien de corrélation entre le sort du justifiable et… la faim du magistrat.
« Nous avons trouvé que la probabilité d'une décision favorable [au détenu, NDLR] est plus grande tout au début de la journée de travail ou après chaque pause [collation et repas], que plus tard dans l'examen des dossiers […] 95 % des décisions favorables au début de chaque séquence [aboutissant] à quasi zéro à la fin. 
Pour les détenus, il y a donc un net avantage à comparaître au début de chaque séquence, en début de journée ou à chaque reprise après chacune des deux pauses » résument alors les trois chercheurs, dans la veine de l'école américaine du « réalisme juridique » (« sociological jurisprudence  »).

Asthénie

En cause, la fatigue cognitive des huit juges (dont deux femmes) forts de plus de vingt ans d'expérience et observés dix mois durant. 
Et un processus mental, atrocement simple et applicable à tout type d'arbitrage : lors de prises de décision répétitives, l'humain opterait par défaut pour le choix le plus commode. 
À savoir, pour ces magistrats, au maintien en détention. Quand une pause ou un apport en sucre suffirait à rompre ce mécanisme, influer sur leur humeur et les rendre moins expéditifs et plus prompts à livrer une décision favorable.
L'écho – comme l'effroi – suscité par l'étude est instantané.
Nombreux sont les journalistes à raconter, entre amusement et effarement, combien la justice peut-être différente après la pause déjeuner –, voire à s'amuser de l'ironie à comparaître devant un magistrat affamé. 
Et une poignée de commentateurs s'en saisissent pour promouvoir l'idée d'une justice rendue par algorithmes estimés, eux, infaillibles.

Réserves

Or, comme le révèle le magistrat Jean-Paul Jean, dans un article publié le 26 janvier dans le quotidien spécialisé Dalloz-Actualité, le service de recherche de la Cour suprême d'Israël, stupéfait par ces conclusions, réexamine, dès octobre 2011, une part des données analysées par l'équipe de chercheurs qu'il couple d'une série d'entretiens auprès de juges, d'avocats et de personnels de prison. 
« Le phénomène de décisions favorables au début de chaque session est probablement un artefact de l'ordre de présentation des dossiers et il n'est pas du tout établi que la pause alimentaire affecte les décisions du board » concluent, sans appel, le service de recherche.
Et pour cause, ses chercheurs relèvent rapidement les faiblesses méthodologiques de la première équipe. Parmi lesquelles, l'oubli d'un critère fondamental : l'audiencement des dossiers n'a rien d'aléatoire et répond à un ordre précis. 
Ainsi les détenus dépourvus d'avocats sont les derniers jugés et – représentant un tiers des cas pour 15 % du temps d'audience – ils bénéficient de moins de temps d'audience et ont donc moins de chance d'obtenir leur libération conditionnelle (67 % de décisions favorables pour un détenu défendu par un avocat contre 39 % pour un détenu non représenté). 
Par ailleurs, il serait fréquent que les avocats en charge de plusieurs dossiers commencent par les plus « évidents » à défendre, dans le but d'amorcer une tendance favorable.

Succès

Pas de quoi déstabiliser la première équipe, qui réassure, à renfort de nouveaux calculs, la fiabilité de sa méthodologie. Et dont l'étude, reste à ce jour – et de loin – la plus citée et commentée des deux. 
La seconde demeurant, encore aujourd'hui, sous les radars des moteurs de recherche, comme le souligne Jean-Paul Jean.
Reste que les juges ne sont pas plus à l'abri que le commun des mortels, d'être bousculés dans leur partialité. 
Leurs décisions pouvant être influencées par leur système de valeurs, leurs convictions profondes, comme par leur humeur du jour. 
Et « les avocats expérimentés le savent, rappelle le magistrat, et adaptent leur plaidoirie, voire leur stratégie procédurale » à ces paramètres humains, donc faillibles.

Source Le Point
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