vendredi 2 mai 2014

« Mon âme s’est liée à la vôtre »


A l’occasion du Yom Hashoah 5773, le Yédiot Aharonot a demandé à des Israéliens d’écrire à des proches ou à des personnalités marquantes disparus durant la Shoah. Le célèbre chanteur israélien Ehud Banaï a choisi d’écrire au Admour de Piaseczno zatsal *, auteur du Esh Kodesh ("Un feu sacré") et disparu à Auschwitz...


Cher Rabbi Kalonymus Kalman Shapira,

« C’est en consultant un commentaire de Rabbi Shlomo Carlebach zatsal que j’ai, pour la première fois entendu parler de vous. Dans ce beau texte, Rabbi Shlomo expliquait qu’il fallait allumer, dans chaque foyer juif, les bougies de Chabbat pour emplir de lumière l’immense obscurité qui nous a enveloppés après la Shoah. Et là, il vous mentionnait et relatait comment, avec une extraordinaire Messirout Nefesh, avec un immense dévouement, vous aviez réussi à maintenir votre communauté entre les murs du Ghetto de Varsovie…jusqu’à votre déportation vers les fours crématoires d’Auschwitz.
Après avoir lu ce texte, je suis allé à Bné Brak et j’y ai acheté votre livre « Esh Kodesh » (un feu sacré). Dans l’introduction, j’ai découvert comment vous aviez dissimulé sous terre le manuscrit de ce livre. J’ai compris que vous y aviez joint une terrible lettre écrite dans la précipitation, une lettre venue de l’Enfer et destinée au Futur, une lettre qui, finalement, m’est parvenue, avant de devenir une composante essentielle de ma vie. Et lorsque dans cette lettre poignante, j’ai lu votre appel à D. afin qu’Il vous rende votre fille bien aimée Rahel Yehoudit, celle que vous surnommiez Rohel, celle que l’on vous a arraché dans les rues du Ghetto, j’ai senti que mon âme se liait à la vôtre.
Et aujourd’hui, Rabbi, je me surprends souvent à vous parler. Je vous raconte que grâce à D., le manuscrit a été retrouvé, que vos écrits ont été publiés, que je les lis chaque chabbat, comme vous l’aviez demandé dans cette même lettre et que ces mots là me donnent envie d’être plus Juif, d’être un homme meilleur. Je vous raconte que votre autre livre, « Les fils de la bonne pensée », me donne d’excellents conseils et me guide dans ma vie et dans l’introspection spirituelle à laquelle je me livre. Et je découvre à quel point votre pensée est toujours autant d’actualité.…
Parfois, je m’imagine en super-héros téméraire parcourant le Temps pour revenir jusqu’au Ghetto, pour vous en faire sortir et vous ramener avec moi en Eretz Israel. Et parfois j’ai l’étrange sentiment que l’âme de l’un de vos hassidim parmi ceux qui vous ont accompagné vers les chambres à gaz d’Auschwitz s’est réincarnée en moi.
Et puis, je me dis que peut-être dans l’avenir, si D. le veut, j’entamerai un long périple sur vos traces, en Pologne, dans les villes où vous avez vécu, à Piaseczno, à Varsovie. Mais en y réfléchissant bien, je n’en suis plus si sûr. Peut-être qu’il ne reste rien là bas ? Et peut-être que le véritable périple sera d’étudier vos textes, vos livres ?
Je voudrais que vous sachiez, Rabbi, que grâce à vous, j’ai compris : j’ai compris qu’en dépit de cette Shoah sans précédent, en dépit de cet incompréhensible silence divin, je dois persévérer sur la voie ancestrale de notre tradition que le Tortionnaire nazi a voulu annihiler, que je dois continuer à nouer ce nœud des Téphilin que l’on a voulu briser.
Le 4 Hechvan, jour de votre disparition dans l’enfer exterminatoire d’Auschwitz, est aussi le jour de la naissance de ma fille ainée, Myriam. Je lui ai parlé de votre fille Rahel et je lui ai demandé d’allumer chaque vendredi avant la tombée de la nuit, les bougies de Chabbat, pour que la flamme qui s’est éteinte avec la mort de Rahel et de ses sœurs, puisse être ravivée.
Cher Rabbi, si doux et si saint, je voudrais tellement que vous sachiez qu’au -delà du temps et de l’Espace, votre feu sacré continue à bruler.
Je vous languis avec respect et amour et espère pouvoir contempler, dans les temps futurs, l’éclat de votre visage ».

Ehud Banaï
(Traduit de l’hébreu par Daniel Haïk)

* Esh Kodesh, le livre du rabbi Kalonymus Kalman Shapira, rabbin du ghetto de Varsovie, décrit la vie des hassidim polonais au XXe siècle, dont le monde a été anéanti par la barbarie nazie. Dans cet ouvrage, l’auteur propose sa propre réflexion théologique sur les événements tragiques qu’il a vécus avant de disparaître dans la tourmente.

Source Chiourim